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avait-il pris part au Compromis des nobles, mais il s'en était retiré, et il vivait paisiblement à Besançon, sévissant contre les calvinistes et protégeant les jésuites, lorsqu'il fut appelé par le duc d'Albe au gouvernement d'Anvers. Nonobstant ses liens de parenté et ses tendances, il fut presque toujours, chose remarquable, en opposition avec le gouvernement espagnol, dont il jugeait sévèrement les fautes et les abus. Placé ainsi entre le marteau et l'enclume, il fut molesté de deux côtés à la fois, et resta en butte toute sa vie aux récriminations, aux persécutions, aux calomnies. Requesens se plaint de lui à Philippe II; Champagney résiste avec habileté et avec courage à l'entreprise de Sancho d'Avila sur Anvers, puis il se réfugie à l'armée du prince d'Orange; il prend part à l'édit perpétuel de Marche; et il est accusé par le Comité des dix-huit créé à Bruxelles en 1577, arrêté par le peuple, menacé de mort, transporté à Gand où il subit une longue détention.

Cette vie singulière, fort bien racontée et parfaitement appréciée par M. de Robaulx de Soumoy dans la notice qui précède son livre, donne une physionomie particulière et une assez grande valeur aux écrits de Frédéric Perrenot.

Sous le pseudonyme d'Arélophile, le gouverneur d'Anvers raconte, dans un premier «< recueil » : « Par quels moyens les gens de guerre espaignols ammenez ès Pays bas, par le duc d'Alve, s'estans mutinez en iceux diverses fois, entrèrent en Anvers, le xxvj d'apvril XV LXXIIII, où ils commirent innumérables désordres; » et dans un second « recueil » : « Comme soubs le gouvernement du conseil d'Estat, après la mort du grand commandeur, la ville d'Anvers fut forcée par les mesmes Espaignols derechef mutinez, associez d'autres soldats estrangiers mercenaires dudit Roy. » Ces deux opuscules étaient devenus fort rares; leur importance historique est facile à comprendre après ce que nous avons dit de l'auteur. M. Motley juge que c'est la meilleure source à consulter pour l'histoire de ce qu'on appelle la Furie espagnole.

M. de Robaulx de Soumoy a complété cette publication par deux discours de Champagney, traduits de l'espagnol, et qui fournissent des données peu connues sur l'administration d'Alexandre Farnèse; par la réimpression d'un opuscule concernant les suites de la prise de Ziriczée par les Espagnols le

2 juillet 1576; par des mémoires de Champagney sur ses affaires particulières; par des lettres du même, écrites pendant sa mission en Angleterre, en 1576; et enfin par le Discours sur l'estat des Pays Bas et son redressement, donné au duc de Medina Céli lorsqu'il partit des dits Pays vers Espagne, par le seigneur de · Champagney l'an 1572.

Ce dernier ouvrage mérite d'être lu attentivement par tous ceux qui s'occupent de la révolution des Pays-Bas, car l'auteur ne peut être soupçonné de parti pris, d'opposition systématique. Les difficultés du sujet étaient alors ce qu'elles sont encore aujourd'hui, et l'écrivain les définit parfaitement dès le début, en constatant que « le mal est venu si avant qu'il ne pourroit quasi estre pis. » Grâce au voisinage de la mer et à la multitude des rivières, les Pays-Bas, pouvaient jouir aisément d'un accroissement considérable de population et de richesse, tant que les princes s'accommodèrent des exigences du commerce concernant la liberté et la sécurité. Ces princes dit Champagney, donnèrent au peuple «< plusieurs privilèges, exemptions >> et franchises, et dressèrent partout les guldes ou serments >> des villes, lesquels ils armèrent afin que les campagnes et » rivières fussent assurées et secourues de toutes violences et » brigandages, et que les voituriers fussent sûrs, et la plupart >> des habitants libres en leurs trafics assurés sur cette garde, » pour laquelle et pour la grande commodité de la communi>>cation et commerce, au commencement chacun se retira aux » villes; ils instituèrent aussi les kermesses, jeux d'arc, » rhétoriques et autres tels ébats, qui adoucissoient la tris» tesse du ciel du terroir, faisant voisines les villes et join» dre en amitié, croissant par là le trafic des unes avec les >>> autres. »

7.

Ce tableau charmant et vrai de la Belgique au moyen âge trouve sa contre-partie dans l'état que Champagney a sous les yeux. «< Depuis quelques ans en çà, dit-il, l'on a prétendu » d'ôter ces libertés et franchises aux marchands et peuples, » et a-t-on usé de toutes violences et outrages dedans les » mêmes villes plus marchandes, dont peu à peu avec autres >> misères toutes communications et plaisirs se sont convertis >> en crainte, suspicion et égard, retire (retraite) mêlé de tris» tesse, à cause des cruautés continuelles qui se présentoient

R. T.

21

» partout, tellement que cela a causé un àpartsoi et solitude » généralement. >>

L'auteur continue, de ce style sincère et net, à expliquer les causes de la révolution; il montre que les excès de la soldatesque espagnole devaient provoquer au soulèvement dans des villes accoutumées à se gouverner elles-mêmes, et que les impôts vexatoires déterminèrent enfin ce fait étrange, qui a l'apparence de la rébellion, et n'est, en réalité, que le résultat du désespoir.

Dans ces considérations et dans les remèdes qu'il propose, se révèle un esprit éclairé, modéré, sage, et lorsque l'on sait à quel parti appartient l'auteur, on ne laisse pas de trouver l'ouvrage des plus remarquables.

On voit que la Société de l'histoire de Belgique a la main heureuse, et que ses publications, comme nous le disions. en commençant, rendront d'incontestables services aux études historiques. Nous continuerons prochainement cet intéressant.

examen.

E. V. B.

Psychologie. La science de l'âme dans les limites de l'observation, par G. Tiberghien, professeur à l'Université de Bruxelles. In-8° de IV-784 pages. Bruxelles, Decq.

Il y a déjà une quinzaine d'années que M. Robert Blakey, dans son History of the philosophy of mind, t. IV. ch. V, parlant des philosophes belges, signalait M. Tiberghien, à propos de son Essai sur la génération des connaissances humaines, comme donnant la plus haute idée de son talent philosophique. M. Warnkoenig, à son tour, a publié, en 1857, dans la Zeitschrift für Philosophie und philosophische Kritik de M. J.-H. Fichte, une étude fort intéressante sur le mouvement philosophique en Belgique, où il analyse l'Esquisse de philosophie morale de M. Tiberghien, et où il rend pleinement hommage au professeur de philosophie de l'Université de Bruxelles. « M. Ahrens, dit-il,. trouva des partisans et parmi ceux-ci un élève plein de talent pour les études transcendantes. Cet élève, M. Tiberghien, se proposa comme but de sa vie, de défendre et de propager la philosophie de Krause. Il doit être envisagé aujourd'hui comme le centre de tout le mouvement philosophique. Quoiqu'il soit

connu depuis longtemps en Allemagne, sa grande importance n'est pas suffisamment appréciée chez nous. Encore étudiant, il publia, en 1844, un livre de 814 pages, remaniement d'un mémoire couronné, sous le titre de : Essai théorique et historique sur la génération des connaissances humaines dans ses rapports avec la morale, la politique et la religion; cet ouvrage forme une histoire détaillée des systèmes religieux et philosophiques depuis les temps les plus reculés, et se termine par l'exposition de la doctrine de Krause, comme point culminant du développement de l'idée philosophique. Il publia ensuite une Théorie de l'infini (1846) et enfin une Esquisse de philosophie morale, Bruxelles, 1854. Aujourd'hui M. Tiberghien est professeur de philosophie à l'Université libre de Bruxelles, où il déploie cette activité remarquable que nous avons déjà signalée et sur laquelle nous devons maintenant nous expliquer davantage. »

Nous pourrions encore ajouter que si M. Tiberghien est parvenu à acquérir un renom philosophique en Angleterre et en Allemagne, il est également apprécié en Espagne. Mais le passage que nous venons de citer suffira pour rassurer, nous l'espérons, le lecteur belge; il peut, sans se compromettre, reconnaître le talent de M. Tiberghien, puisqu'à l'étranger on le reconnaît. Il nous permettra aussi de lui signaler avec éloge le nouveau traité de La science de l'âme dans les limites de l'observation, sans encourir le reproche de camaraderie.

La connaissance exacte de la nature humaine, considérée dans toutes ses manifestations, est la base de la philosophie et, l'on peut ajouter même, de toutes nos connaissances. La première chose à faire, c'est de se connaître soi-même avant de s'aventurer plus loin. C'est là une de ces vieilles vérités, qui n'a pas besoin de commentaires, mais qui ne saurait être trop répétée. Car la plupart des systèmes philosophiques doivent leur imperfection, soit à ce qu'ils ont négligé de prendre la connaissance de l'homme pour point de départ, soit à ce qu'ils ne se sont pas arrêtés assez longtemps sur ces préliminaires indispensables, soit à ce qu'ils les ont perdus de vue. On comprend donc de quelle importance est cette branche de nos connaissances, et quel intérêt peut s'attacher à un livre de la nature de celui de M. Tiberghien, s'il est fait à un point de vue large et complet. Voyons si le nouveau traité remplit en effet cette condition.

Dans une introduction très-étendue, l'auteur envisage avant tout la nature humaine dans son ensemble, c'est-à-dire comme esprit et corps tout à la fois; « l'homme tout d'abord est un; c'est là un fait de sens commun; il n'a qu'une seule nature, une même essence, quelque multiples qu'en soient les manifestations; l'esprit et le corps ne sont que les expressions distinctes de cette unité; l'un et l'autre sont sous notre dépendance; la domination commune que nous exerçons sur eux prouve l'unité de notre nature; en tant qu'il est un, l'homme s'appelle moi; le mot moi s'applique à l'homme entier, esprit et corps, bien que le moi ne puisse être nommé et compris que par l'esprit. » Mais l'unité n'exclut pas la diversité, et ici nous arrivons à la distinction de l'esprit et du corps, distinction justifiée sur ce que l'esprit vit en soi et pour soi, tandis que le corps se déploie d'une manière continue dans l'espace, vit au dehors, obéit aux sollicitations extérieures; sur ce que l'esprit agit avec spontanéité, tandis que le corps a besoin d'un stimulant pour agir; sur ce que les esprits en s'unissant entre eux restent euxmêmes, tandis que les corps s'effacent et perdent leurs propriétés; sur ce que l'esprit se développe d'une manière volontaire et arbitraire, le corps d'une manière enchaînée et continue; sur ce que les œuvres de l'esprit se font partie par partie, ne sortent pas nécessairement les unes des autres, tandis que celles du corps forment un tout lié, découlent les unes des autres; sur ce qu'enfin les lois de l'esprit sont libres dans leur exécution, celles du corps fatales. Si l'unité n'exclut donc pas la diversité, la diversité à son tour n'exclut pas l'harmonie. L'esprit et le corps sont en rapport entre eux; leur union est conforme à l'essence propre de chacun d'eux; elle est immédiate ou directe; elle est intime, mais cependant dans des limites assez étroites, au moins dans l'état normal de la vie actuelle; «<l'esprit n'est habituellement en rapport intime de conscience et de sentiment qu'avec une partie du corps, avec le système nerveux, à l'exclusion des autres organes, et seulement avec le système cérébro-spinal, qui appartient à la vie de relation, c'est-à-dire avec les nerfs du cerveau, du cervelet et de l'épine dorsale, à l'exclusion du système nerveux ganglionnaire ou du nerf grand sympathique, qui appartient à la vie végétative.» Ce raport intime même éprouve des restrictions

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