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c'est à savoir, une intelligence qui, selon ses vues, aurait mis ces propriétés en œuvre, de telle ou telle manière, pour atteindre le but qu'elle se serait proposé.

Je ne reviendrai pas d'ailleurs sur cette opinion hasardée, que les organes n'ont aucune fonction à remplir, ou qu'ils ne jouissent d'aucune des propriétés qu'ils devraient avoir en conséquence et sans lesquelles, en effet, ces fonctions seraient impossibles.

VII. — Quant à la cause qui, selon ma manière d'envisager les choses, met en jeu, en évidence, chacune de ces propriétés (que l'on nie); qui la fait passer de la puissance à l'acte; qui produit ainsi le phénomène, instantané ou continu, par lequel elle se manifeste (et que l'on attribue à l'action de l'âme) : je ne conçois pas qu'elle puisse être rien de plus que de la matière en mouvement, en action. Je crois donc que tous les phénomènes qui s'accomplissent dans l'organisme, et particulièrement les phénomènes morbides, doivent être attribués à des causes physiques; par exemple la guérison de telle maladie, à l'action du quinquina ou de tel autre médicament; la maladie elle-même, à l'action délétère d'un air pestilentiel ou à telle autre cause capable d'attaquer l'organisme dans quelque-une de ses parties; le phénomène actuel de la digestion, à l'action des aliments introduits dans l'estomac, et qui mettent en jeu la propriété de digérer, qui la font passer de la puissance à l'acte. Je pense aussi, par suite de tout cela, que la philosophie médicale consiste principalement dans la recherche de toutes ces causes et des circonstances qui peuvent les modifier, ou plutôt modifier leurs effets. Mais cela n'est pas facile, voici pourquoi :

Nous savons bien, en général, qu'un phénomène, qu'un effet quelconque, ne dépend pas uniquement de sa cause efficiente, ou productrice, mais dépend aussi de ce que j'appelle sa cause conditionnelle, c'est-à-dire de l'ensemble des conditions et circonstances dans lesquelles la cause efficiente agit. En sorte que, si une même propriété peut se manifester sous diverses formes, ou par des phénomènes divers, c'est que les causes efficientes qui les produisent diffèrent elles-mêmes les unes des autres; et si une même cause efficiente peut produire des phénomènes divers, c'est que les propriétés qu'elle met en jeu,

c'est que les conditions ou circonstances dans lesquelles elle agit, ne différent pas moins entre elles que ces phénomènes entre eux.

Cela se conçoit et s'explique facilement lorsqu'il ne s'agit que d'un corps brut, parce que celui-ci demeure toujours, à très-près, semblable à lui-même, et que ses propriétés ne varient point, ne sont pas modifiées, d'une manière sensible du moins, par des circonstances inattendues. Ainsi, la cause conditionnelle d'un phénomène se réduisant ici à la seule propriété bien connue qui le contient virtuellement, et sa cause cfficiente étant assez simple pour être suffisamment et immédiatement connue comme telle, il sera facile de prévoir, ces deux causes étant données à priori, le phénomène qui en résultera comme réciproquement, le phénomène seul étant donné, on reconnaîtra sans peine, d'un côté, la cause conditionnelle, ou la propriété qu'il implique, qui le contenait en puissance, et de l'autre, la cause efficiente qui l'a produit, en faisant passer cette propriété de la puissance à l'acte.

Mais la difficulté est plus grande et la question plus compliquée en ce qui concerne les corps, les propriétés et les phénomènes organiques. Cela provient de ce que, d'une part, la cause productrice peut être plus ou moins composée, ou modifiée soit dans son intensité, soit dans sa nature, par des causes accessoires, qui échappent à l'attention ou même à la connaissance de l'observateur; et que, d'une autre part, il est presque impossible d'apprécier exactement, ou de bien connaître toutes les circonstances, souvent inaperçues, dont se complique la cause conditionnelle. Ajoutons, en troisième lieu, que chaque organe, que l'organisme entier change incessamment, dans ses propriétés et, d'une manière insensible, dans sa substance même.

Résulte-il de là, peut-on raisonnablement en inférer que les principes posés ci-dessus cessent d'être vrais, ou que le principe de causalité n'est point applicable ici? Par exemple, est-il permis d'admettre, avec certains physiologistes, qu'il y a des causes sans effet, c'est-à-dire qu'une cause existant réellement comme telle, il pourra se faire ou qu'elle produira, ou qu'elle ne produira pas son effet? Je n'hésiterais pas à répondre négativement à cette question. Toutefois ma réponse de vrait

être affirmative, si, en parlant de telle ou telle cause imparfaitement connue, on entendait par son effet, celui qu'on croyait devoir arriver car si l'effet prédit, ou que l'on attendait n'arrive pas, ce qui n'aurait rien d'extraordinaire, il en arrivera nécessairement un autre, que l'on n'attendait pas ; qu'on l'aperçoive ou non, qu'on y fasse ou qu'on n'y fasse pas attention : tout cela, du reste, dans la supposition que la cause ne sera pas sans action réelle sur la substance ou l'être que l'on considère, ou qu'elle sera véritablement cause à l'égard de cette substance; et que l'on tiendra compte de ce que peut faire ici la cause conditionnelle, dont le phénomène dépend aussi, quant à son intensité, à sa nature surtout, comme à son existence même; sans oublier qu'une même cause efficiente ne peut produire des effets parfaitement semblables, soit dans plusieurs substances, soit dans une seule à différentes époques, que si les causes conditionnelles dont ils dépendent sont identiques dans tous ces cas. Or, les êtres vivants diffèrent beaucoup entre eux sous ce rapport, et, dans un même individu, ces causes varient, pour ainsi dire, constamment. Il en résulte que leurs effets, dans un très-grand nombre de cas, ne sauraient être prévus. Mais cela ne conclut rien contre le principe de causalité, que je crois immuable.

Il ne faudrait donc pas poser en fait ou en principe l'opinion très-fausse qu'il peut y avoir des causes sans effet; opinion qui ne tendrait qu'à mettre un terme, un obstacle aux progrès de la philosophie médicale : il faut, au contraire, sans se laisser séduire ou décourager par ce prétendu principe, rechercher avec persévérance les causes inconnues, les véritables causes des phénomènes qui, quoique bien connus, paraissent inexplicables, et le sont peut-être dans l'état actuel de la science, c'est-à-dire dans l'état d'ignorance où l'on est encore, mais où l'on ne sera pas toujours.

Cependant, cette investigation, cette étude serait vaine, ou stérile, et par suite deviendrait tout à fait puérile et ridicule, s'il était vrai que tous les phénomènes de la vie organique sont dus à une fonction particulière de l'âme, qu'elle exerce à son insu, en agissant diversement suivant les circonstances, mais par elle-même, ou sans y être, en aucune façon, déterminée par ces circonstances, ni par telle ou telle cause.

VIII.

- En tout cas, si l'action de l'âme se réduit à produire les phénomènes organiques ou vitaux (c'est-à-dire, selon moi, à faire passer de la puissance à l'acte les propriétés organiques ou vitales, qui préexistaient nécessairement à ces phénomènes, puisque ceux-ci n'en sont que des manifestations actuelles), on ne conçoit pas comment cette action de l'âme, en tant que cause efficiente seulement; ou, ce qui est la même chose, comment l'âme, à titre d'agent producteur de ces phénomènes, serait, par cela seul, le principe de la vie : car, quelle que soit la cause efficiente des phénomènes vitaux, l'être organisé n'en sera ni plus ni moins vivant, et ses propriétés vitales (s'il en a, comme je le crois) n'en seront pas moins les mêmes dans tous les cas.

Admettons que c'est l'âme aussi qui a organisé la matière, et qui, en l'organisant, a, par là même, donné à chaque organisme les caractères (nous dirions les propriétés) qui le distinguent des corps bruts, en un mot, ce qui lui est propre : on n'en sera pas plus avancé. En effet, que le principe organisateur soit l'âme, ou que ce soit Dieu, ou que ce ne soit que la matière elle-même, toujours est-il que l'organisme, dans toute hypothèse, est un résultat des diverses combinaisons des éléments de la matière, et que ses propriétés ou caractères en dérivent. Sous ce rapport, il n'en est pas autrement des corps bruts.

Cela posé, nous demanderons si le principe organisateur est en même temps le principe de la vie; d'où l'on serait tenté et peut-être en droit de conclure, que la vie et l'organisation ne sont qu'une seule et même chose.

Si, cependant, ce sont deux choses distinctes ou différentes, qu'elles aient ou non un même principe, il faudra qu'on nous dise, et en quoi elles diffèrent, et ce que c'est que la vie, et ce qu'il faut entendre par principe de la vie, et si la vie dépend de l'organisation ou l'organisation de la vie, ou bien si elles sont réciproquement indépendantes, quoiqu'elles ne puissent. pas être l'une sans l'autre. M. Sales-Girons nous rendrait service, en répondant à ces questions préliminaires, qu'il faudrait examiner avant tout, et dont la solution est indispensable, si l'on veut se bien entendre et ne pas disputer sur des mots. En tout cas, supposé que l'on sache positivement quel est le principe de la vie ou de l'organisation, cela n'expliquerait rien

et ne ferait pas faire un seul pas de plus à la science. On ne peut, à cet égard, que proposer telle ou telle hypothèse, plus ou moins séduisante, pour amuser, sans jamais satisfaire notre curiosité.

IX. L'hypothèse la plus simple, la plus accessible à notre esprit (qui se sent lui-même cause finale) est celle qui serait fondée sur ce que l'organisme suppose évidemment, ou tout au moins paraît bien supposer, un dessein, un plan préconçu, par conséquent une intelligence qui conçoit et une volonté qui exécute; une intention, une fin, un but, et par suite encore, une prévision et une puissance sans bornes. Or tout cela ne se trouve qu'en Dieu concluez.

:

Tout en admettant, au fond, cette hypothèse, on pourrait la modifier, en supposant que Dieu n'a organisé la matière que par le moyen ou l'intermédiaire d'un autre agent, de l'âme, par exemple auquel cas il faudrait ou considérer l'âme comme un instrument aveugle entre les mains de Dieu, si l'on peut s'exprimer ainsi; ou bien attribuer à l'âme un pouvoir que Dieu lui aurait transmis, un instinct, si l'on veut, en vertu duquel, tout en agissant à son insu, ou sans avoir conscience de ce qu'elle fait, elle organiserait le corps qui doit lui appartenir, de la même manière que Dieu pourrait le faire par son intelligence, sa volonté, sa puissance et ses autres attributs. Telle est l'opinion des animistes sur le principe organisateur.

Il est une autre hypothèse fort difficile à concevoir et que je crois insoutenable : c'est celle des matérialistes qui, écartant toute cause intentionnelle ou finale, tout être intelligent ou simplement immatériel, en un mot Dieu et l'âme, attribuent à la matière la faculté de s'organiser d'elle-même.

Ce qui paraît vrai seulement, encore est-il permis d'en douter, c'est que les éléments de la matière, en se combinant de toutes les façons, et en acquérant par là diverses propriétés et manières d'agir, tendent naturellement à prendre une forme, organique ou autre; non telle ou telle forme déterminée, mais une forme quelconque, la première venue, ou plutôt la seule possible, dans les circonstances où le hasard les aura placés. Mais de là à une organisation effective, réalisée ou se réalisant, il y a loin, bien que cette tendance de la matière en soit peutêtre la première condition.

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