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Remarquons, en terminant, que c'est une vieille femme qui, dans Aucassin, comme dans l'Érotocritos, fournit aux deux personnages les moyens de se déguiser sous la couleur des Maures.

Reste la langue de ce poëme.

Aux plus beaux temps de l'hellénisme, la Crête parlait le dialecte dorien.

C'est le témoignage des grammairiens. O Kpñtes Δωρίεις ἐκαλοῦντο (*). Ce dialecte en usage dans tant de pays, avait des nuances variées. Celles qu'il affectait dans la Crète n'ont pas échappé aux philologues (2) Hésychius relève des expressions qui ne sont employées que par les habitants de cette île; ἀκακαλλίς designe la fleur du Narcisse, ἅμακις remplace chez eux ἅπαξ, ἀνάφαια s'emploie pour une boisson chaude, εύαδω pour ἅδω, ἔχον pour ἔχουσι, θίος pour θεός. S'ils appelaient Diane, βριτόμαρτις, c'est que μάρτις designait chez eux une jeune fille; μoptós avait le sens de βροτός. Πήριξ pour πέρδιξ, σεἶναι pour θεῖναι, συνενίπαντι pour úμnavτes, telles sont les particularités principales qu'Athénée et d'autres lexicographes ont relevées dans le langage de cette île. Arhens (3) a découvert dans le dialecte crétois une forme d'accusatif masculin pluriel primitif en ors au lieu d'ους, ἵππονs pour ἵππους. Ce mairien s'appuie sur la forme perуEUTάvs qu'il cite comme

(1) Maittaire, Græcæ linguæ dialecti, édit. Sturz, XLII.

gram

(*) Οὐ μεν ἀλλὰ καὶ, ὡς Κόρινθος ἐν τοῖς περὶ διαλέκτων φησὶ, εἰδέναι δεῖ, ὅτι Δωρίδος πολλαί εἰσιν ὑποδιαιρέσεις τοπικαί. "Αλλως γὰρ Κρῆτες διαλέγονται, καὶ ἄλλως Ρόδιοι, καὶ ἄλλως, Ἀργεῖοι, καὶ ἄλλως Λακεδαιμόνιοι, ἑτέρως δὲ Συρακούσιοι καὶ Σικελοί... Διαφέρει ἡ τῶν Κρητῶν διάλεκτος ᾗ νῦν κέχρηται Κυψέλας καὶ ἡ τῶν Λακώνων, ᾗ κέχρηται Αλκμάων, Σώφρων. Maittaire, ibid., p. XLII, XLIII, notes 7 et 8. Grégoire de Corinthe, dit: Il faut savoir qu'il y a plusieurs divisions du dialecte Dorien. Les Crétois parlent autrement que les Rhodiens, autrement que les Argiens, les Lacédémoniens, les Syracusains et les Siciliens. Le dialecte Crétois qu'emploie Cypselas et celui des Laconiens qu'employent Alcman et Sophron sont différents. En somme, dit Codricas, il y avait quinze dialectes connus du Dorien. Meλétŋ, etc., p. 64. (*) De Græcæ linguæ dialecticis, t. II, § 14, I, cité par Bopp, t. II, p. 55.

crétoise, pour conclure que, dans la première déclinaison, non-seulement les masculins, mais encore les féminins avaient la désinence avs (1).

On pense bien que le désordre du moyen-âge n'était

pas fait pour dissiper ces bizarreries du langage crétois. Elles n'ont fait qu'augmenter, comme partout en Grèce. Aujourd'hui encore, certains mots, certains tours de l'idiome de cette île sont d'une difficulté réelle même pour les hellènes. A moins d'en avoir fait une étude spéciale, on n'est pas en état de comprendre couramment cette langue. Aux changements généraux qui sont survenus dans le grec, il s'est ajouté dans cette île des déviations du lexique qui sont propres aux habitants de la Crète, le dorisme antique n'est pas aujourd'hui l'une de ces moins surprenantes rencontres. D'Ansse de Villoison a fait remarquer par une courte note écrite de sa main sur l'exemplaire qui lui a appartenu et qui est à la Bibliothèque nationale, que les formes doriques abondent dans ce poëme. Ainsi, l'on rencontre sans cesse τως pour τούς et pour τῶν, ἐδά pour ἤδη.

Kourmouzas, qui a passé deux ans en Crète de 1828 à 1830, a publié quelques observations sur cette île. Il les a fait suivre d'un petit lexique d'expressions qui diffèrent de celles des autres pays. Plusieurs sont employées par l'auteur d'Érotocritos. Il ajoute que les Crétois ont l'esprit aisé, qu'ils font les vers avec une facilité naturelle, qu'ils choisissent de préférence des sujets amoureux, que souvent il s'engage entre un jeune homme et une jeune fille une sorte de lutte poétique, où les vers se succèdent en enchérissant les uns sur les autres, comme dans les anciennes compositions amo bées de Théocrite. Il ajoute encore que la lyre est

(1) Bopp. Gram. Comp. t. II, p. 55.

l'instrument commun dont les Crétois se servent, qu'ils en jouent avec talent; il est bien rare, dit-il, qu'il y ait un village sans un ou deux joueurs de cet instrument. Ce sont les caractères que nous remarquons également dans notre poëme, c'est du luth λayouté qu'Érotocritos s'accompagne en chantant ses sérénades devant le palais du roi.

Comparé à celui d'autres ouvrages écrits en romaïque antérieurs ou postérieurs au temps où il a paru, le style de Vincent Cornaro peut passer pour être des meilleurs. Si sa langue est déformée, comme l'était alors celle de toute la Grèce, il faut reconnaître qu'elle a gardé le caractère national avec une étonnante persistance. Elle n'est pas trop encombrée de mots italiens, on n'y rencontre aucune de ces expressions bizarres dont l'introduction était due à la domination des Turcs on peut dire que ce poëme serait, avec quelques corrections, un texte de langue romaïque. Les poëtes qui tiennent encore à l'usage de cet idiome populaire, et qui voient avec regret disparaître devant les progrès d'un hellénisme classique, les traces d'une poésie spontanée et ingénue, estiment beaucoup ce poëme : ils n'ont pas tort.

C'était par excès d'amour pour le grec rajeuni et purifié, grâce aux efforts de Coray, que J. Rizos-Neroulos portait un jugement sévère sur l'Érotocritos. Il disait :

Le roman poétique d'Érotocritos l'idylle intitulée la Bergère, le poëme du Sacrifice d'Abraham, la tragédie d'Ériphile, une traduction d'Homère et quelques autres poëmes rimés, de la même époque, pèchent par la trivialité de leur style, par une servile imitation de la littérature italienne, et par leur fastidieuse prolixité. Ces premiers essais d'une poésie nouvelle manquent totalement de physionomie, de nationalité, de couleur locale, on n'y trouve aucune trace de l'étude des anciens, aucune notion des règles. Quelques étincelles de

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verve poétique, font tout le mérite de ces compositions informes, tombées dans un juste oubli. Ces paroles sont de 1828 (1). Celui qui les prononçait, craignait que la Grèce n'eût pas assez d'horreur pour le temps de son esclavage et pour les œuvres nées dans ces tristes circonstances. Le danger n'est plus le même aujourd'hui. La Grèce, qui n'a plus de crainte pour son indépendance, regarde avec intérêt les poëmes qui ont servi à conserver sa langue et l'espoir de la liberté future. On peut donc en appeler de ce jugement de Rizos-Neroulos, et, pour le poëme d'Érotocritos, il me semble qu'on peut le casser.

(1) Jacovaki Rizos-Neroulos, cours de littérature moderne donné à Genève, 1828.

ANECDOTA HELLENIKA (1).

Tant que les Hellènes ont eu besoin d'intéresser l'Europe à leur sort, ce sont les noms de leurs plus glorieux ancètres qu'ils n'ont cessé d'invoquer. C'est à Platon, à Sophocle, à Périclès, à Phidias, à Homère, qu'ils ont voulu faire plaider la cause de leur indépendance.

Ils ne pouvaient pas choisir de plus illustres et de plus éloquents avocats. Alors ils ne regardaient qu'avec un mépris mêlé d'horreur les temps malheureux où ils avaient péri sous les Turcs. Tout ce qui venait de cette époque leur paraissait odieux et ils en repoussaient jusqu'au souvenir.

Aujourd'hui qu'ils sont assez forts pour vivre tout seuls; qu'ils ont fait des révolutions et soutenu fièrement les menaces de la Sublime-Porte, ils cessent de remuer selon l'expression d'un allemand, la poussière de Marathon, et l'histoire de leur moyen âge commence à les occuper. C'est à ce retour d'attention sur les années qui ont précédé ou suivi immédiatement la chute de Constantinople que les ouvrages de M. Sathas, doivent leur naissance.

C'est en 1865 que M. Constantin Sathas a commencé à se faire connaître. Il étudiait alors la médecine à Athènes, lorsqu'il entreprit de publier la chronique de Galaxidion, ou l'histoire d'Amphissa,

(1) 2 vol. in-12 par M. Constantin Sathas. Athènes, 1867.

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