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Qu'enlevaient leurs pieds nus au sable des sillons,
Et qui, vers moi montant en épais tourbillons,
M'avaient fait tout d'abord dévoyer de la route.

Dans la haie, à deux pas, se creusait une voûte
Où sur un bloc distors en autel transformé
Allait se dandinant un vieux Christ enfumé.
Un suif graisseux et sale y tenait lieu de cierge;
Des images de saints, un portrait de la Vierge
Attachés d'une épingle à quelque étroit cordon
Aux secousses du vent flottaient à l'abandon,
Sans cesse ramenés par leur lien fragile
Sur un carnet ouvert figurant l'Évangile.

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Pour l'autel! Je passai mon chemin. Pour l'aute!!
Me criaient les enfants avec un accent tel
Que je me retournai tout ému.

Du plus jeune

Le visage amaigri témoignait d'un long jeûne;
Un autre, au dos courbé, s'avançait en boitant;
Un troisième suivait leurs traces, haletant;
Un quatrième enfin (je crois qu'ils étaient quatre)
Sur le chemin poudreux finissait de s'ébattre
Et pour se relever tentait un vain effort.

Et toujours les enfants, criant, criant plus fort,
Les yeux, les bras tendus, s'obstinaient à me suivre.

Je leur mis dans la main quelques pièces de cuivre.
Aucun d'eux n'y jeta seulement un coup d'œil,
Mais d'un taudis voisin ils franchirent le seuil
Frappant l'air des éclats de leur voix argentine,
Pour en sortir bientôt flanqués d'une tartine
Où leur franc appétit mordait à toutes dents.

Le logis était triste au dehors. Au dedans
Une femme cousait à la fenêtre, assise
Dans un pâle rayon de lumière indécise
Que tamisait à peine au travers du rideau
Un papier maculé de larges taches d'eau.

J'entrai. - C'était d'un sombre à vous navrer dans l'âme.

Un homme âgé fumait auprès de cette femme,
Les pieds dans le foyer, les regards au plafond,
Calme et grave, absorbé dans sa pensée.

Au fond,

Dans des pots égueulés, quelques plantes de mauve
Devant un maigre lit jeté dans une alcôve
Dont le cintre saillant s'élevait en arceau.

Près de là vagissait un enfant au berceau,
Un autre dans un coin rajustait sa toupie;

Sur le lit reposait une femme assoupie
Qui, soudain éveillée au seul bruit de mes pas,
Faible, les yeux vitreux et ne s'expliquant pas
Quel hasard lui valait ma visite imprévue,
Sur moi languissamment laissa tomber la vue.

Elle était belle encor, mais de cette beauté
D'une fleur qui se fane aux ardeurs de l'été
Et que l'aube demain retrouvera mourante;
Sa peau d'une blancheur limpide, transparente,
Entre les fins circuits de ses veines d'azur

Rappelait le poli du marbre le plus pur;

En anneaux serpentants ses longues nattes blondes
Sur son cou délicat faisaient renfler leurs ondes;

Son œil tout grand ouvert, fixe, me regardait.
Au rebord du grabat son bras droit s'accoudait
Et laissait dans sa main retomber non sans grâce
Sa tête qu'un mouchoir de ses replis embrasse.

L'homme s'était levé, m'interrogeant des yeux.

J'approchai. Je lui fis comprendre de mon mieux
Quel intérêt puissant, quelle pitié sincère
M'inspirait le tableau d'une telle misère.

Que puis-je, mon ami, dis-je

pour votre bien?

Il regarda sa fille et ne répondit rien,

Mais elle, d'une voix qu'un sanglot entrecoupe :
Dieu veut que des douleurs j'épuise donc la coupe
Et que tout me rappelle à mon dernier moment
Que d'autres de mes torts portent le châtiment !
Oh! va, ne maudis pas ton enfant, ô mon père,
Le ciel, qui nous punit, pardonnera, j'espère.
Cette chambre au pourtour sinistre et désolé,
Cette chambre où depuis tant de pleurs ont coulé,
N'a pas toujours offert cet aspect triste et sombre;
Un éclair de bonheur jaillissait dans cette ombre.
Mon père était robuste alors, et travaillait;
Deux vaches, au fenil, nourrissaient de leur lait
Les enfants, et ma mère en pouvait au village
Vendre de quoi payer à tous notre écolage.
Des plus rudes travaux rien qui me rebutât;
Je n'avais pas douze ans que j'appris un état.
Père, mère, gagnaient chacun autant que gagne
Le plus fort ouvrier qui soit à la campagne ;
Le temps leur manquait-il? j'y suppléais pour eux,
Et nous étions alors, sinon riches, heureux.

Je grandis et gagnai chaque mois davantage,
Bénissant Dieu des biens dont il fit mon partage
Et ne prévoyant pas dans cet avril en fleurs
Ce que le lendemain me réservait de pleurs.

Bien que de l'atelier à notre humble demeure

Il fallût pour se rendre au moins trois bons quarts d'heure, Jamais on ne me dit : « Lise, tu reviens tard. »

Et pourtant...

Une larme obscurcit son regard,
Comme si, comparant du fond de sa pensée
Sa détresse présente à sa splendeur passée,
Un trouble inexprimable agitait son esprit.

Elle glissa la main sur ses yeux, et reprit :

Quand je m'en revenais au sein de la famille
En longeant le vieux cloître, au dôme de charmille,
Où l'on retrouve encor dans un recoin obscur
Une informe chapelle à l'angle d'un long mur,
Un jeune homme toujours était là pour m'attendre
Et me dire «< Bonsoir » de sa voix la plus tendre.
Le salut échangé, moi, je hâtais le pas,

Me retournant pour voir s'il ne me suivait pas,

Et je rentrais. Mes sœurs accueillaient ma venue

D'un long cri : « C'est toi, Lise! » et leur troupe ingénue Accourait, se pendant à moi pour m'embrasser.

Jours de paix, jours sereins, qui n'ont fait que passer,
Hélas! comme un éclair dans l'ombre de ma vie !

Quelquefois cependant de loin j'étais suivie,
Mais je n'y prenais garde et riais à part moi
D'un manége après tout fort innocent en soi;

Je le croyais du moins. Et pourtant ce jeune homme
M'intriguait bien un peu dans le fond. Voilà comme
Nous sommes toutes. Quoi de plus simple en effet?
Un jeune homme vous suit, le grand mal! On n'a fait
Qu'en rire! Un jour se passe, un autre lui succède;
Un même et seul penser sans trève vous obsède.
On ne l'a qu'aperçu dans l'ombre, et l'on croit voir
Dans l'ombre à chaque instant son profil se mouvoir.
Il est beau, bien tourné, vif, sémillant et brave;
Le moindre de ses traits en notre âme se grave,
Et dans mille, à coup sûr, on le reconnaîtrait;
De notre ange gardien c'est le vivant portrait,
Et sa vie est en tout si liée à la nôtre
Qu'on n'existerait plus séparés l'un de l'autre.

Bien des soirs de printemps s'écoulèrent ainsi,
Quand un jour, à l'endroit accoutumé, voici
Qu'il vient à moi...

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Monsieur! Pardon, mademoiselle...

Au ton dont il me parle, à son pas qui chancelle
Je sens mon cœur se fondre et demeure sans voix.
Je m'arrête. Il poursuit : c'est la première fois
Que j'ose (pardonnez!) prendre cette licence,
Mais différer d'un jour n'est plus en ma puissance,
Il faut partir; demain j'aurai quitté ces lieux.
Rien ne vous restera de moi que mes adieux
Si la plus vive ardeur n'a pu toucher votre âme.
Sous les drapeaux demain le sort qui me réclame
Au métier de soldat m'enchaîne pour toujours
Si, mon terme expiré, je ne puis à mes jours
Assigner le seul but où j'ose encor prétendre. -

J'éprouvais, imprudente! un tel charme à l'entendre
Que ma voix se perdit en murmures confus
Lorsque je pris sur moi d'essayer un refus.

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