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Sur ce front pâle et froid je le vis déposer
Comme au front d'un enfant un chaste, un long baiser,

Et, les regards levés au ciel comme pour rendre
Le ciel même témoin du parti qu'il va prendre,
Saisir la main de Lise endormie en sa main,
Lui raffermir au doigt le gage de l'hymen,
Et, d'un ton que j'entends encore à mon oreille,
D'une voix dont jamais je n'ouïs la pareille
Dont l'écho me revient fidèle après vingt ans :
« Que béni soit le ciel, dit-il, j'arrive à temps!

» C'est qu'elle allait mourir si je tardais d'une heure! >>

Chacun le regardait dans la pauvre demeure.

<< Oh! regardez-le bien, vous l'avez tous connu !
C'est bien lui, c'est bien Pierre, à la fin revenu
Pour réparer des torts qu'elle-même pardonne,
Louer, glorifier le ciel qui la lui donne

Et la rendre à l'amour plus fort que le trépas !
Qu'est-ce qu'ils disaient donc qu'il ne reviendrait pas ! »

Puis, m'attirant à part et le doigt sur la lèvre :

« Vous savez ce que c'est, monsieur, qu'un peu de fièvre, » Et vous me jurerez n'avoir rien entendu. »

Mes pleurs avaient pour moi d'avance répondu.

Il nous prit par le bras les uns après les autres,
Nous rangea près du lit, et, les yeux sur les nôtres,
Satisfait, radieux et comme triomphant :

Allons, Lise, dit-il, embrasse notre enfant!

Et l'honnête garçon, le sourire à la bouche,

Lui tendant au-dessus de son étroite couche
L'enfant dont le regard sous le sien s'enflammait,
Attendait le réveil de celle qui dormait!

Je partis, emportant dans mon âme ravie
Un des beaux souvenirs qui restent de ma vie,
Et, maintenant encor, tant de jours écoulés,
Tant de riants tableaux d'ombre à demi voilés,
Je ne retrouve pas dans les scènes passées
Où le moindre incident reporte mes pensées,
Aussi loin que du cœur je puisse remonter,
Un trait aussi touchant, aussi noble à citer,
Et qui de plus doux pleurs ait mouillé ma prunelle.

Depuis lors, j'ai laissé la cité maternelle
Et n'ai pu qu'une fois visiter ce hameau,
La place de l'autel au pied du vieil ormeau,
La villa dans les prés, dès lors inhabitée,
Dont l'herbe avait déjà désuni la montée
Et que défendait mal un reste de cloison,
Tandis qu'à l'endroit même où fut l'humble maison
S'élevait, dominant la campagne voisine,
Entre de larges murs une superbe usine

Qui donnait de quoi vivre aux pauvres d'alentour,
Où Pierre, heureux, aimé, riche enfin à son tour,
De toute sa famille assurait le bien-être.
J'aurais voulu le voir, l'embrasser... mais peut-être
Est-il des souvenirs qu'il vaut mieux garder seul
Et comme ensevelis dans leur chaste linceul.

Ce n'étaient plus ces champs, cette ingrate nature,
Cet aspect besogneux d'un terrain sans culture,
Ces arbres mal venus, ces chaumes délabrés,
Ces sillons que la craie et la marne ont zébrés;
Ces pâtres fainéants, rustres et misérables,
Mais des bois en rapport, mais des plaines arables,
Et de blanches maisons et de joyeux enclos,
Tout un monde nouveau sous mes regards éclos,

R. T.

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Tant le travail conduit avec intelligence

Peut tirer de trésors du sein de l'indigence!
Ceux que j'avais connus enfants, étaient grandis,
Et le sol, amendé par leurs efforts hardis
Avait fait de ce tuf, de ces terres en friche
Des plaines du pays la plaine la plus riche.

J'en bénis le Seigneur, dont se sentait la main
Dans ce grand résultat d'un labeur surhumain
Attestant que toujours, et plus tôt qu'on ne pense,
Une bonne action trouve sa récompense.

ADOLPHE MATHIEU.

LA DOMINATION

DES DEUX DERNIERS

DUCS DE BOURGOGNE

EN BELGIQUE.

Trois époques principales se dessinent dans notre histoire. La première est celle des communes; les deux autres sont la domination de la maison de Bourgogne et la révolution du xvie siècle. Chacune d'elles a son caractère propre, ses effets particuliers; mais bien que diverses dans leurs éléments et dans leurs influences, elle semblent concourir toutes trois à un but funeste, toutes trois s'unissent et s'enchaînent pour mener insensiblement la Belgique à une ruine presque complète.

Placée entre deux époques absolument différentes, entre les deux tendances les plus opposées que puisse offrir la vie d'un peuple, la domination de la maison de Bourgogne, comme toutes les périodes de transition, offre matière à de curieuses études, à de profonds enseignements.

Deux règnes la caractérisent complétement et réunissent dans le court espace d'une soixantaine d'années, toutes les gloires et toutes les fautes d'une domination d'un siècle. Philippe le Bon et Charles le Téméraire ne sont pas seulement les deux représentants les plus fidèles de

l'esprit de cette puissante famille de Bourgogne : c'est à eux qu'on doit faire remonter directement toutes les influences bonnes ou mauvaises qu'elle a exercées sur la Belgique.

Cette époque plus qu'aucune autre de notre histoire est difficile à juger. Son peu de durée et son immense importance, la diversité des événements et des caractères qui s'y mêlent sans cesse, et même une certaine auréole de grandeur qui l'entoure, et, par ses reflets brillants, nous en dénature souvent les véritables couleurs, ont contribué à en faire une sorte de problème que l'on n'est pas encore parvenu à résoudre d'une manière satisfaisante.

Aussi, plus que nulle autre, elle repousse tout jugement prématuré; plus que nulle autre, elle exige qu'avant de donner aucune louange ou d'infliger aucun blâme, nous nous livrions à une étude impartiale des faits, et surtout de leurs causes et de leurs résultats.

I

A partir de l'avénement des ducs de Bourgogne au comté de Flandre, on voit disparaître l'extension politique qu'avaient prise nos villes pendant le xive siècle. Née sur le champ de bataille de Courtrai, la puissance communale tomba à Rosebeke frappée d'un coup mortel.

Les cités flamandes s'étaient de tout temps signalées par des institutions et des tendances libérales, que n'avait point le reste de l'Europe. Dès leur origine, elles avaient cherché à s'isoler, à s'émanciper. Mais elles n'étaient pas immédiatement entrées en lutte directe avec les comtes et la féodalité. Elles avaient attendu une occasion favorable, qui leur permît d'attaquer avec succès un pouvoir encore trop fort pour elles.

Cette occasion se présenta le jour où les comtes en vinrent aux prises avec les rois de France. Impuissants à soutenir le choc de la chevalerie française, les barons de Flandre durent se retirer, et laisser ainsi ouvert aux

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