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de me douter que l'abandon momentané de J... allait me jeter dans un grand embarras. Toujours grâce à mon air foreigner, c'est à qui me prendra mon sac, c'est à qui me criera « Sir, will you have a cab?... Cab, sir?... Com» missionner?... Cab, sir... » (Monsieur, voulez-vous un fiacre?... Voiture, monsieur?... Commissionnaire?... Voiture, monsieur?...) Celui-ci prend l'air le plus engageant, celui-là me tire par la manche, un cocher ouvre sa voiture, je vais y être fourré bon gré, mal gré; enfin, je me rappelle une phrase d'un vieux marin et je m'écrie: << Let me alone, dammit! » (Laissez-moi seul, sacrebleu!) Mon discours éloquent mais très-peu parlementaire produit un effet immédiat... Il sera de courte durée; j'entends déjà un faible: Cab, sir?... Ils vont revenir à la charge; me faudra-t-il donc débuter par le coup de poing dans le pays traditionnel de la boxe?... Heureusement J... arrive, et me voilà débarrassé! Nous arrivons chez lui. Un bon souper m'attend. J'en ai bien besoin! A dix heures et demie, j'allai me coucher, mon cher Guillaume, et je me dis en m'étendant dans mon lit : Voilà une journée bien remplie et un long voyage fait bien rapidement!

DEUXIÈME LETTRE.

Greenwich. Le monument Bellot.

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Le parc. Greenwich.

- L'observatoire.

- L'hôpital royal de Greenwich. Le good-friday (vendredi saint) à Blackheath. Le vaisseau-hôpital le Dreadnought.

Greenwich, le 18 avril.

Je m'éveille. Il est sept heures. J'ai bien dormi. Le soleil dore les châssis de mes fenêtres. J'entends le chant des oiseaux dans les arbres du jardin de l'Hôpital royal. Je me trouve gai, bien reposé; je me demande si cette heureuse disposition d'esprit ne sera que momentanée, car involontairement les citations de certains écrivains se représentent en foule à mon esprit La brumeuse Angle

terre!... Le pays du spleen! Il faut convenir que ce beau soleil, le doux gazouillement des oiseaux, le parfum de l'aubépine, ces brillantes gouttelettes de rosée pendant comme des diamants à chaque brin d'herbe, sont une première et fort éloquente protestation contre les assertions hasardées de ces fidèles chroniqueurs voyageant au coin de leur feu..

A huit heures, je déjeune. J'ai demandé du café au lait; le café est passable, le pain et le beurre sont exquis, les œufs sont frais. Dans un charmant petit pot, j'aperçois un liquide transparent, pâle-bleu, que mon hôtesse, avec la plus grande ingénuité du monde, veut me faire avaler pour du lait. Elle le croit, la bonne femme. Elle est née à Greenwich, n'en est jamais sortie que pour aller à Londres, elle n'a peut-être jamais vu de lait pur. Je lui dis en souriant : « That milk is blue-water, more transparent than the water of the Thames. » (Ce lait est de l'eau bleue, plus transparente que l'eau de la Tamise.) A huit heures et demie, au moment de sortir, mon hôte, sorte de vieux brave homme, s'empresse, tout en m'ouvrant la porte, de me dire les phrases consacrées : « Good morning, sir. Good morning. Did you sleep well, sir? Very well indeed. Beautiful day. Yes.» (Bonjour, monsieur. Bonjour. Avez-vous bien dormi, monsieur? - Très-bien, en vérité. Une belle journée. - Oui.) Et je ferme la porte en jetant cette dernière affirmation. Il avait, lui aussi, un air radieux, c'est donc bien un sentiment local et non une disposition qui m'est particulière.

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Greenwich (Grenovicum) est une charmante ville de 30 à 35,000 habitants, sur la rive droite de la Tamise, dans le comté de Kent, à six milles du pont de Londres. Elle est bien bâtie, très-peuplée, les rues y sont larges, bien entretenues; le commerce y est florissant; de nouvelles résidences s'élèvent chaque jour sur Blackheath et iront dans un temps non éloigné rejoindre Charlton. Il y a de belles églises catholiques et anglicanes. L'Observa

toire royal dans le parc donne le premier méridien en Angleterre et chaque jour, à midi, l'heure exacte par la descente lente d'un globe, fixé sur un poteau placé au sommet d'une des tours; ce signal observé de Londres, est répété dans tout le royaume. L'administration de l'Hôpital royal a fait bâtir des carrés de belles maisons formant terrasses; la première en venant de la rivière, se nomme Romney-Terrace, une autre Haddington-Terrace; elles ont la vue sur ce splendide palais converti en asile pour les marins anglais invalides. Les maisons y sont charmantes, leurs habitants louent des appartements à des prix relativement fort raisonnables; beaucoup de directeurs, d'employés, de commis de Londres, habitent cette jolie ville. De sept heures du matin à minuit, des trains partent de la station et y arrivent toutes les vingt minutes; un billet pour aller à Londres et retour le même jour, en première classe, ne coûte qu'un shelling (1,25); on peut même y prendre des abonnements à l'année, ce qui réduit encore de deux tiers la dépense; j'y ai connu des garçons de 12 à 15 ans, abonnés à la deuxième classe, allant tous les jours aux colléges ou écoles à Londres. Indépendamment de ce moyen, d'innombrables petits bateaux à vapeur tels que le Penguin, le Martin, le Fairy, le Stork, l'Osprey, etc., véritables hirondelles, font le service de Chelsea à Woolwich et vice versa, et vous portent à London-Bridge pour quatre pence.

L'endroit où je suis en ce moment aura, je pense, toute ma prédilection. C'est la terrasse même du débarcadère, je viendrai m'y asseoir souvent, pour de là pouvoir admirer à loisir cette belle rivière qu'on nomme la Tamise, dont les Anglais sont si fiers à si juste titre, et qui mieux que le Pactole roulant des flots d'or mythologiques, leur apporte sur ses flots les richesses des quatre parties du monde. A côté de la terrasse est un simple et élégant monument élevé au lieutenant Bellot. Ce mausolée en forme d'obélisque, du granit d'Écosse le plus beau, d'un admirable poli, porte une inscription en mémoire du

brave lieutenant Bellot, de la marine impériale de France, qui périt victime de son dévouement à la recherche de sir John Franklin.

Mais, mon cher Guillaume, si jamais vous allez à Greenwich, il faut réserver toute votre admiration pour ces palais qu'on nomme l'Hôpital royal! Quelle masse imposante! Quelle richesse! Cette vue, mon ami, suffit à elle seule pour vous dire ce que c'est que l'Angleterre et vous faire pressentir les grandes choses qu'à chaque pas l'on y rencontre. Il n'y a pas de mots pour exprimer ce qu'il faut penser d'une nation qui récompense et loge ainsi les marins qui ont eu l'honneur d'être à son service.

Dans tout le cours sinueux de la Tamise, parmi les scènes si variées et si pittoresques que présentent ses bords, aucune construction, aucun bâtiment n'a peutêtre, aux yeux du visiteur, un aspect plus majestueux que l'hôpital de Greenwich. Il en est dont les détails d'architecture peuvent être d'un style plus élevé; d'autres, qui sont entourés de sites champêtres mieux calculés pour leur prêter du charme : mais la vue de l'asile des marins, du côté de Londres ou de Blackwall, ne manque jamais d'apparaître comme quelque chose de grand et d'imposant. La réputation de l'Angleterre comme puissance maritime est encore rehaussée dans l'opinion des étrangers, lorsqu'ils apprennent qu'un tel palais est destiné aux marins qui ne peuvent plus combattre pour leur pays!

J'entre dans le palais... Après avoir gravi de larges perrons, traversé de riches pelouses comme il n'y en a qu'en Angleterre, je me trouve dans un carré central, et en regardant les quatre masses d'architecture nommées respectivement d'après les rois Charles, Guillaume, les reines Anne et Marie, je puis me retracer toute l'histoire de cette immense construction. Jadis s'élevait à cette même place un autre palais nommé Placentia. C'est de ce manoir que Henri IV data son testament en l'année 1408. Henri V en fit cadeau au duc d'Exeter, qui y mourut en 1426. Il fut ensuite octroyé par Henri VI à son oncle le duc de Glou

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cester, qui obtint en 1433 la licence royale de fortifier et embastiller le manoir et d'y créer un parc de deux cents acres. Bientôt après, il rebâtit le palais et l'appela le Manoir de Plaisance. Il fit entourer le parc de clôtures et érigea une tour sur l'emplacement où se trouve bâti l'Observatoire. A la mort du duc de Gloucester, en 1447, il retourna à la couronne. La reine Marie (la Marie sanglante) était née à Greenwich en février 1516; elle y fut baptisée quelques jours après, ayant pour parrain le cardinal Wolsey. A son avénement au trône d'Angleterre (1553), ce palais devint sa résidence d'été favorite. La reine Elisabeth, fille de Henri VIII et de la malheureuse Anne de Boleyn, y était née le 7 septembre 1533.

Il ne reste plus aujourd'hui aucun vestige de ce palais. Charles II, l'ayant fait abattre pour sa complète vétusté, voulait faire bâtir à sa place un monument d'un aspect plus grand, plus noble. Il ne réussit qu'à faire élever cette partie de l'hôpital actuel qu'on nomme King Charles's Building (le bâtiment du roi Charles), et qui est l'aile du côté de Londres. La reine Anne fit élever la seconde aile qui porte le nom de Queen Ann's Building (bâtiment de la reine Anne). Ce fut sous Guillaume d'Orange et la reine Marie, sa femme, que le palais fut achevé et reçut sa destination d'hôpital royal pour les marins invalides. Sir Christophe Wren, l'éminent architecte de la cathédrale Saint-Paul, offrait ses services gratuits. Un arrêté royal de 1695 décréta l'achèvement du palais par la construction des deux bâtiments nommés bâtiment du roi Guillaume et bâtiment de la reine Marie, et son appropriation comme hôpital royal maritime.

Le personnel de cette grande institution se compose de : un gouverneur, un lieutenant gouverneur, cinq capitaines, huit lieutenants, deux chapelains, un physicien ou médecin consultant, deux chirurgiens, trois aides-chirurgiens, un pharmacien, deux aides-pharmaciens, un secrétaire, un caissier, un intendant, un commis aux écritures, un commis aux travaux, trois matrones et cent et soixante infir

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