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concision qui le distingue et qui constitue une éminente qualité, est à la fois ce qui a été fait de meilleur et de plus complet en ce genre.

CAMILLE PICQUÉ.

Etudes sur l'art, par Louis Pfau. In-8° Bruxelles, A. Lacroix, Verboeckhoven et C,

éditeurs.

Les ÉTUDES SUR L'ART de M. L. Pfau sont divisées en trois parties qui se relient entre elles par une commune idée, l'âme et la vie de cet ensemble de critiques et d'analyses, d'esthétique et de philosophie. Ce n'est point de la critique de hasard, de la critique quotidienne, faite selon les besoins du moment. Il y a dans le livre une séve et une plénitude qui sont qualités mâles et qui forcent le lecteur à discuter, lorsque les opinions émises lui paraissent fausses, ou à avouer que se tromper ainsi est le fait d'un homme convaincu, à qui l'applaudissement ou le blâme doit être donné énergiquement.

Au début du livre, on sent ce souffle de sincérité et de volonté, qui est à la fois un charme et une fascination. Peu d'œuvres littéraires, à notre époque, ont cette qualité de nature. Il y a peu d'écrivains qui sachent se faire lire, comme il y a peu d'orateurs qui sachent se faire écouter; ici l'organe, et une sorte de sympathie du geste et du regard, là, le style et une espèce d'onctuosité de la pensée, séduisent dès l'abord et éveillent l'intérêt. M. Pfau a ce don précieux dans une œuvre de critique et d'esthétique. Il faut lui en tenir compte et non peut-être l'en féliciter, mais l'en remercier. Défauts de nature, bien qu'ils soient plus pardonnables que défauts d'éducation, sont insupportables au dernier degré; en renversant cet axiome, on saura combien on doit se trouver enchanté de reconnaître dès les premières pages d'un livre ces qualités natives qui entraînent jusqu'au mot fin avec une douce violence.

Divisée en trois parties, l'œuvre gagne en clarté. Bien que les études aient été pensées dans divers moments, et qu'elles soient le produit de réflexions venues sans doute à mesure que les circonstances l'exigeaient, comme elles ont germé dans un esprit plein de conviction, leur corrélation est positive. Les titres de ces parties indiquent du reste suffisamment les rap

ports qui les unissent : l'Art contemporain en Belgique, Lettres sur le Congrès artistique d'Anvers et l'Art et l'État forment un ensemble judicieux dont l'idée philosophique se dégage avec une grande clarté.

Nous voudrions pouvoir longuement analyser ce livre sérieux et intéressant. Mais il soulève beaucoup trop de questions pour qu'on puisse y répondre dans un article bibliographique forcément court. Pour bien dire ce qu'est le livre de M. Pfau, il faudrait en réponse écrire un second volume. Nous ne concentrerons donc ici que quelques objections sur les points qui nous ont le plus frappé.

L'étude intitulée l'Art contemporain en Belgique nous a paru incomplète. L'auteur semble n'avoir pas suffisamment analysé les œuvres de nos artistes; il ne s'est point assez préoccupé de la source; il s'est contenté trop facilement de deviner le caractère de la plupart des peintres dont il étudie le talent. Ainsi, De Keyser et Wappers: il ne les connaît que pour quelques toiles qui ont une sorte de réputation. De même Gallait. Avec son sens divinatoire, l'auteur ne se trompe guère toutefois; voir deux ou trois tableaux d'un maître lui suffit souvent pour construire sa caractéristique. Mais on s'aperçoit cependant que les études de M. Pfau eussent été plus profondes s'il avait pu voir davantage elles semblent écourtées et rognées, par endroit dédaigneuses. L'étude sur Wiertz est de beaucoup la meilleure, parce que le critique a pu chercher le génie du peintre dans l'ensemble de son œuvre.

Cette réserve faite, nous avons trouvé généralement bien observés les talents de nos principaux maîtres.

Cependant, en ce qui concerne Leys, nous ne sommes pas toujours d'accord avec M. Pfau. Il admire trop cette renaissance de l'art gothique, cette imitation, quelque intelligente qu'elle soit, des peintures primitives. Il dit :

<< Leys peint dans l'esprit des modèles qu'il suit, et pourtant il n'est pas un imitateur..... il est parvenu à voir la nature comme les anciens la voyaient. >>

Ceci n'est pas juste. Leys ne voit point la nature; il voit la manifestation d'un art qui a puisé ses inspirations à la nature : aussi ses tableaux sont des pastiches plus ou moins intelligents. Leys aurait été un vrai peintre s'il ne s'était pas four

voyé dans cette renaissance inutile et perfide. Au lieu de faire ce qu'ont fait les peintres gothiques, au lieu de se contenter de leur esthétique et de leur idéal, il eût dû appliquer à un art plus moderne, c'est-à-dire plus conforme à l'esprit de son époque, la sincérité d'observation et la passion des maîtres anciens. Entre imiter la manière et s'inspirer de l'esprit des prédécesseurs, il y a un abîme.

Aussi, bien que M. Pfau dise: «< il est parvenu à voir la nature comme les anciens la voyaient........... » ses déductions illogiques prouvent que le talent de Leys n'est point encore à donner en exemple. Plus loin il dit : « Les figures de Leys ne sont pas toujours animées d'un souffle franc, le mouvement est souvent gêné, retenu; la vie est latente comme chez les gothiques... >>

Voilà la vérité, et une vérité absolue : les bonshommes de Leys, mal dessinés exprès, pour arriver au caractère de gaucherie qui distingue surtout les gothiques, ne sauraient ni penser ni agir. Ils sont enfermés dans la rigidité de leurs contours comme dans une forme inanimée; on ne se figure pas qu'ils puissent vivre, marcher, parler. C'est l'image encore à l'état de torpeur. A quoi sert-il de recommencer un art qui n'est qu'un germe et dont la perfection n'est plus à tenter après plus de trois siècles, pendant lesquels l'humanité s'est transformée complétement?

Il ne faut point placer Leys parmi les peintres, c'est-à-dire parmi les hommes qui tentent de rendre en images saisissantes la vie et la beauté, mais parmi les archéologues, ces reconstructeurs respectables du passé.

M. Pfau le sent bien. Dans quelques phrases, il laisse voir le fond de sa pensée. Sans doute il s'est laissé séduire par ce ragoût de vieillesse des tableaux et l'intelligence rare qui préside aux travaux de Leys. Mais il s'échappe de ses analyses des clartés soudaines. « Les maîtres avaient fait du sentiment sans le savoir, ce qui est très-bien; les disciples font de l'aspect sans le sentir, ce qui est très-mauvais. C'est un art qui ressemble, à s'y tromper, à un métier..... »

Cette vérité est aussi applicable à Leys qu'à ses imitateurs, et nous ne saurions, en cette incroyable renaissance, séparer le premier du dernier. Il ne s'agit ici ni d'intelligence ni de

talent, mais d'un principe détestable à combattre partout et toujours.

Dans ses conclusions sur l'art contemporain en Belgique, M. Pfau, du reste, entre complétement dans notre sentiment. On serait tenté de croire qu'il n'admire dans Leys que l'adresse et la science. Il dit, page 86: « A quoi bon vouloir imiter le bégayement d'un art qui n'a pas encore appris à parler? A quoi bon ce jeu archéologique ?..... »

Cette question, comme on voit, pourrait nous conduire fort loin. Elle est de celles qui passionnent et qu'on n'abandonne point si on ne le fait brusquement. Laissons tous «< ces anges avec leurs ailes d'hirondelles et leurs plis de fer-blanc dans la friperie du moyen âge..... » comme dit M. Pfau. L'étude sur Wiertz est plus selon notre goût et appelle notre attention.

M. Pfau rend pleine justice à Wiertz; il le dit homme de génie, et avec raison; il l'accuse de trop vouloir faire dire à la peinture, et de se fourvoyer dans des problèmes philosophiques et humanitaires qui le troublent et empêchent la recherche d'un idéal purement artistique. Nous trouvons cette étude parfaite et la meilleure peut-être de tout le livre de M. Pfau. En quelques pages, ses idées se manifestent, avec une lucidité étonnante et dans une forme simple qu'on ne saurait trop louer.

« La poésie ne peut donner qu'une succession de détails : elle se meut dans le temps; l'art plastique ne peut donner qu'un ensemble momentané: il se meut dans l'espace..... » Et plus loin: «< Un apôtre du libre examen, par exemple, prêchant l'indépendance de la pensée humaine au milieu des horreurs de l'inquisition, voilà un combat héroïque qui montre la puissance de la lumière éternelle bien plus efficacement et qui remue bien autrement les entrailles, qu'un groupe d'anges et de diablotins se livrant bataille..... >>

Encore une fois, si nous voulions citer toutes les excellentes pensées du livre de M. Pfau, notre article deviendrait un volume il vaut mieux lire les Études sur l'art.

Α

:

propos du Congrès artistique d'Anvers, M. Pfau a écrit quelques lettres très-bien pensées et où l'on rencontre les éléments d'une philosophie saine, qui se développe en dernier lieu dans les études intitulées l'Art et l'État.

Nous croyons pouvoir résumer ces idées en quelques lignes... La dégénérescence artistique n'est pas seulement dans le styleen général et dans la grandeur des conceptions: elle est aussi dans le moteur artistique. L'art a été peu à peu ravalé à l'état de produit commercial et industriel. Il n'y a plus de principe moral, philosophique ou religieux, qui maintienne soit les écoles, soit les individualités, dans un certain milieu de sincérité et de passion. Banalité et vénalité sont les deux sentiments qui guident généralement les artistes. Un peintre est surtout grand aujourd'hui par le chiffre de « ses affaires, » et c'est aussi bien là le criterium du peintre et celui du public... Mais, selon M. Pfau, « Il ne faut pas trop accuser les artistes qui ne peuvent pas se soustraire à la loi générale, il faut plutôt s'étonner que sous des conditions si défavorables ils produisent encore des œuvres de mérite. Car si la pensée traverse le temps et l'espace, le sentiment ne peut pas se détacher de son milieu, et ce n'est pas le génie qui fait l'époque, mais l'époque qui fait le génie..... >>

Ces lettres sur le Congrès d'Anvers nous ont paru d'un ensemble excellent, disant bien les choses, et ne s'attardant point à trop creuser des questions qui étaient assez nettement posées pour qu'on pût y répondre nettement. Les études sur l'art belge sont incomplètes; mais on pardonne à M. Pfau, lorsqu'on a lu la troisième partie de son œuvre, l'Art et l'État, de ne s'être pas plus longtemps arrêté à dire combien nos artistes sont loin de la vraie voie, et quels efforts puissants il leur faudra faire pour revenir à un point d'où l'influence du procédé des maîtres pourra être vaincue par un esprit plus large et moins matériel, celui qui ne se contente pas du pastiche et cherche dans la création même les éléments de l'art du XIXe siècle.

Cette troisième partie, l'Art et l'État, est toute philosophique. Ici, l'auteur procède par déductions touffues; nous sommes dans un milieu plus élevé et moins facilement compréhensible..

Nous en avons compris cependant l'ensemble et la marche.. Nous y avons puisé des vérités fortes et délicates. Malgré le voile d'abstractions qui enveloppe ces études, qui sont comme le couronnement des principes de l'auteur, nous croyons avoir- | pénétré assez avant dans son raisonnement philosphique pour

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