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maladie, tel accident, comment, en un mot, telle ou telle cause physique accidentelle, en frappant tel ou tel organe, en l'altérant, en le détériorant, en le désorganisant plus ou moins, c'est-à-dire, en lui faisant perdre, en tout ou en partie, la propriété spéciale qui en faisait un organe, peut-elle, par là même, affaiblir, altérer, sinon faire disparaître entièrement, telle ou telle faculté intellectuelle; ou la mémoire, ou l'imagination, ou la conception, ou la volonté, ou la conscience, ou tout cela ensemble, si tous les organes, y compris le cerveau, sont successivement ou simultanément attaqués ?

On résoudra cette difficulté, en disant que ce n'est pas à la maladie, à l'accident dont il s'agit qu'il faut attribuer tout ce désordre, tant physiologique qu'intellectuel, et que c'est l'âme seule qui fait tout, non par aucune cause déterminante, ni interne, ni externe, mais par elle-même et à l'occasion de cet accident, de cette maladie; que, par conséquent, c'est l'âme aussi qui altère ou détruit l'organe comme tel, qui désorganise le corps, comme elle l'avait organisé. Voilà, certes, une âme qui, gâtant ou détruisant, à la première occasion, son propre ouvrage, sans y être forcée, et pour ainsi dire à ses dépens, paraîtrait bien extravagante, si l'on n'avait pris soin de nous avertir qu'en pareille circonstance, elle agit toujours sans savoir ce qu'elle fait.

D'après cette hypothèse, ce qu'on appelle activité organique n'est, à proprement parler, ou en réalité, que l'activité de l'âme, en tant qu'elle se manifeste dans l'organisme. Ce n'est donc pas la matière organisée qui agirait en vertu des propriétés acquises par cette organisation; c'est l'âme qui agit en elle et pour elle. Tel est surtout le fait que paraît vouloir établir le rédacteur de la Revue médicale, autant que j'en ai pu juger par son article, qui n'est qu'une introduction à la critique qu'il veut faire, dit-il, d'une doctrine professée dans une autre revue. Ainsi c'est l'âme qui fait tout soit qu'en agissant sur elle-même elle produise ses idées, ses sentiments et même ses sensations (à l'occasion des objets extérieurs); soit qu'après avoir organisé la matière, elle agisse sur cette matière organisée, pour produire tous les phénomènes organiques.

En tout cas, si ces phénomènes, comme on le reconnaît en effet, sont bien réels, on ne peut pas, me semble-t-il, mettre

en doute l'existence réelle des propriétés qu'ils impliquent, des propriétés organiques, ou vitales, dont ils ne sont et ne peuvent être que des manifestations, des formes sensibles. Or, si ces propriétés elles-mêmes existent, je ne vois pas du tout par quelle raison les organes, aussi longtemps qu'ils les conservent, ou qu'ils ne sont pas intrinséquement altérés, ne pourraient pas agir, en vertu de ces propriétés physiologiques, tout comme agissent les corps bruts, en vertu de leurs propriétés physiques ou chimiques. Et, d'un autre côté, si dans. l'organisme on ne trouve rien de plus, en dernière analyse, que de la matière, je ne vois pas non plus pourquoi les phénomènes qui s'y accomplissent exigeraient une cause immatérielle, une fois la matière organisée, par cette même cause si l'on veut. On objectera sans doute que cela pourrait être vrai, si les organes possédaient les propriétés que nous leur supposons; mais que, s'ils n'en n'ont aucune, comme le pensent, en effet, les animistes, et plus particulièrement M. Sales-Girons, il faudra bien avoir recours à une cause immatérielle pour concevoir les phénomènes vitaux. C'est fort bien; mais il faudrait prouver d'abord que les organes sont nécessairement dépourvus de toute propriété physiologique, et on ne le prouvera pas en alléguant qu'un organe ou tout autre corps composé ne pourrait avoir telle ou telle propriété qu'à cette condition qu'elle existerait déjà dans la matière dont il est formé : car c'est là une erreur manifeste.

Il résulte aussi des hypothèses ci-dessus, que l'organisme, ou plus particulièrement le cerveau, ne pourrait pas agir sur l'âme; en sorte que l'action de l'âme sur le cerveau, sur l'organisme, ne serait pas réciproque, et qu'il y aurait ici action sans réaction. Au reste, cela n'est pas évidemment impossible : du moins ne pourrait-on pas le prouver en s'appuyant sur des faits tirés de l'ordre physique, par la raison fort simple que l'âme et le corps sont des substances essentiellement différentes; que, par conséquent, nous ne saurions dire si l'une des deux substances peut agir sur l'autre, tandis que celle-ci serait sans action sur la première en tout cas, nous ne comprendrions pas mieux leur action réciproque que l'action exclusive de l'une ou de l'autre.

On accorde cependant que le cerveau, ou l'organisme, n'est

R. T.

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pas sans influence sur l'âine, ce qui paraît un peu contradictoire, s'il ne peut pas agir sur elle. Mais admettons l'influence, ou même l'action réciproque des deux substances : celle que pourrait exercer l'organisme deviendrait complétement inutile, s'il était vrai que l'âme seule fait tout, soit dans l'âme ellemême, soit dans le corps. Et, par une juste conséquence de cette manière de voir, il en serait de même des propriétés vitales, qu'on devait également rejeter comme inutiles : en effet, à quoi servirait, par exemple, la faculté de digérer, que nous attribuons particulièrement à l'estomac, si ce n'est pas l'estomac qui digère, si la digestion est une opération de l'âme?

Cette doctrine, du reste, n'est peut-être pas, en tout, conforme à celle de M. Sales-Girons, et je n'ai nullement l'intention de la réfuter ici. J'ai fait entrevoir, dans une autre occasion, les difficultés qu'elle soulève, et je n'y reviendrai pas; je n'insisterai point sur des difficultés qui peuvent n'être qu'apparentes.

III. Je ne suis point d'ailleurs de ceux qui nient la possibilité même d'un fait, par cela seul qu'ils ne le conçoivent pas. On n'est en droit de nier formellement que ce qui est contradictoire en soi ou qui, tout au moins, implique contradiction dans notre esprit. Ainsi, bien qu'il soit difficile de comprendre comment deux substances de nature différente peuvent agir l'une sur l'autre, je ne nierai pas pour cela que leur influence ou leur action réciproque ne soit possible, parce que je n'y vois rien de contradictoire.

Il est, au surplus, bien d'autres difficultés non moins grandes que celle-là, et des faits, constatés par l'expérience, plus inconcevables que cette action réciproque; soit dans l'âme en ellemême, ou au dehors de ses relations, soit dans l'organisme développé, soit dans la matière brute. Ces difficultés sont nombreuses examinons-en quelques-unes, en commençant par celles que présentent les corps inorganiques,

Quand on mêle ensemble deux (ou plusieurs) substances différentes, amenées à l'état liquide par la fusion ou la dissolution, il en résulte une masse, liquide ou solide, ou apparence homogène. Celle-ci peut présenter deux cas tout différents. Ou l'on y reconnaît les caractères particuliers qui distinguaient les deux premières substances; c'est ainsi, par exemple, que dans

le café sucré on reconnaît parfaitement les qualités du sucre et celles du café alors l'union des deux substances ne forme qu'un simple mélange, et cela se conçoit sans peine. Ou bien on ne retrouve plus dans le composé aucune des propriétés distinctives des substances composantes, tandis qu'il en possède d'autres, qui n'existaient dans aucune des deux premières substances on dit alors que celles-ci se sont combinées, plus ou moins intimement, en vertu d'une affinité chimique. Or, d'une part, outre que nous ignorons en quoi consiste cette affinité chimique, en tant qu'elle serait autre que la force attractive qui affecte toutes les parties de la matière, nous ne saurions nous former la moindre idée de cette opération interne et mystérieuse connue sous le nom de combinaison intime; et, d'une autre part, on ne comprendra jamais comment deux substances peuvent, en s'unissant, en se combinant chimiquement, si l'on veut, en engendrer une troisième d'une tout autre nature, bien que formée seulement des deux premières. Comment concevoir, en effet, que le sel marin par exemple, le sel de cuisine, qui est si salutaire, d'une saveur si agréable, et dont l'usage, universellement répandu, nous est, pour ainsi dire indispensable comme l'air que nous respirons, est pourtant formé de deux autres corps, qui, séparément, seraient pour nous deux violents poisons?

Ce fait, incontestable, paraîtra, non-seulement incompréhensible, comme il l'est en effet, mais encore contradictoire aux yeux des hommes imbus de ce faux préjugé, qu'un organe ou tout autre corps ne saurait avoir telle ou telle propriété qui n'existerait pas dans les substances plus élémentaires dont il est formé. Nous venons de citer un exemple du contraire, et nous pourrions en citer mille au besoin.

Il suit de là que les éléments ou les parties de la matière, suivant leur disposition relative, sans doute, leur arrangement, leur proportion ou autres circonstances, peuvent engendrer tous les corps, quels qu'ils soient, sans acception de genre ou d'espèce, et, par suite, les douer de toutes les propriétés que nous y reconnaissons, ainsi que d'une infinité d'autres que nous ne connaissons pas. C'est là ce qui peut faire comprendre la fécondité inépuisable de la nature.

IV. Tout cela n'empêche pourtant pas qu'indépendamment

des choses inexplicables dont je viens de parler, par exemple des combinaisons chimiques, l'organisme n'en présente encore d'autres, qui lui sont propres. Nous connaissons les produits, ou les résultats des fonctions de chaque organe; de l'estomac, des intestins, du foie, des glandes sécrétoires, etc. : mais ces fonctions, ces opérations elles-mêmes sont pour nous autant de mystères, ni plus ni moins que la combinaison intime de deux substances hétérogènes.

Un fait général des plus étonnants, c'est que, d'un côté, tous les aliments, de quelque espèce qu'ils soient, dont se nourrissent l'homme et les animaux, se transforment, non toutefois immédiatement, ou sans modifications intermédiaires, en une même liqueur, le sang; et que, d'un autre côté, du sang déjà formé, absorbé par certains viscères ou certaines glandes, en ressort sous de nouvelles formes, toutes différentes les unes des autres, tant par leur aspect, que par les propriétés qu'elles recèlent. Ces transformations et d'autres, qu'il est inutile de mentionner ici, paraissent tout à fait incroyables.

Néanmoins, ce qui pourrait, jusqu'à certain point, en faire concevoir la possibilité, c'est cet autre fait, non moins surprenant, mais plus facile à saisir, savoir, que (les os mis à part) toutes les substances organisées, soumises à l'analyse chimique, ne donnent jamais pour résultat que quatre éléments au plus, quatre substances simples, je veux dire, indécomposables (par nos moyens d'analyses); et que ces substances élémentaires, qui sont le carbone, l'oxygène, l'hydrogène et l'azote, se retrouvent toutes quatre, en très-différentes proportions d'ailleurs, dans toutes les matières animalisées, même dans celles des animaux et des hommes qui se nourrissent exclusivement de végétaux, quoique ceux-ci ne contiennent point d'azote : d'où provient-il, dans ce dernier cas? On l'ignore.

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V. Expliquera-t-on ces faits embarrassants et tant d'autres, en faisant intervenir l'âme dans la vie organique; en supposant, par exemple, que les fonctions très-diverses attribuées aux organes ne sont toutes effectivement qu'une fonction de l'âme, qu'elle exerce à son insu? L'âme est-elle donc si parfaitement connue, que l'on sache précisément ce dont elle est capable; que l'on puisse, en conséquence, sans crainte de se tromper, lui assigner tel ou tel rôle dans l'organisme vivant? Et, par là,

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