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il a vu dans l'Université de cette ville l'éclatante propagation des philosophes grecs par Albert-le-Grand, Alexandre de Hales, Robert de Lincoln, et il y a contribué lui-même par ses écrits. Il cite souvent Aristote et Platon. On voit par les passages de ses différents ouvrages, où il fait mention de la doctrine d'Aristote, qu'il recourt le plus souvent à des versions latines faites. d'après le grec.

Franciscains et Dominicains en favorisent à l'envi l'étude. Dans leurs chaires de philosophie et de théologie, ils répandent la doctrine d'Aristote, dit M. Ch. Jourdain, avec un succès si étonnant, que bientôt il fut seul jugé digne du nom de philosophe. Cette réputation souveraine fit naître des traducteurs. Michel Scot, Gérard de Crémone, Alfred, Hermann et Guillaume de Flandre s'empressèrent de le traduire. En Écosse, en Italie, en Allemagne, en Flandre, il se rencontre de vrais hellénistes pour aborder le texte grec dans ses difficultés. Après Aristote, Ptolémée, Euclide, Mercure Trismégiste, Porphyre, Simplicius, commencent à être vus dans leur langue originelle. C'est vraiment une renaissance restreinte à la philosophie. Quelle différence n'y a-t-il pas entre Albert qui fond dans son texte les versions latines, et Roger Bacon qui, outre les ouvrages connus d'Aristote, cite un traité « de impressionibus cœlestibus, » préférable, dit-il, à toute la philosophie latine et qui n'était point encore traduit (1)

(1) Ch. Jourdain, p. 337. Aristoteles certificavit hoc in libro suo de impressionibus coelestibus qui liber est melior tota philosophia latinorum et potest per vestram jussionem transferri. (Opus Majus p. 246.) On ne verra plus se renouveler la maladresse d'Hélinand, moine de l'abbaye de Froidinont, au territoire de Beauvais, qui désignait en l'an 1200, la maxime grecque volt Gɛautòv de cette manière nothiselitos et nothiselito. Et pourtant, même au XIII siècle, le savant dominicain Vincent de Beauvais, qui, lui aussi, ne savait pas le grec, en parlant d'Alexis, fils de l'empereur Isaac, désigne ce second personnage par les mots bizarres de Conrezas, thursac, corruption de Kup Icáax, et Küp "Ayyɛλos. Spec. Hist. lib. 30. c. 64.

Il y aurait ingratitude de notre part à ne pas mettre au rang des promoteurs et des protecteurs de la langue grecque, l'empereur Frédéric II. A l'exemple de Frédéric Barberousse, son père, qui tenait à sa cour, suivant Gilles de Rome, les fils d'Averroes ('), Frédéric II honora les savants et cultiva lui-même les sciences. Il parlait italien, allemand, français et arabe. Bien au-dessus des préjugés de son temps, il n'éprouvait aucune répugnance à vivre avec les Sarrasins. Ceux-ci lui rendaient en éloges la reconnaissance qu'ils lui devaient. Un de leurs écrivains, Abul-Féda a dit de lui : « l'empereur était un prince doué d'excellentes qualités, il aimait la philosophie, la logique et la médecine, parce qu'il avait été élevé en Sicile. » D'un esprit supérieur il comprit sans peine que les Arabes avaient, par leurs relations avec les Grecs Nestoriens exilés dans la Perse, puiséau trésor de la science et de la philosophie grecques.

pensa qu'il serait utile au monde de l'Occident de connaître par eux des livres qui jusque-là n'avaient pas été suffisamment répandus (2). Il y a de lui une lettre qu'on peut croire un peu postérieure à 1232 où se lisent ces paroles curieuses : « En parcourant avec attention, en méditant les livres qui, sous des caractères nombreux et variés, enrichissent les armoires de nos trésors, nous avons particulièrement remarqué les recueils variés anciennement publiés par Aristote et les autres philosophes, en langue grecque ou arabe, touchant les mathé matiques et l'art de discourir. Ces ouvrages conservant l'ordre de la diction originale, enveloppés du vieux costume que le premier âge leur a donné, n'ont point encore passé dans la langue latine, soit qu'on ne les possédât point, soit que le manque de personnes capables

(1) Egidius Romanus, quodlibeta, lib. II, Quæst. 20, Venetiis, 1504, in-fol. f. 24 R.. Jourdain, p. 152.

(3) Voir E. Renan, Averroës et l'Averroïsme. Essai historique. Paris, 1852.

ait empêché de les traduire ('). » Ces livres, il les a fait traduire par des hommes choisis, également habiles dans l'une et l'autre langue, en leur enjoignant de conserver soigneusement la fleur du style original. Ces traductions n'ont pas seulement été faites à l'intention de Frédéric II et pour l'ornement de son palais. Il estime que la possession libérale des sciences ne dépérit point à s'étendre, il les envoie aux professeurs des diverses académies qui s'étaient déjà formées en Italie : « Nous venons d'ordonner, leur dit-il, qu'on vous adresse à vous, dont la bouche répand des trésors de science, quelques livres dus à l'activité laborieuse et à la langue fidèle des traducteurs. »

que

On ne peut pas s'autoriser de ces passages pour affirmer Frédéric II a fait traduire tous les ouvrages d'Aristote; on ne peut pas assurer non plus qu'il n'a fait traduire les grecs que d'après des versions arabes (2). Il est constant néanmoins que l'on doit à Frédéric II la traduction latine des problèmes d'Aristote. Rien n'empêche qu'on ne fasse honneur au même prince de la version de l'Optique de Ptolémée. On sait que les traductions d'Antoli relatives à la logique, sont dédiées à Frédéric, et qu'elles portent la date de 1232 (3); on ne conteste pas que Michel Scot n'ait fait les traductions d'Aristote pour répondre aux voeux de Frédéric II, et l'on a enfin le témoignage de Roger Bacon, qui attribue aux écrits de Michel Scot la grande propagation et glorification d'Aristote. Peut-on refuser à Frédéric II l'honneur d'avoir, dans la plus large mesure, contribué aux progrès de la langue grecque (*)?

(1) Voir le latin, dans Jourdain, p. 157.

(2) Aventinus, Tribbecchovius, Brucker cités par Jourdain, p. 162. (3) A. Jourdain, p. 164.

(4) Et licet alia Logicalia et quædam alia translata fuerunt per Boetium de græco, tamen tempori Michael Scoti qui annis 1230 transactis apparuit, deferens librorum Aristotelis partes aliquas de naturalibus et mathematicis cum expositoribus sapientibus magnificata est Aristotelis philosophia apud Latinos. Opus majus, p. 36. A. Jourdain, p. 164.

Mainfroi, le fils de Frédéric II, continua aux lettres la protection éclairée que son père leur avait donnée. Il fut également favorable à l'étude d'Aristote. Collenuccio dit de lui : « Fu Manfredi huomo di persona bellissimo, dottissimo in littere, e in filosofia, e grandissimo Aristotelico. » C'est à lui que Barthélemy de Messine dédia sa traduction des Grandes morales (1).

Nous terminons ici cette revue des études grecques au XIIIe siècle en attirant l'attention sur la singulière fortune des œuvres de Raymond de Meüillon, dominicain, évêque de Gap, archevêque d'Embrun, mort vers 1294. La plus grande partie de ses ouvrages ont disparu en latin. Parune circonstance étrange on ne les retrouve que dans un manuscrit grec et traduits en grec. Ce manuscrit appartenait autrefois à l'abbaye de SaintGermain-des-Prés. « C'est un volume in-8° sur parchemin de 222 feuillets de 23 lignes, portant la date de 1292. » Montfaucon l'avait décrit en 1715. « Les auteurs de l'Histoire littéraire des Dominicains, qui ont connu ce manuscrit et qui, en 1729, ajoutent quelques détails aux extraits de Montfaucon, où ils avaient remarque ces mots, ἐν τῷ κάστρῳ Μεδουλλιόνης, n'ont point cru cependant que ce volume grec eût aucun rapport avec Raymond de Meüillon. « M. Edouard de Muralt, dans un catalogue de la bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg, où le hasard a fait entrer ce manuscrit, permet de confirmer les renseignements de Montfaucon et de reconnaître dans les neuf ouvrages que ce volume renferme, les principaux écrits de Raymond de Meüillon. Le neuvième est une « homélie sur la signification du mot de quatre lettres tant en hébreu qu'en latin, pour l'explication du mystère de la Trinité; à frère Pierre du Puget, Ομιλία ἐπὶ τῇ σημασίᾳ τοῦ

(') Tiraboschi Stor. dell. Lett., t. IV, p. 170.

τετραγραμμάτου τόσον ἐν τῇ γλώσσῃ τῇ ἑβρ. ὅσον τῇ λατ. ἐπὶ τῇ δηλώσει τοῦ μυστηρίου τῆς Τριάδος, πρὸς τὸν ἀδελ φὸν Πέτρον τοῦ Πουγέτου. Ce morceau se termine ainsi que tout le manuscrit par cette mention: Donné au château de Meüillon, trois jours avant la fête de la bienheureuse amie du Seigneur, Marie-Madeleine (19 juillet), l'an de sa venue mil deux cent quatrevingt-douze; fin de l'homélie. Aédotai ¿v tÿ xáotpw Mɛδουλλιόνης, τρίτης ἡμέρας πρὸ τῆς ἑορτῆς τῆς μακαρίας ἀγαπη τρίας τοῦ κυρίου Μαρίας τῆς Μαγδ., ἔτει αὐτοῦ χιλιοστῷ διακοσιοστῷ ἐνενηκοστῷ δευτέρῳ. Τελειοῦται ἡ Ὁμιλία.

"Ce prélat, dit Victor Le Clerc ('), ne serait point le seul exemple d'un théologien latin du XIIIe siècle qui eût voulu faire traduire en grec ses ouvrages de controverse. Ceux-là surtout qui avaient vu l'Italie, ceux qui avaient pu rencontrer, soit dans ce pays, soit en France, les Grecs envoyés en 1274 au concile général de Lyon, où l'on essaya d'éteindre le schisme et de réunir les deux églises, avaient dû naturellement désirer que leurs arguments fussent connus de leurs ingénieux adversaires. Si Raymond de Meüillon, qui appartenait à l'ordre des dominicains n'a pas traduit lui-même ses ouvrages en grec, il a pu les faire traduire par quelque moine de l'Empire d'Orient. Victor Le Clerc, incline pourtant à croire que les discours de l'archevêque d'Embrun ont été plutôt traduits par un homme de notre occident, car on a remarqué dans son grec un assez grand nombre de formes latines et italiennes. "Peut-être, ajoute le même savant, Raymond, si cette version n'est pas de lui, trouva-t-il un traducteur grec sans sortir de son ordre. » Le dominicain Guillaume Bernardi de Gaillac, vers ce temps-là même, aurait pu rendre un tel service à son confrère, s'il est vrai qu'il

(1) Hist. litt. de la Fr., t. XX, p. 265.

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