Imágenes de página
PDF
ePub

il conçut l'espérance de soumettre enfin l'Eglise d'Orient à la suprématie de Rome. Il donna ordre aussitôt aux évêques et aux abbés qui faisaient partie de l'expédition d'établir dans toutes les églises de Constantinople des clercs latins soumis à l'autorité du Saint-Siége et dévoués à la règle latine. Les conquérants obéirent aux intentions du pape, ils chassèrent de partout les pasteurs légitimes et ils donnèrent leurs siéges et leurs biens à des Occidentaux. Les moines hospitaliers de Saint-Jean, les chevaliers du Temple, ceux de l'Ordre Teutonique, les Bénédictins, les Frères Mineurs accoururent dans la Grèce et s'y abattirent comme sur une proie que le ciel leur avait destinée. Les chevaliers et les moines étaient possédés d'une égale ardeur de conquête. Introduits en Grèce dès l'an 1216, les Franciscains bâtirent de grands et riches couvents en Crète, en Eubée, à Patras, à Athènes, à Clarentza, à Zacynthe, à Céphalonie et dans beaucoup d'autres endroits. Ce fut une dure et longue persécution qui se déchaîna sur les prêtres grecs. Ceux qui ne voulaient pas se soumettre à l'Eglise latine perdaient leurs évêchés et leurs siéges, ils étaient jetés en prison, durement traités par le légat du pape Innocent, Pélage, à tel point que le Souverain Pontife justifiait les Grecs de repousser les latins comme des chiens, puisqu'ils ne trouvaient en eux que trahison et œuvres de ténèbres (').

Dans cette première période d'occupation tyrannique et violente, il ne pouvait y avoir que des sentiments de

(1) Lettre VI d'Innocent au marquis Boniface, Hurter, II, p. 357, citée par par Jean Romanos, p 40. (V. plus haut.) Ηνάγκασε καὶ γὰρ (ὁ λεγάτος τοῦ Πάπα Πελάγιος) τοὺς πάντας τῇ τῆς πρεσβυτέρας Ρώμης ὑποκύψαι ὑποταγῇ· ἐντεῦθεν καθείργνυντο μοναχοὶ, ἱερεῖς ἐδεσμοῦντο καὶ ναὸς ἅπας ἐκέκλειστο· καὶ ἦν ἐν ἀυτῷ δυοῖν θάτερον, ἤ ὁμολογῆσαι τὸν Πάπαν πρῶτον ἀρχιερέα καὶ τούτου τὴν μνήμην ἐν ἱεροτελεστίαις ποιεῖν, ἤ θάνατον εἶναι τῷ μὴ διαπραξαμένῳ τοῦτο τὸ ἐπιτίμιον. Γεωρ. Ακροπολίτης, 17.

haine et de défiance entre les deux peuples, les Grecs reprochaient aux Francs leur fanfaronnerie:

Πρίγκιππα, φαίνεσαι καλὰ ὅτι Φράγκος ὑπάρχεις

Διατὶ ἔχεις τὴν ἀλαζονειαν, ὡς τό 'χουσιν οἱ Φράγκοι (').

Les Francs, de leur côté, reprochaient aux Grecs ou Romains leur mauvaise foi:

Ποτὲ Ρωμαῖον μὴ εμπιστευθῆς δι ̓ ὅσα καὶ σοῦ ὀμνύει.
Ὅταν θέλῃ καὶ βούλεται τοῦ νὰ σὲ ἀπεργώσῃ,
Τότε σὲ κάμνει σύντεκνον ἢ ἀδελφοποιτόν του,
"Η κάμνει σε συμπέθερον διὰ νὰ σ ̓ ἐξολοθρευση.

Pourtant avec les années les relations changèrent. Les seigneurs Francs nés sur le terrain de la conquête oublièrent les noms qu'ils avaient apportés d'Europe. Les Charpigny s'appelèrent seigneurs de Vostiza, ceux des Bruyères princes de Charytena, les seigneurs de Neuilly devinrent seigneurs de Passavant, les La Trémoille seigneurs de Chalantriza, les seigneurs de Rosières prirent le nom d'Akova, les Nivelet celui de Gherakium, en Laconie. On sait quelles mœurs nouvelles montrèrent aux Grecs et aux Francs les fils issus des alliances conclues avec les femmes grecques, et comment ils prirent le nom de Gasmüles: Γασμοῦλοι, οὕς ἂν ὁ Ρωμαῖος διγενεῖς εἴποι, εκ Ρωμαϊκῶν γυναικῶν γεννηθέντες τοῖς Ἰταλοῖς (3).

Ce changement dans les relations sociales se fit surtout sentir dans la langue. Nous avons vu les Occidentaux imposer d'abord l'usage du français ou du latin à leurs nouveaux sujets. Ils ne désespérèrent pas dès le début de latiniser la Grèce. Ils virent bientôt que leurs efforts étaient inutiles, et, avec les années, ils se plièrent

(1) Buchon, Livre de la Conquête, 2978-79.

(*) Пaxvuép. E'. 30, cité par M. J. Romanos, ibid. p. 53.

eux-mêmes à l'idiome des vaincus. Tous les décrets, tous les actes judiciaires furent d'abord dans les principautés franques écrits en français. Guillaume Villehardouin, dans la Chronique de Morée, fait écrire en français le diplôme par lequel il donne à sa seconde fille la Baronie d'Akova:

καὶ Βάλε νὰ μὲ γράψουσι φράγκικον προβελέντζι (1).

Plus d'un siècle après, les actes du gouvernement, les ordonnances de l'administration seront écrits dans les deux langues, et l'usage s'établira d'avoir recours à un notaire grec pour faire aux Grecs les citations prescrites par les lois « quod secundum usum eligatur unus notarius sive scriptor in græca scriptura pro faciendis citationibus in scriptis per insulam inter Græcos (*). »

Entre beaucoup de témoignages de cette nature, M. Romanos cite (3) à l'année 1374 un acte de la cour des Rois d'Anjou. Un baron de Corcyre, du nom de Hauteville, donne à Théodore Kabasilas les terres de la Baronie qu'il tenait de la reine Jeanne de Naples. Cet acte est dressé en langue grecque. Pour le baron, qui était illettré, quatre barons ont signé en même temps qu'un notaire latin. Le même savant cite encore un autre instrument authentique rédigé à Athènes, d'où il résulte évidemment, qu'avec les années les Francs se familiarisèrent si bien avec la langue des indigènes que, s'ils étaient clercs, ils lisaient et signaient sans la moindre hésitation des pièces écrites en grec. Une pièce en ce

(1) Livre de la Conquête, 6349.

(*) Χρυσόβουλλον τῆς κοινότητος Κερκύρας, ἀναγινωσκόμενον ἐν τῇ μεγάλη ἐκ μεμβράνης Βίβλῳ τῶν προνομίων τῆς νήσου, τῇ σωζομένῃ ἐν τῷ δημοσίῳ Γραμ ματοφυλακείῳ. Ορα καὶ τοῦ σοφοῦ Μουστοξύδου Delle cose Corciresi, Append. GEλ. LXVI. Citation de M. J. Romanos, 55. Le fait qu'il cite est de 1387.

(3) P. 55.

genre des plus curieuses est celle où un certain Guillaume de Chancelier, chanoine et chantre de la Trèssainte Métropole d'Athènes, cède une portion de terre de sa chanoinie à Grégoire Kamachès; l'acte est écrit en grec, l'an 1432, par la main du notaire et chancelier d'Athènes Nicolas Chalkomatas; il porte les signatures en latin de trois vénérables chanoines de la métropole d'Athènes (1).

La persévérance des Grecs à parler leur langue et à repousser celle des Occidentaux obligea les chevaliers français à se départir de leur hautaine indifférence. Ils furent contraints, pour faire parvenir plus sûrement leurs ordres et leurs volontés à leurs sujets, de les proclamer dans la langue vulgaire. Ainsi nous voyons un Florent (Φλωρεντος ὁ ἐξ Αἰνωνίας), venant en Grèce avec sa femme Isabelle, fille de Guillaume de Villehardouin, héritière de la principauté d'Achaïe, prendre de la manière suivante possession du Péloponnèse. Il fit réunir à Glarentza les Francs et les Grecs, ses sujets, et donna ordre qu'on lût devant eux, dans le monastère des Franciscains, l'ordre du roi qui l'instituait prince du Péloponnèse. Ces dispositions avaient été écrites en latin, il les fit traduire et lire en grec, afin que personne n'en ignorât (2).

Ainsi, nous voyons encore les Français faire traduire en grec la deuxième partie des Assises de Jérusalem, qui d'abord avaient été proclamées dans leur idiome

(') Τὸ περὶ οὗ ὁ λόγος περιεργότατον νομικόν γράμμα, δὲ οὗ Γουλίαλμος ντὲ Καντζηλιές, κανόνικος καὶ καντοῦρος τῆς ἁγιωτάτης μητροπόλεως τῶν ̓Αθηνῶν παραχωρεῖ χωράφιον τι ἐκ τῆς κανονικαίας του πρὸς Γρηγόριον τὸν Χαμάχην ἐγράφη καὶ τοῦτο ἑλληνιστὶ ἐν ἔτει 1432 διὰ χειρὸς Νοταρίου καὶ Καντζηλιέρου ̓Αθηνῶν Νικολάου Καλκοματᾶ, φέρει δὲ τὰς λατινικὰς ὑπογραφὰς τριῶν ἀιδεσιμωτάτων κανονικῶν τῆς μητροπόλεως ̓Αθηνῶν. Nouv. Recherch. t. II, p. 290-91.

- Acta et diplomat, Geh. 255-56. P. 57.

(2) Liv. de la Conq, p. 297. Romanos. p. 58.

originaire. Cette seconde partie, qui déterminait les droits des Grecs relativement à ceux des Français, portait ce titre : Βιβλίον τῆς αὐλῆς τῆς Μπουργεσίας, ἤ τῆς κρίσεως τῆς ἀυλῆς τοῦ Βισκουντάτου (1).

Les chevaliers de Rhodes, les rois de Chypre, toutes les fois qu'ils paraissaient en public dans les circonstances graves et sérieuses, ne faisaient usage que de la langue grecque, soit pour empêcher leurs sujets de se tromper sur leurs intentions, soit pour leur enlever tout désir de manquer à leurs ordres. On conserve dans ce genre des pièces écrites, dont les plus dignes d'attention sont celles du grand-maître de Rhodes, Jean de Lastich, pour exciter, en 1440, les peuples à la guerre contre les Sarrasins (2).

Les rapports sociaux et politiques augmentant chaque jour dans une proportion plus grande, il n'est pas étonnant de voir augmenter aussi le nombre des personnes qui parlaient grec. Ainsi, par exemple, Guillaume de Villehardouin, né à Calamatta, parlait à la fois avec facilité, la langue grecque et la langue française:

ὁ πρίγκιππας, ὡς φρόνιμος, ῥωμαίϊκα τὸν ἀπεκρίθη (3).

Ancelin de Tucy, frère de Philippe de Tucy, Bayle de Constantinople, né en Grèce, est cité comme ayant connaissance du grec :

Διατὶ ἦτο ὁ μισὺρ Αντελής ἄνθρωπος παιδεύμενος

ταῖς τάξαις ἤξευρε ἀκριβῶς, τὴν γλῶσσαν τῶν Ῥωμαίων (1).

Un nombre infini de pièces qui existent dans les archives ou qui ont été publiées dans les Recueils (5)

(1) Historia Juris Græco-Romani delineatio. Auctore C. E. Zachariæ. Heidelbergæ, 1839, p. 139-190 cité par M. J. Romanos, p. 59.

(2) Acta et diplomata Græca, t. III, p. 282. J. Romanos, p. 60.

(3) Liv. de la Cong. 2805.

(1) Ibid, 3905-6.

(2) Acta et dipl. t. III, 339-339-248-256.

« AnteriorContinuar »