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Origène n'était pas un simple traducteur, son travail était la critique du texte des Septante, il y faisait des changements, il y rétablissait des omissions. En tête de chaque traduction, il en indiquait l'histoire, chaque ouvrage avait ses prolégomènes et la marge était couverte d'observations exégétiques et critiques. Ce vaste travail, qui était demeuré près de cinquante ans enfoui dans un coin de la ville de Tyr, fut placé par Eusèbe et Pamphile, dans la bibliothèque de Pamphile-le-Martyr à Césarée. C'est là que Saint Jérôme le vit (1).

Dans le troisième siècle, Saint Lucien, prêtre d'Antioche, avait essayé de restituer le texte vulgaire (xon) des Septante, en prenant l'original hébraïque pour base de son travail (2).

Saint Jérôme parle aussi d'une édition critique des Septante, faite dans le IIIe siècle par un évêque d'Egypte, nommé Hésychius. Il dit qu'elle fut introduite dans les églises de ce pays; il les cite ordinairement sous la dénomination de exemplar Alexandrinum (3).

Enfin, une autre révision du texte des Septante fut faite dans le IVe siècle par Saint Basile, évêque de Césarée (*).

Le voyage de Jérôme dans l'Orient, son séjour à Alexandrie, à Constantinople, à Césarée, le mirent à même d'acquérir des connaissances, qui lui devenaient indispensables dans la grande tâche qu'il entreprenait. Il s'y exerça dans Rome par des conférences qui renouvelèrent le goût et l'intelligence des saintes écritures. Des femmes mêmes s'attachèrent à ses leçons (5), et le

(1) Schoell. ibid. p. 54.

(2) Schoell. ibid. p. 56. (3) Schoell. ibid. p. 56.

(4) Schoell. ibid. p. 56.

(5) L'une d'entre elles, Paula, parlait grec. On le voit par cette circonstance de sa mort rapportée par Saint Jérôme dans son épit. 96. « Quumque

soutinrent dans son travail. Ce fut surtout dans sa retraite de Bethléem qu'il s'y adonna tout entier (1). Il n'en était distrait que par les soins de la charité. C'est ainsi que dans une lettre à Eustochie (la XXXIV, liv. I, dans le recueil du P. Canisi), il gémit sur les malheurs de Rome, il reçoit les exilés qui abandonnent cette malheureuse cité envahie par les barbares. « Quibus quoniam opem ferre non possumus, condolemus et lacrymas lacrymis jungimus : occupatique sancti operis sarcina, dum sine gemitu confluentes videre non patimur, explanationes in Ezechiel et pene studium omne omisimus: scripturarumque cupimus verba in opera vertere : et non dicere sancta, sed facere. Unde rursus a te commoti, o Virgo Christi Eustochium, intermissum laborem repetimus; et tertium volumen agressi, tuo desiderio satisfacere desideramus...”

Avant de traduire l'écriture sainte sur l'hébreu, Saint Jérôme avait donné en latin, une version corrigée avec soin sur les Septante, non de l'édition commune, mais de celle qu'Origène avait mise dans les Hexaples, qui était beaucoup plus correcte, et dont on se servait dans le chant des offices divins des églises de la Palestine (*).

a me interrogaretur cur taceret, cur nollet respondere, an doleret aliquid, Græco sermone respondit: nihil se habere molestiæ, sed omnia quieta et tranquilla perspicere. Elle savait très-bien l'hébreu ainsi que sa fille Eustochium. (Hieron. Esther, præfat.)

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(1) Il ne faut pas oublier que « pour payer sa bienvenue aux habitants de Bethléem, il ouvrit dès son arrivée une école gratuite de grammaire, à laquelle accoururent tous les enfants de la ville. (Ruf. Apol. II, apud Hier.) Il y enseignait le grec et le latin. Ramené par devoir aux livres de sa jeunesse, qu'il avait tant chéris et tant maudits, quittés, repris aussitôt et quittés encore, il les ressaisit de nouveau avec une passion toute juvénile. Virgile, les poètes lyriques, les poètes comiques, les orateurs, les historiens, les philosophes, Cicéron, Homère, Platon, devinrent sa lecture journalière; et il ne laissait pas de les relire pour les expliquer, retrempant son génie à ces sources du beau et du grand, en même temps qu'il les ouvrait à des intelligences actives et neuves, avides de sentir et de savoir. (Am. Thierry, p. 257.) Jérôme faisait aussi copier des manuscrits de littérature profane par les moines du mont des Oliviers que Rufin dirigeait.

(2) Abrégé de l'Hist. ecclés. Utrecht 1748. t. II, p. 222.

Si Saint Jérôme blåmait les erreurs d'Origène, il estimait beaucoup son

Quant aux livres du nouveau testament, tous écrits en grec originairement, à l'exception de l'Evangile selon Saint Mathieu, qui, paraît-il, a été d'abord rédigé en hébreu (1), ils se lisaient dans des versions latines très-diverses, dans une quantité de manuscrits répandus dans l'église. Il s'y était introduit bien du désordre au point qu'on avait même confondu les quatre évangélistes, en n'en faisant qu'un des quatre et en rapportant à l'un ce que disaient les autres (2).

Le pape Damase engagea donc Saint Jérôme à revoir le nouveau testament sur le grec. A l'exemple d'Origène, Saint Jérôme ne fit pas qu'un simple travail d'interprète (3). Il lui fallut une critique exercée et étendue pour se débrouiller de toutes les difficultés qui s'offraient à lui. Il lui fallait se déterminer entre les nombreux exemplaires latins, en suivre un seul qui méritât de devenir la règle de la foi. Il fallait, en outre, rétablir les passages que l'ignorance ou la négligence des copistes avaient altérés. Saint Jérôme se borna à revoir sur le grec les évangiles de Saint Mathieu, de Saint Marc, de Saint Luc et de Saint Jean, les seuls qu'il reconnût authentiques. Il les corrigea sur les plus anciens manuscrits grecs auxquels il se conforma tellement qu'il n'y

talent d'interprète : « Ego Origenem propter eruditionem sic interdum legendum arbitror quo modo Tertullianum, Novatum, Arnobium, Apollinarium, et nonnullos ecclesiasticos scriptores Græcos pariter et latinos ut bona eorum eligamus, vitemusque contraria. » (Epit. 53).

(1) Schoell. ibid. p. 77.

(3) Abrégé de l'Hist. Ecclés. Utrecht, 1748, t. II, p. 223.

(3) Ses commentaires paraissaient trop littéraires en Occident, et la routine s'étonnait des soudaines révélations qui en jaillissaient. Enfant des grecs par la doctrine, il faisait passer dans l'idiome latin le tour vif et spirituel de leur langage, et ces fleurs de style qui s'accommodaient bien d'ailleurs à son génie : Jérôme fut l'initiateur de la chrétienté Occidentale à la grande exégèse biblique. Aussi, les esprits d'élite que l'Italie et la Gaule produisaient, surent, par leur vive admiration, le dédommager des dénigrements vulgaires...ll avait, en effet, bien des ennuis à subir, et il disait en réponse à de méchantes critiques : « Quanto magis ego Christianus, et de parentibus Christianis natus, et vexillum crucis in mea fronte portans, cujus studium fuit omissa repetere, depravata corrigere, et sacramenta ecclesiæ puro et fideli aperire sermone, vel a fastidiosis, vel a malignis lectoribus non debeo reprobari? » Job. Præfat. (Am. Thierry. ibid. p. 409.)

changea que ce qui lui parut en altérer le sens. Il adressa son ouvrage au pape Damase, en joignant à l'exemplaire qu'il lui présenta dix tables qu'Ammonius d'Alexandrie et, à son exemple, Eusèbe de Césarée avaient faites en grec, pour trouver tout d'un coup le rapport ou la différence qu'il y a entre les évangélistes (1).

Ces travaux de Saint Jérôme sont le plus grand effort d'hellénisme qui ait été fait avant la Renaissance: il est pour ainsi dire le dernier. Il clôt l'âge des études grecques dans l'Occident. On peut dire que dans le domaine du christianisme, il en rend d'autres inutiles. La Vulgate, qui eut assez d'autorité pour être traduite à son tour en grec par Sophronius (2), mettait à néant les exemplaires grecs qu'on avait déjà, au temps du célèbre traducteur, perdu l'usage de consulter en Italie. Il faudra, sauf quelques rares essais de confrontation avec les textes primitifs, attendre qu'un grand mouvement d'exégèse se produise à l'aurore des âges modernes pour voir reparaître ou l'hébreu, ou le grec dans les études théologiques. Ce ne sera même pas sans une vive et forte résistance que la Sorbonne accordera aux professeurs du collège de France, fondé par François Ier, la liberté de compulser les originaux. On proclamera d'abord

(1) Abrégé de l'Hist. Ecclés. t. 11, p. 224.

(*) Scholl. Litt. ecclés. p. 77. —Sophronius, qui, dans une discussion avec un juif, s'était vu reprocher l'inexactitude de la version des Septante, engagea Saint Jérôme à faire une révision sévère du texte grec : « Ce serait, ajoutait-il, rendre un grand service au Christianisme, que de faire, d'après l'hébreu même, une traduction dont les juifs fussent obligés de reconnaître l'entière fidélité, » à Jérôme, qui en avait le pouvoir, en incombait aussi le devoir quant à lui, Sophronius, il se chargeait de mettre la traduction de Jérôme du latin en grec, ne doutant point qu'elle ne fût adoptée sans hésitation par toutes les églises d'Orient.

L'entreprise était sainte et religieuse; elle tenta le solitaire de Béthléem, qui l'accomplit en partie. Sophronius, de son côté, ne manqua point à sa parole, et l'Occident eut le rare et suprême honneur de voir une interprétation grecque de la Bible, puisée chez un auteur latin, remplacer dans beaucoup d'églises d'Asie le texte consacré des Septante. « Me putabam bene mereri de latinis meis, et nostrorum ad dicendum animas concitare, quod etiam Græci versum de latino, post tantos interpretes, non fastidiunt.» Hieron. ad Sophr. in Ruf. II. (Am. Thierry. ibid. p. 261.)

hérétique la proposition qui déclare que, sans la science de l'hébreu et du grec, il est impossible d'interpréter sûrement les livres saints. Tant l'œuvre de Saint Jérôme avait acquis d'autorité et semblait suffire à tout (1)!

Ce laborieux traducteur fut, du reste, parmi les derniers occidentaux qui s'occupèrent de l'étude du grec, le plus instruit, le plus capable, le plus versé dans la littérature hellénique. On peut voir dans ses lettres, quel usage il fait constamment de la langue de Platon. Il n'est pas de ceux qui, comme Lactance, ont goûté à ces sources sans s'y abreuver. Quand il parle des Grecs et de leur littérature, on sent bien qu'il n'a pas fait que les entrevoir à travers les traductions latines. Il cite des mots, il en fixe le sens, il les compare avec le texte hébreu, il leur donne des équivalents en latin, et tout cela, il le fait avec l'autorité d'un philologue instruit et ingénieux. Quelques-uns de ses rapprochements font connaître des usages et des emplois de termes tout-àfait nouveaux. C'est ainsi que le greс Epoxελest rapproché du mot latin braccæ, les braies, et désigne une partie de costume inconnue aux anciens Romains, propre aux Perses, aux Indiens, aux Gaulois, aux Germains, et que Virgile indique par une périphrase: barbara tegmina crurum « πepιoxeλ, a nostris feminalia, vel braccæ usque ad genua pertingentes; » au même endroit, il explique bien la différence entre la tunique ποδήρης χιτών Todńρns et celle qu'on appelle zitov: « hæc adhæret corpori et tam arcta est, et strictis manicis, ut nulla omnino in veste sit ruga, et usque ad crura descendat. » Puis il ajoute d'une manière curieuse : « Volo pro legentis facilitate abuti sermone vulgato. Solent militantes habere lineas, quas camisias vocant, sic aptas membris et adstrictas corporibus ut expediti sint ad cursum, ad præ

(1) Noël Beda ou Bédier, de la Sorbonne, disait que le grec était la voix de l'hérésie.

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