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6700, l'an 9o de l'indiction, on est reporté à l'année 1192. Les faits généraux de l'Empire d'Orient concordent assez bien avec les vers où il est question du pouvoir croissant des Ismaélites; on les représente comme devant bientôt asservir les terres des Hébreux, des Romains et des Grecs, l'Égypte, l'Éthiopie, la Pentapole, Tyr, Damas, Antioche, le Saint-Sépulcre, Tripoli, Hadrianopolis, Joppé et Gangra.

L'histoire nous apprend qu'en réalité, cette année-là même, les Valaques et les Bulgares avaient repris les hostilités et ravageaient les provinces voisines du Danube. L'empereur qui régnait alors était Isaac II. Il s'était assuré, sur la foi de certains flatteurs, une victoire facile; il ne trouva qu'un échec honteux. « En partant de la ville, il s'était vanté qu'il y rentrerait tout rayonnant de gloire abusé par les prétendus devins qui se jouaient de sa crédulité, il s'était persuadé que la Providence divine avait abrégé le règne d'Andronic... et qu'elle avait ajouté à son règne les années destinées à ce prince; qu'il devait régner trentedeux ans, délivrer la Palestine, établir son trône sur le mont Liban, repousser les Musulmans au-delà de l'Euphrate, anéantir même leur empire, et qu'il aurait sous ses ordres un peuple de satrapes, gouverneurs d'autant de royaumes, et plus puissants que les plus puissants monarques. Enivré de ces chimères, il ne sentait pas les maux présents, et, battu par les ennemis, méprisé de ses sujets, il triomphait d'avance des grands succès qu'il se figurait dans les ombres de l'avenir.

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En présence de tant de revers et de l'insolence des ennemis sans cesse exaltée par de nouveaux succès, est-il défendu de croire que l'auteur de ces vers ait voulu faire une satire de cet empereur incapable et arrogant?

Un passage, beaucoup plus clair malgré l'obscurité

des détails, est celui où l'auteur explique une prédiction antique par les événements qui ont précédé la prise de Constantinople par les Croisés en 1204. L'Oracle présente une certaine Marie, portant un bissac et de la farine. Elle vient pour pétrir la farine, y mêler le sucre, en faire un gâteau. « Marie, dit l'interprète, est la reine du Midi; les Arabes, les Persans, les Ismaélites, accourent pour manger le gâteau, il est partagé en sept ou huit morceaux. "

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Un autre passage fait allusion à Vatace, gendre de Lascaris, c'est l'interprétation la plus claire et la plus facile :

Καὶ ἡ βάτος ἀπὸ πέρα

Ἥπλωσεν κ ̓ ἔπιασεν τόπον
Ἔχων ῥόδον λασκαράτον

Μὲ τ ̓ ἀρμένικον ἀκάνθιν.

Βάτος ἐστὶν ὁ Βατάτζης, etc.

Il était naturel qu'un prince ayant le don de prédiction prévît longtemps à l'avance le plus grand des événements du treizième siècle, le plus inattendu de tous la fondation d'un empire latin dans Constantinople. Il n'était pas moins naturel d'en prédire la chute. L'auteur que nous étudions n'a eu garde de manquer l'explication de ces singulières catastrophes. Des grains de blé, peut-être grillés, un artichaut nettoyé, lui figurent les Francs maîtres de Constantinople et chassés enfin, après une domination de plus d'un demi-siècle. Le gâteau retombe aux mains de Michel Paléologue. Cette reprise de possession par un prince grec est célébrée par l'interprète des Enigmes de Léon. En parlant des efforts de Michel Paléologue pour ramener les Grecs à l'unité du dogme catholique, il ne laisse pas voir bien nettement s'il approuve cette tentative. Je ne crois pas qu'il y soit défavorable. Si l'on appuie cette conjecture sur quelques mots italiens qui

sont dans le texte, on peut être amené à croire que l'auteur de cette pauvre rhapsodie était un Franc. Peut-être était-ce un de ces nombreux religieux bénédictins, frères mineurs, frères prêcheurs, qui envahirent la Romanie à la suite des conquérants latins, chassèrent les prêtres grecs de leurs siéges, se multiplièrent avec une si prodigieuse rapidité que le pape Honorius affirmait qu'une nouvelle France s'était créée dans la Grèce: Noviter quasi nova Francia est creata (1).

Dans le reste de ce poëme, si l'auteur ne parle pas en termes précis de la chute de Constantinople, il fait prévoir du moins que l'Empire ne tardera pas à s'écrouler, Il accumule les plus tristes images pour faire présager de terribles malheurs. Les arbres déracinés, les vignes saccagées, les femmes, les enfants ravis en esclavage, les désordres des mœurs, le lion, le léopard, le basilic unissant leur rage contre les mêmes victimes : tout fait prévoir une sanglante catastrophe et des ruines irréparables.

La seconde de ces compositions, dont les premiers vers sont en langue littérale, est un chant de joie. Le poëte invite la nouvelle Sion, la nouvelle Babylone à manifester son allégresse. Dieu lui avait ravi la paix, Dieu la lui rend. L'héritier rentre dans son domaine, il tient l'épée, le sceptre, les lampes allumées; les prêtres viennent à sa suite, leurs chants célèbrent son triomphe.

Rien n'empêche de voir dans ces transports les élans d'un poëte patriote qui salue le retour de Michel Paléologue dans l'Empire de ses pères.

Un tout autre sentiment a inspiré la pièce qui porte le numéro quatre. C'est une complainte sur la corrup

(1) Buchon, Éclaircissements, etc., p. 19.

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LES ORACLES DE L'EMPEREUR LÉON LE SAGE.

tion du temps. La puissance est aux mains d'hommes criminels, de femmes impures; tout est souillé. La croix est transformée en potence, les images saintes sont brûlées; il ne reste plus trace de moines ni de prêtres sur la terre. Alors la vengeance du ciel éclate sur la cité impure, la vigne du Seigneur est de nouveau saccagée, la porte d'airain est livrée.

La venue de l'Antechrist complète ces misères. Après tant de désordres, il ne reste plus qu'à attendre ce règne déplorable. Il vient en effet, ce mortel ennemi du Christ; il est fils d'une religieuse impure. Sa face est obscure et ténébreuse; son œil droit brille comme l'étoile qui se lève à l'horizon, l'autre est sanglant. Il a six doigts; il régnera sur Sion; déjà, de tous les points de la terre, les Juifs accourent à lui; alors, sous son empire, la terre gémira, elle se plaindra, elle pleurera, elle sera plongée dans un deuil dont rien ne saurait la faire sortir.

Ces poëmes sont étranges. Cependant comme ils se rattachent aux énigmes d'un empereur célèbre chez les Grecs pour sa manie de composer des oracles, il nous a paru intéressant d'en recueillir les débris. Ils nous font voir quel était au treizième siècle, avant la chute de Constantinople, l'état des esprits: on ne semblait plus rien attendre de bon; les maux étaient à leur comble; l'on ne prévoyait plus que désordre et confusion. Ils appellent encore notre attention sur une habitude que nous avons déjà signalée : celle de reprendre les compositions de la belle époque byzantine pour les reproduire en langage et en vers vulgaires et les mettre ainsi à la portée d'un plus grand nombre de lecteurs (').

(') Voir pour le texte la publication de M. É. Legrand, intitulée: Collection de monuments pour servir à l'étude de la langue néo-hellénique. Paris, Maisonneuve et C..

ÉTUDE

SUR UNE

APOCALYPSE DE LA VIERGE MARIE

MANUSCRITS GRECS, NOS 390 ET 1631, BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE PARIS (1).

M. Constantin Tischendorf dans un volume publié par lui à Leipzig en 1866 sous ce titre Apocalypses Apocrypha Mosis, Esdræ, Pauli, Johannis, etc., indique, sans en donner le texte en entier, une Apocalypse de la vierge Marie écrite en grec dont un manuscrit se trouve à Oxford, Bibliothèque Bodléienne, un autre à Venise, Bibliothèque de Saint-Marc, et enfin un troisième à Vienne, Bibliothèque impériale. Il ne dit rien d'un manuscrit grec à nous appartenant qui porte le n° 390 et renferme une Apocalypse de la Vierge. Il n'est pas étonnant qu'il ait échappé aux recherches de cet amateur érudit de livres apocryphes. Le titre qu'il porte fragmenta de Liturgia, ne fait pas soupçonner autre chose qu'une espèce d'Eucologe. Pourtant rien n'est moins exact; c'est de ce volume que j'ai tiré le texte d'Apollonius de Tyr, cité par Ducange dans son Glossaire de la basse grécité. A la suite de ce poëme,

(1) Lecture faite à l'Association pour l'encouragement des études grecques en France, dans la séance du 5 janvier 1871, le premier jour du bombardement de Paris par les Prussiens.

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