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à côté d'autres époques moins bien connues, leur donne une double valeur.

Est-il quelqu'un qui ne connaisse ces grands épisodes de notre xve siècle : Philippe le Bon, victime à Bruges d'une violence inouïe; la bourgeoisie de Gand, abîmée dans la plaine de Gavre?... qui ne les ait entendu citer comme les deux expressions les plus marquées du plus cruel despotisme et de la plus excessive fureur populaire? Mais sans sortir de notre histoire, il est bien d'autres épisodes signalés par d'aussi grandes violences, compagnes inséparables de toutes les révolutions. Ceux-là mêmes qui, étrangers de toute manière à notre nation, en profitent pour faire peser sur elle un odieux reproche de turbulence et de cruauté, pourraient sans peine trouver chez eux des périodes qui, pour être aussi violentes, ne sont pas consacrées par la défense d'une si belle cause.

Un grand événement vint mettre fin à cette lutte et assurer désormais l'autorité ducale en Flandre. La bataille de Gavre fut le dernier coup porté aux communes. Dès ce jour, les ducs de Bourgogne purent pour longtemps marcher tranquilles dans la voie qu'ils se proposaient. La ruse et la force leur avaient également aidé à briser l'obstacle qui s'était dressé devant eux.

Il est bien difficile de faire dans ces événements la juste part de blâme et de louange que mérite chaque parti. Cette tâche, je le répète, nous est surtout difficile à nous, qui jouissons du fruit de la politique de Philippe le Bon, qui lui devons presque notre nationalité. Mais si nous tâchons de nous renfermer dans les limites de l'histoire proprement dite, si nous faisons abstraction complète de l'état actuel des choses, c'est sur lui, je crois, que nous devons faire peser tout le blâme.

Que fit-il en réalité? Il travailla à ruiner le pays, en abaissant les communes il lui enleva même tout espoir de se relever de longtemps. Chaque peuple a son esprit particulier. Chez les uns, le principe d'autorité l'emporte : la liberté devient à l'instant démagogie, et le pays, n'ayant

plus de lien qui le retienne, court bientôt à sa ruine complète. Chez d'autres au contraire, et en Belgique surtout, la liberté semble innée: elle est la condition essentielle de toute prospérité. Privées de leur indépendance, nos grandes villes du xve siècle pouvaient être comparées à ces fleurs dont parle le poëte, et qui, du moment où le zéphyr cesse de les caresser de son souffle vivifiant, s'étiolent lentement sur leurs tiges.

Quand les communes relevaient énergiquement l'étendard des Van Artevelde, elles étaient loin de céder à ce sentiment vague et instinctif, qui porte souvent les peuples à s'avancer imprudemment dans la voie de la liberté ; elles ne cédaient pas même, comme on l'a dit, à une sorte d'égoïsme qui les poussait à résumer la patrie en elles, autour de leur beffroi; elles cherchaient à défendre, plus que leurs priviléges, plus que leur prospérité : elles défendaient leur existence.

IV

Cependant, à l'abri des étranges événements qui bouleversaient alors l'Europe, le duché de Bourgogne, augmenté successivement de presque toutes les provinces belges et hollandaises, avait pris une extension et une importance politique des plus remarquables. Ce n'était plus la province française, enclave imperceptible d'un grand royaume, c'était un vaste État, dont l'indépendance était consacrée par les traités les plus solennels.

La paix d'Arras en effet lui avait attribué des avantages considérables. Sans compter de nombreux accroissements de territoire, elle lui avait accordé une autorité morale, à laquelle aidait aussi sa position tout à fait exceptionnelle.

Placé entre la France et l'Allemagne, et retenu envers le roi et envers l'Empereur par les liens d'une vassalité plus fictive que réelle, prêt à décider de la lutte, s'il se joignait à l'un ou à l'autre ennemi, à mettre entre eux une

barrière formidable, s'il gardait la neutralité, il devait nécessairement exercer une grande influence sur ces deux Etats. Mais l'Empire, plus en dehors de la sphère politique où s'agitait alors l'occident de l'Europe, y avait donné moins de prise que la France.

L'Angleterre et les républiques commerçantes de l'Italie, liées de tout temps avec les cités flamandes par les relations commerciales et par une certaine communauté d'idées et d'institutions, avaient reporté toutes ces sympathies à l'État puissant dans lequel nos provinces avaient été englobées.

Propagé ainsi à travers toute l'Europe, le nom de Philippe le Bon, le grand duc d'Occident, devint le nom le plus populaire, le plus respecté de ces temps. A lui s'adressaient tous ceux qu'opprimait quelque injustice ou quelque préjugé. C'est à lui que s'adressait l'Église, sans cesse attentive aux maux des chrétiens en Orient, et demandant sans cesse au magnanime duc de nouvelles croisades. Mais toutes ces demandes ne rencontraient qu'une vaine protection et d'inutiles serments. L'ancien esprit de chevalerie était à tout jamais disparu.

Et pourtant que de tentatives ne faisait-on pas pour le relever! L'ancienne chevalerie avait, en se brisant, laissé éparses à la surface de l'Europe, une foule de petites corporations isolées, qui avaient cherché chacune à retrouver l'antique esprit et l'antique splendeur de l'ordre. La France, l'Allemagne, l'Angleterre, avaient successivement vu s'élever ainsi des ordres distincts de chevalerie, véritables légions d'élite, où se rencontraient dans une imposante fraternité, les chefs de toutes les grandes maisons du pays, tous les plus braves et tous les plus nobles.

Il en est un qui devint en quelque sorte universel, laissant bien loin derrière lui tous les ordres royaux et impé riaux, et qui, après avoir traversé quatre siècles, au milieu des plus terribles révolutions, a néanmoins conservé quelque prestige chose singulière, c'est la Toison d'or, fondée par le duc de Bourgogne.

R. T.

Cette institution, on peut le dire, ne contribua pas peu à donner à Philippe le Bon sa popularité européenne. Maître d'un puissant ordre, auquel tout homme éminent aspirait alors, il put exercer avec d'autant plus d'autorité une influence directe sur son époque.

Mais c'est principalement dans ses rapports avec la France que l'on doit considérer le duc de Bourgogne. C'est là qu'on verra naître et grandir le germe destructeur de tant de puissance.

Le traité d'Arras avait formellement reconnu l'indépendance de la Bourgogne, mais bien que cet état de choses portât des fruits pour la prospérité de nos provinces, un moment arriva où il servit à attirer l'ennemi au sein même du duché.

Quelle part prit le jeune Louis XI aux funestes dissensions qui éclatèrent alors, quelle action exerça-t-il sur les querelles qui divisèrent Philippe le Bon et son fils? ce sont des questions à poser à une chronique intime de chaque jour, de chaque instant. Toujours est-il que, à la mort de Charles VII, lorsque le dauphin reprit le chemin de la France, il avait une marche politique tracée l'avenir lui appartenait. Il avait lui-même porté les premiers coups à son rival, il savait quels coups lui seraient portés encore; il avait préparé un à un tous les éléments de sa perte. Il ne restait qu'au hasard ou à sa propre habileté à les rassembler, et à élever la digue contre laquelle devaient venir se briser toute la force et tout le courage de Charles le Téméraire.

Ces menées n'étaient pourtant point restées secrètes; mais le vieux duc n'avait plus,' pour les empêcher, l'ardeur et la persévérance de sa jeunesse. Seul, le comte de Charolais avait puisé dans la violence de ses passions une haine profonde pour le futur roi de France.

Maître absolu du gouvernement pendant les dernières années de son père, il se laissa entraîner dans la ligue du Bien public. Il se mit au service de la féodalité française, et lui aida à lutter contre le roi. Mais au moment même

où il croyait tenir la victoire, elle lui échappa presque entièrement. Vainqueurs tons deux et vaincus à la fois, les deux rivaux se séparèrent plus tranquilles, grâce à quelques trompeuses concessions, pour aller chercher de nouveaux aliments à leur haine.

Enfin, le 15 juin 1467, Philippe termina à Bruges un règne de cinquante ans. Surnommé le Bon, par une de ces étranges anomalies qui se remarquent dans les surnoms donnés aux princes, on peut dire qu'il fut tout ensemble l'auteur et le destructeur de l'élévation de sa race.

Après lui, la lutte allait recommencer avec la France. Mais, hélas! on ne devait plus revoir les brillantes journées, les glorieux triomphes d'autrefois. Le peuple et le pouvoir suivaient chacun maintenant une route opposée. Philippe le Bon avait élevé entre eux une barrière infranchissable.

V

L'œuvre de Philippe le Bon était loin d'être achevée, quand la mort vint le surprendre. Charles le Téméraire, doué des mêmes dispositions, instruit par les exemples de son père, ne pouvait permettre qu'elle restât incomplète. Il allait la reprendre avec toute l'énergie qui avait manqué aux dernières années de son prédécesseur.

Jamais, dès les premières années de son règne, Philippe le Bon n'avait cessé de suivre une même et unique marche; aussi, comme on peut s'en souvenir, il avait eu à traverser deux ou trois phases qui avaient nécessité de sa part d'immenses efforts. Maintenant une dernière crise se présentait, offrant les caractères de toutes les autres, c'est-à-dire de la lutte avec les souverainetés voisines et de la lutte avec les communes. Nous voulons parler des guerres avec Liége, entreprises déjà sous le règne précédent, et signalées alors par les plus terribles excès.

La cause qui armait les Liégeois était celle qui avait autrefois armé les gens de Bruges et de Gand. Un coup d'œil jeté sur leur histoire suffit pour le prouver.

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