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communes un champ de bataille, où elles s'établirent victorieusement. La victoire de Courtrai montra à la bourgeoisie flamande ce qu'elle était et ce qu'elle pouvait faire. Entrée d'une manière aussi brillante sur la scène politique, elle ne voulut plus en redescendre, et abandonner un rôle qu'elle se sentait la force de remplir dignement. Méconnaissant l'autorité de ses comtes, prête à l'anéantir même, elle imprima au gouvernement la direction qu'elle savait être le plus favorable à son commerce et à son industrie.

De là une fatale division devait s'élever le pouvoir comtal et les communes, qui jusqu'alors avaient marché de front, se séparèrent violemment. Les comtes cherchèrent à briser l'espèce de tutelle que faisaient peser sur eux leurs villes. Résignés à tout pour récupérer leur ancien pouvoir, ils allèrent se jeter dans les bras de la France; ils se joignirent à leur plus cruelle ennemie.

La Flandre alors s'isola entièrement; aux menaces des Valois, elle opposa l'appui des rois d'Angleterre. Un homme d'un imposant génie la dirigeait dans cette marche : tout faisait pressentir l'établissement d'une vaste et puissante république. Mais protégées par une très-grande liberté, naissaient et grandissaient d'anciennes haines, d'anciennes rivalités; libres de toute contrainte, livrées entièrement à leur propre essor, les communes s'étaient, à la mort de Van Artevelde, livrées au pouvoir d'une ochlocratie d'autant plus formidable qu'elle contenait des germes profonds de discorde et de désunion. Non-seulement chaque ville se concentrait en elle-même, mais elle se mettait en lutte ouverte avec ses voisines et ne reculait devant aucun moyen pour abaisser une rivale. En présence d'une pareille anarchie, rien ne pouvait subsister de ce qu'avaient édifié avec tant de peine Van Artevelde et ses glorieux prédécesseurs.

Et pourtant un jour encore la Flandre sut se reconstituer en partie; car un immense danger venait de se montrer pour elle. Non, ce dernier grand acte de la vie des com

munes, cette dernière et terrible révolution de notre xive siècle, ne fut pas provoquée par quelques motifs vains ou frivoles, comme l'augmentation d'un impôt, l'obtention de quelques priviléges. Ce que l'on combattait ainsi, ce qu'on repoussait avec tant de vigueur, c'était la France et son esprit d'autorité despotique et unitaire, personnifiés dans la future domination des ducs de Bourgogne, c'était la perte probable d'une nationalité, qui allait être enclavée au milieu de pays étrangers.

Malheureusement il était trop tard. Bien des dissensions subsistaient encore, ou avaient laissé de trop profondes traces pour se faire entièrement oublier! Bien des forces avaient été usées dans de funestes guerres civiles, bien des sources de succès à jamais taries!

Le 18 décembre 1385, Gand, devenu le dernier refuge de ceux qu'avait épargnés la terrible défaite de Rosebeke, se rendit au duc de Bourgogne, devenu comte légitime depuis la mort de Louis de Male, et une nouvelle ère commença pour la Flandre.

Les deux premiers règnes de la maison de Bourgogne eurent peu d'influence sur la Belgique. Philippe le Hardi et Jean sans Peur, princes essentiellement français, donnèrent tous leurs soins et toute leur attention aux affaires du royaume, et laissèrent la Flandre jouir d'un profond repos, au milieu des luttes des Valois contre les monarques anglais. Occupés tout entiers à saisir une part dans les affaires de la France, certains de ne pouvoir obtenir aucun appui d'un peuple avec qui ils ne s'étaient pas encore complétement identifiés, et qui ne les regardait pas comme des souverains nationaux, ils ne cherchèrent qu'à s'assurer de sa tranquillité.

A l'abri des nombreux priviléges accordés dans ce dessein par les deux ducs, les villes flamandes, restées après Rosebeke épuisées et anéanties par un effort audessus de leurs forces, reprirent quelque importance. Le commerce et l'industrie, garantis par des traités avec la France, regagnèrent promptement leur splendeur.

L'ancien esprit communal semblait complétement étouffé. Seulement, dans les dernières années du duc Jean, quelques indices étaient venus indiquer son prochain réveil. Mais le duc, sûr que sous son règne il ne grandirait point assez pour mettre obstacle à ses projets personnels, avait négligé de s'en occuper.

Telle était donc la situation qui se présentait au jeune Philippe le Bon. Sans parler des événements extraordinaires qui se préparaient dans toute l'Europe, ni même de l'état des provinces bourguignonnes proprement dites, tout paraissait présager à la Belgique une époque nouvelle. Le moment approchait où elle allait sortir de cet état incertain, qui datait de deux règnes, et qui lui avait permis de reprendre ses forces. Dans quel sens allaient marcher ses destinées? Nul encore ne pouvait le prévoir. Nul ne devinait la politique du nouveau duc.

II

L'assassinat de Jean sans Peur au pont de Montereau imprima un caractère imprévu à la lutte que soutenaient les ducs de Bourgogne contre les Armagnacs. Ce qui auparavant n'était qu'une guerre de prince, de parti à parti, devint pour tout le pays une question d'intérêt et d'honneur.

Quels que fussent leurs sentiments, quel que fût leur désir de garder encore une stricte neutralité, les communes flamandes ne pouvaient rester indifférentes au meurtre de leur comte; elles étaient poussées forcément, en quelque sorte, sur le terrain de cette grande conflagration. On peut dire que ce fut une des premières causes de l'immense puissance de cette maison et de sa rapide élévation.

Pour la première fois, le peuple se groupa sous la bannière de son duc; pour la première fois, il embrassa une même cause, il s'identifia avec lui dans une même pensée. C'était le premier lien qui rattachait la Flandre à ses nouveaux souverains.

Le duc Philippe, alors âgé de vingt-trois ans, jouissait d'une popularité que n'avaient obtenue ni son père, ni son aïeul. Élevé au milieu des populations flamandes et doué, malgré son jeune âge, d'une remarquable sagacité, il avait été plus à même de connaître l'esprit du pays et de s'y conformer. Cachant encore les hardis projets qu'il mûrissait, il cherchait à s'assurer la bienveillance des villes, bien décidé pourtant à s'opposer à leurs tendances, le jour où il pourrait marcher sans elles.

Nous ne raconterons pas ici les péripéties de cette lutte sans exemple, qui vit à la fois le plus complet abaissement et le plus brillant triomphe de la monarchie française. Nous n'entrerons pas non plus dans de stériles discussions pour déterminer le rôle immense, et toujours contesté, qu'y jouèrent les Belges. De plus importantes considérations nous réclament, le moment approche où pour la première fois va se former une Belgique.

Les ducs de Bourgogne possédaient à un haut degré cet esprit d'agrandissement et de centralisation, qui a toujours distingué la maison de France. Toute leur histoire en est une preuve manifeste. Parvenus déjà à réunir dans leurs mains la Bourgogne, l'Artois et la Flandre, ils devaient nécessairement chercher à rassembler ces nombreuses provinces, qui les entouraient sans qu'un véritable lien national les unît, et à en faire un tout vaste et puissant. C'est à cette politique qu'ils devaient leur élévation actuelle, c'est à cette même politique qu'ils demandaient leur élévation future.

Philippe le Hardi et Jean sans Peur ne s'en étaient jamais départis; mais au milieu des intérêts si graves qui les préoccupaient, obéissant à une sorte d'instinct de race plutôt qu'à un dessein suivi, ils s'étaient bornés, pour ainsi dire, à planter les jalons qui devaient un jour indiquer la route à leurs successeurs.

Philippe le Bon, en qui s'était personnifié tout l'esprit de sa famille, avait fait de cette unité le but constant et invariable de toute sa politique. Un moment les devoirs.

du fils avaient fait oublier les projets du souverain. Mais bientôt il avait su saisir avec habileté l'occasion de les reprendre. Son influence était assurée, à l'intérieur du pays comme sur les États voisins. Il pouvait commencer le grand ouvrage de l'unification, l'œuvre qui allait le rendre immortel dans l'histoire.

Chose remarquable! on dirait que les circonstances. aident à préparer les voies vers une fin assignée. De toutes parts, les familles princières s'éteignent autour de Philippe le Bon. Ceux des souverains qui semblent les plus déterminés à préserver leurs trônes de cette attraction exercée par la maison de Bourgogne, voient leur résistance même devenir une arme contre eux. Vaincus dans un combat inégal, ils deviennent malgré eux les principaux et les plus solides instruments de la puissance qu'ils veulent abattre.

Cette résistance malheureuse et d'autant plus opiniâtre qu'elle semble avoir moins de chances de succès, se personnifie alors dans un remarquable caractère de femme. Pendant toute sa vie, Jacqueline de Bavière lutte contre l'influence redoutable et souvent peu loyale de Philippe le Bon, et par sa lutte même, elle ne fait que l'augmenter

encore.

Qui ne connaît dans ses moindres détails, cette vie aventureuse, qui semble vraiment une page arrachée d'un de ces vieux romans de chevalerie, pleins de personnages extraordinaires et de récits merveilleux? Qui ne s'est senti pris d'intérêt pour cette malheureuse princesse, victime en même temps que complice de la politique du puissant duc?

Trop louée, il est vrai, par quelques-uns, Jacqueline de Bavière n'a pas mérité non plus le blame qu'on lui a si souvent infligé. Où tant d'historiens n'ont vu que de frivoles caprices, n'y a-t-il pas eu un ferme but; et, au lieu de la taxer de légèreté, au lieu de toute appréciation pire encore, ne faudrait-il pas reconnaître en elle un courage et une fermeté dignes des plus grands éloges? Sa

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