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nait les Hébreux, s'il est encore par la version des Septante, le tributaire de l'hellénisme, on voit qu'il sera facile de s'en passer un jour, quand des esprits animés d'une curiosité nouvelle auront appris la langue des Hébreux, et arraché une version latine plus sûre au texte primitif des livres saints.

V.

Cette tâche et cet honneur devaient revenir à Saint Jérôme. Il était né à Stridon, en Dalmatie, vers 346, dans un peuple plus illustre par l'âpreté de ses mœurs que par les lumières de son esprit. Ses études s'étaient faites sous le grammairien Donat, à Rome, où ses parents chrétiens et riches l'avaient envoyé. Son âme ardente et fougueuse embrassa les lettres avec passion. Il se fit une riche bibliothèque à laquelle il consacra beaucoup de travail et de soin. Les égarements de sa jeunesse sont connus par la grande et sévère pénitence qu'il s'imposa lui-même. Il ne lui suffit pas de vivre en chrétien mortifié dans Aquilée, il s'enfuit dans le désert de Chalcis en Syrie (1). Les jeûnes qu'il redoublait n'ayant pu amortir le feu de son imagination, il y ajouta l'étude de l'hébreu, qu'il regardait comme trèscapable de l'humilier par les difficultés qu'il y trouvait. Chassé du désert par la persécution de quelques moines, il vécut un certain temps à Antioche, où Paulin l'ordonna prêtre en 377.

Nous le retrouvons à Constantinople. Il y passa les années de 379, 380 et 381 (2). Saint Grégoire l'attacha à

(1) Dans sa retraite, Evagrius lui apportait des livres, il lui procurait des scribes pour en prendre copie sous ses yeux.

(2) Il y fut attiré par un prêtre d'Antioche nommé Evagrius, qui était venu en Italie au nom d'une partie des catholiques Syriens, pour expliquer

sa personne; sous la direction de ce maître, il étudia les Ecritures saintes, et fut employé par lui à faire des recherches dans les livres sacrés (1). En 382, il retourna à Rome et le pape Damase le retint auprès de lui.

Ce pape était un bel esprit, un poète amateur des antiquités chrétiennes, dont il se piquait de remettre les souvenirs en honneur. Le premier, il avait entrepris la visite et la restauration des galeries souterraines qui avaient servi si longtemps d'asile aux chrétiens. Ces cimetières avaient été, pour la première fois, par les soins de Damase, parcourus, explorés, remis en communication avec le monde des vivants. Il y avait fait construire des basiliques; il avait écrit lui-même des inscriptions latines qui relataient le nom, l'histoire, les vertus des martyrs, que de nombreux pèlerins ne cessaient plus de visiter, depuis que l'accès en était libre (2).

aux évêques occidentaux la situation de son église et qui retournait dans sa patrie. Evagrius, homme instruit et de rang distingué, engagea quelques jeunes Aquiléens à partir avec lui pour l'Orient. Ils s'embarquèrent avec lui; c'étaient Innocentius, Nicias, Héliodore et Hylas. Saint Jérôme aima mieux prendre la route de terre. Il visita au-delà du Bosphore, le Pont, la Bithynie la Galatie, la Cappadoce, la Cilicie où il faillit mourir de chaud. A Césarée en Cappadoce, il retrouva Evagrius, qui avait été chargé par son église d'une autre mission près de l'évêque de cette ville, Saint Basile. A la fin de l'année 373 Jérôme rejoignit ses compagnons dans Antioche. (Voir Amédée Thierry. Saint Jérôme, la société chrétienne en Occident. p. 45. 2o éd. revue. Didier, 1875.)

(1) Grégoire fit de lui son ami malgré la différence des âges; il ouvrit à cet esprit curieux les trésors de l'érudition orientale dont Jérôme avait soif, et celui-ci pendant le reste de sa vie se glorifia des leçons du grand homme qu'il appelait son précepteur et son maître. Am. Thierry. S. Jérôme, p. 72. En 382, arriva en Orient une épître synodique des évêques occidentaux, qui annonçaient un concile œcuménique à Rome pour l'année 382; elle était accompagnée d'un rescrit impérial émané de Gratien, lequel invitait les évêques orientaux à venir y prendre place. La lettre fut reçue avec le plus profond dédain : « N'est-ce pas se jouer de nous, disaient les évêques orientaux, que de nous inviter à passer la mer, à quitter nos diocèses et nos maisons pour aller régler fort chèrement au bout du monde, des affaires qui ne regardent que nous, et que nous avons su terminer sans personne? » Professionnem, ut quæ nihil emolumenti esset habitura, suscipere recusarunt. (Théodoret. Hist. ecclés. V, 8, cité par M. Am. Thierry. p. 81. Voir aussi Les Récits de l'Hist. romaine au V• siècle. S. Jean Chrysostome du même auteur.

(*) Le chevalier de Rossi. Roma Soterranea, 1864. Rome.

Cette habile restauration, si bien conduite, engagea Damase à en tenter une autre du même genre. « Il entreprit de réformer, pour se rapprocher du texte primitif, les diverses traductions (1) des saintes écritures qui circulaient dans les mains des fidèles. Presque toutes ces versions étaient pâles, imparfaites, remplies d'altérations et de faux sens... Damase voulut qu'une interprétation plus fidèle et plus vive vint rendre au verbe sacré toute sa vigueur. Mais le difficile était de trouver un ouvrier apte à mener à bien un tel travail, qui dépassait de beaucoup l'érudition du pontife (*). " Cet ouvrier fut Jérôme, effrayé des impitoyables menaces, nous en avons parlé plus haut, de Dieu contre ses faiblesses, il renonça aux douceurs du langage d'Homère, à l'harmonie de celui de Cicéron, pour se donner tout entier à l'étude de l'hébreu. Il eut pour maître dans ce rude apprentissage un moine juif. Il nous a dit luimême ce qu'il lui fallut de courage pour vaincre le dégoût que lui inspiraient ces mots sifflants et haletants: « ad quam edomandam cuidam fratri qui ex Hebræis crediderat me in disciplinam dedi, ut post Quintiliani acumina, Ciceronis fluvios, gravitatemque Frontonis et lenitatem Plinii, alphabetum discerem et stridentia anhelantiaque verba meditarer (3). »

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Saint Jérôme ne s'était pas contenté d'apprendre l'hébreu, il avait étudié le grec avec soin auprès d'un

(1) Saint Augustin dit (de Doctr. christ. liv. II, ch. 11.), que de son tenips il existait plusieurs traductions latines. Il ajoute que parmi elles, on préférait la version itala, pour sa fidélité et sa clarté (ibid. ch. 15.) On ignore le motif de cette dénomination; quelques critiques croient même trouver dans ce passage de Saint Augustin une faute de plume (ils proposent de lire illa pour itala.) Saint Jérôme ne la connaît pas. Il appelle la traduction latine qui, de son temps, avait une autorité canonique, tantôt vulgate, tantôt ancienne, en opposition de la nouvelle dont il fut l'auteur. Il ne fait mention d'aucune autre version latine. On a conclu des termes dont s'est servi Saint Augustin, que cette version remonte au premier siècle. (Schoell. Hist. abrégée de la littér. grecque sacrée et ecclésiastique. 2o éd. 1832, p. 166.) (2) De Broglie. t. II, p. 262.

(3) Epist. CXXV, 12.

maître célèbre, Didyme d'Alexandrie (1). Cet homme, aveugle dès l'âge de quarante ans, était néanmoins allé fort loin dans les sciences sacrées et profanes. Pendant soixante ans, il remplit à Alexandrie les fonctions de Catéchète, c'est-à-dire de professeur de théologie (2). Saint Jérôme a traduit du grec en latin un de ses ouvrages, dit le Saint-Esprit. Cette version a fait vivre jusqu'à nous cette œuvre de l'un des plus savants hommes de son temps. Avec lui finit la gloire de l'école d'Alexandrie (396).

Les travaux de Saint Jérôme sur le texte hébraïque de l'Ancien Testament, ne nous regardent pas; mais nous pouvons dire qu'il ne les eût pas accomplis d'une manière parfaitement heureuse s'il n'eût été profondément versé dans la science du grec. Depuis les Septante, l'activité des chrétiens de l'Orient avait multiplié les versions des saintes écritures. Pour nous en tenir au sujet de nos études, nous relèverons les traductions grecques faites à diverses époques, depuis la mort de Jésus-Christ. Aquila, cité par S. Irénée dans des livres écrits entre les années 126 et 178, avait entrepris de rendre l'original avec plus de fidélité que n'avaient fait les Septante. Saint Jérôme nous apprend que cet interprète avait publié une révision ou seconde édition de sa traduction plus littérale que la première (3).

Symmaque, cité par Saint Epiphane et non par Saint Irénée, fit à peu près à la même époque une traduction de la Bible. « Le philologue, dit Schoell (4), place ce tra

(1) Schoell. Litt, ecclés. p. 251.

(2) Voir sur ce personnage le livre III de M. Am. Thierry. p. 84 et seq. (3) On voit Saint Jérôme aux prises avec cet interprète : « jampridem cum voluminibus Hebræorum editionem Aquila confero : ne quid forsitan, propter odium Christi, synagoga mutaverit et, ut amicæ menti fatear, quæ ad nostram fidem pertineant roborandam plura reperio. Nunc a Prophetis Salomone, Psalterio, Regnorumque libris, examussim recensitis, Exodum teneo, quem illi Elle Semoth vocant, ad leviticum transiturus. Vides igitur, quod nullum officium huic operi præponendum est. (Epist. 52, ad Marcellam.) (4) Ibid. p. 67.

ducteur parmi les bons auteurs grecs. » Il ajoute : « On prétend que cette traduction existe en entier dans les bibliothèques de la Grèce. »

Théodotion, dont le nom est connu par Saint Epiphane et se retrouve dans le dialogue de Saint Justinle-Martyr avec Tryphon, vers 160, fut aussi un traducteur grec de la Bible. Sa version tient le milieu entre l'exactitude servile d'Aquila et la liberté de Symmaque. Elle n'est qu'une espèce de révision et de correction des Septante, faite sur le texte original ('). Trois autres traductions grecques, dont les auteurs et les époques sont inconnus, ont été recueillies par Origène.

On sait que ce savant entreprit de comparer le texte des Septante en usage de son temps avec l'original hébreu et avec les autres traductions qui existaient alors et d'en faire une nouvelle récension. Il employa vingthuit années pour se préparer à cette grande entreprise. Il parcourut tout l'Orient pour rassembler des matériaux, et eut le bonheur de réunir six traductions grecques différentes. Enfin, l'an 231, il se fixa à Césarée et commença son travail (2). C'était un ouvrage de grand labeur. « On l'a nommé Tétraples, quand il offre les traductions d'Aquila, de Symmaque, des Septante et de Théodotion, disposées en quatre colonnes; Hexaples, quand à ces quatre versions sont jointes deux autres traductions grecques. En comptant non-seulement les colonnes grecques, mais aussi les deux qui sont destinées au texte hébreu, quelques écrivains nomment Hexaples ce que les anciens avaient nommé Tétraples; les Hexaples devinrent ainsi des Octaples. Enfin, dans quelques parties, il y eut une septième traduction grecque; alors l'ouvrage est appelé Ennéaples (3). »

(1) Schoell. ibid. p. 68.

(2) Schoell commet une erreur étrange en disant, p. 52 de l'ouvrage cité, que Saint Ambroise l'aida de son argent, et lui envoya des copistes et des vierges exercées dans la calligraphie. Saint Ambroise est né vers 340. (3) Schoell. ibid. p. 52.

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