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breux auteurs grecs qu'il cite, le ton de son langage donnent lieu de croire qu'il n'ignorait pas le grec (1). Liège, selon Cramer (*), offrit un asile aux moines grecs qui s'enfuirent d'Orient à la suite de la querelle des Iconoclastes. On cite parmi eux Evrard évêque de cette ville, et Gérard de Toul (3), qui firent tous leurs efforts pour répandre l'étude du grec. Auprès du même Evrard, on vit les Irlandais chercher un refuge, il n'est pas douteux qu'il n'en soit résulté de grands avantages pour la connaissance du grec, puisque Gérard permettait aux Grecs de conserver la liturgie et le rite grecs, et qu'il partagea les autels entre les Grecs et les Irlandais. « Qum Gerardus permitteret, ut græcam liturgiam græcumque ritum retinerent, divisit enim inter Græcos et Scotos, quos propriis stipendiis aluit, altaria » (*).

Au monastère de Gandersheim fondé en 856 par Ludolph duc de Saxe, vivaient 24 religieuses, assistées de 12 chanoines et de 8 vicaires soumis à la juridiction de l'abbesse. Ces religieuses, suivant la prescription de la règle, ne pouvaient être que filles de rois ou de princes. On a distingué entre elles au X° siècle Hroswita (5), fille dit-on d'un roi de Grèce; elle a laissé six comédies dévotes imitées de Térence. On aimerait à dire et à croire qu'elle était capable de lire Ménandre. Rien ne le prouve, quoiqu'il soit vraisemblable qu'elle n'eût point oublié la langue grecque; peut-être la rigueur de sa profession lui interdisait-elle des lectures

Dans un de ses écrits intitulé

(1) Hist. litt. de la Fr., t. VI, p. 57. Agonisticon, il cite plus de quinze pères de l'Église tant grecs que latins. Entre les premiers on remarque Origène, Hégésippe, saint Jean Chrysostone. Il cite plus volontiers les latins: Varron, Térence. Cicéron, Horace, Perse, Sénèque, et d'autres encore. (T. VI, Hist. litt., p. 379.)

(3) Page 37.

(3) Mort en 998.

(4) Cramer, page 37.

(5) Martin Crusius, Germano-Græcia, liv. V, p. 217.

si profanes. Térence qui pourtant n'était en tout qu'un demi-Ménandre, se faisait-il plus facilement accepter que son original? En définitive, à cette époque, dans les bibliothèques des écoles, ce ne sont guère que des livres latins que nous voyons cités.

Un moine de Richenau, du nom de Gunzon, met bien en avant les noms d'Homère, de Platon, d'Aristote, entre ceux de Térence, de Salluste, de Stace, d'Horace, de Virgile, d'Ovide, de Perse, de Juvénal, de Lucain, de Porphyre; mais on peut croire qu'il ne parle des grecs que pour les avoir entendu nommer ou tout au moins pour les avoir lus dans des traductions latines (').

On peut en dire autant de Gerbert qui mourut pape en l'année 1003. Quoiqu'il ait été en son temps un prodige de science et d'érudition, qu'il ait appris et enseigné les mathématiques, la physique, la dialec-tique, la musique, la médecine, il ne paraît pas avoir su le grec. Il ne faut pas se laisser tromper par des allégations mensongères. Léon légat du pape, qui s'opposait à ce que Gerbert montât sur le siége épiscopal de Reims, disait : « Les vicaires de Pierre et ses disciples ne veulent pas avoir pour maître un Platon, un Virgile, un Térence, ni l'autre bétail philosophique(2). "

Ce mot de Platon ne doit pas nous abuser. Gerbert l'a mérité non pour avoir puisé aux sources grecques, mais pour avoir appris à connaître les doctrines de ce philosophe dans des traductions latines. C'est ce qu'on voit bien clairement dans l'historien Richer son ami et son disciple. Il est le meilleur garant de la science de Gerbert, et nous savons par lui que s'il expliqua l'introduction de Porphyre, ce fut d'après la traduction de

(1) Dom Martène et Dom Durand, Amplissima collect. p. 294-314. Ampère, t. III, p. 270.

(2) Pertz, Mom. III, 687. Vicarii Petri ejus discipuli nolunt habere magistrum Platonem, neque Virgilium, neque Terentium, neque ceteras pecudes philosophorum.

Victorinus d'abord, puis d'après Boèce. Il n'aborda les topiques d'Aristote qu'à travers l'interprétation de Cicéron et les commentaires du même Boèce (1). On peut donc conclure avec M. Ampère : « Il est à croire, d'après cela, que Gerbert n'entendait pas le grec. " Ajoutez cette autre indication que Richer dans l'énumération des auteurs expliqués par Gerbert dans son école de Reims, ne parle pas d'un seul écrivain grec. Il ne cite que des latins, Virgile, Stace, Térence, Juvénal, Perse, Horace, Lucain. Dans sa bibliothèque, fort considérable pour ce temps-là, on trouve les lettres de Cicéron, trois livres de la République, Jules César, Eugraphe, commentateur de Térence, Pline, Suétone, Stace, Manilius, Q. Aurelius (Cassiodore), Victorinus, Boëce, Démosthène le médecin, Joseph l'Espagnol, Lupicius de Barcelone, pas un seul grec (3).

M. Cramer pourtant ne voudrait pas lui refuser absolument la connaissance du grec. Qu'on restreigne cette science autant qu'on voudra, il y consent; il croit voir dans ces restrictions l'expression exacte de la vérité, il pense de même des notions de langue arabe qu'on lui a prêtées. Il croit que le correspondant et l'ami de Notker, d'Adalberon, d'Egbert de Trèves, d'Ekkard de Tours, a dû se sentir attiré vers l'hellénisme par ces illustres amis. Il signale surtout trois prêtres romains, Théophylacte, Laurent d'Amalfi et Brazut, dont les noms grecs, font supposer que Ger

(1) Richeri. Hist. t. III, c. 46.

<< Imprimis Porphyrii ysagogas, id est introductiones secundum Victorini translationem, inde etiam easdem secundum Manlium explanavit... Cathegoriarum id est prædicamentorum librum Aristotelis consequenter enucleans periermenias vero librum, cujus laboris sit, aptissime monstravit. Inde etiam Topica id est argumentorum sedes, a Tullio de græco in latinum translatas et a Manlio consule sex commentariorum libris dilucidata suis auditoribus intimavit.>>

Théodoric avait conféré la dignité de consul à Boèce.

(2) Cramer, 52, d'après les œuvres de Gerbert, 7, 9, 25, 40, 87, 96, 130, 133, 135, 148, 154. Epp. 17, 24, 25.

bert, qui vécut en relations avec eux, ne demeura point étranger à leur langue et à leurs études. Ce ne sont que des suppositions; et l'on ne se sent point disposé à les accueillir quand on les voit précédées de cet autre que voici : « Gerbert était d'Auvergne, il devait donc avoir des tendances pour la langue grecque, car nous voyons dans ce pays, au temps de saint Avit, durer encore la résistance à la langue latine; et partout où le latin ne trouve pas facilement accès, facilement accès, il prouve que le grec jette facilement ses racines (1). C'est s'abuser étrangement que de croire Aurillac, où Gerbert naquit et fut instruit, éclairé encore à cette époque des rayons de la civilisation grecque qui brilla si longtemps dans le Midi de la France.

Gerbert avait vécu en Espagne, on sait qu'il emprunta aux Maures ses connaissances en mathématiques et en médecine. On n'en peut pas conclure qu'il ait su le grec.

Il y avait à Chartres, à la fin du X° siècle, une école où l'on s'occupait particulièrement de médecine, on y suivait les doctrines des médecins grecs. Richer s'y rendit en 991, il y étudia Hippocrate, Gallien et Suranus, médecin d'Ephèse, qui vint à Rome au temps de Trajan. Voici ce qu'il dit de ses études : "Ibi in aphorismis Yppocratis vigilanter studui apud Herbrandum, magnæ liberalitatis atque scientiæ virum. In quibus quum tantum prognostica morborum accepissem, petii etiam lectionem ejus libri qui inscribitur de concordia Yppocratis, Galeni et Surani. Quod et obtinui, cum eum in arte peritissimum, (quanquam

(1) Page 50. Neque etiam est prætereundum, Avernorum nobiles, in quibus sæculo sexto quum Avitus poeta tum Gregorius Turonensis, viri in litteris tunc egregii, nati erant, quum Romani imperatores patriam eorum linguam usque ad Aviti ætatem summa vi defendisse contra latinæ potentiam. Ubi vero vulgarem tuebantur dialectum, ibi Græcam linguam facilius egisse radices jam supra videmus.

erat clericus Carnotensis) dinamidia, farmaceutica, botanica atque cirurgica non laterent (1). » Ces derniers mots qui sont grecs, n'impliquent pas chez Richer ou son maître, pas plus que chez Gerbert, la connaissance de la langue d'Hippocrate. Nous savons par Cassiodore, que ce médecin avait été traduit en latin. C'est dans ces versions que le fondateur du couvent des Viviers, recommande à ses moines la lecture des anciens médecins Post hæc legite Hippocratem atque Galenum latina lingua conversos, id est, therapeutica Galeni ad philosophum Glauconem destinata et anonymum quemdam qui ex diversis auctoribus probatur esse collectus. Deinde Cælii Aurelii de medicina, et Hippocratis de herbis et curis, diversos que alios medendi arte compositos, quos vobis in bibliothecæ nostræ sinibus reconditos, deo auxiliante, dereliqui (*). » Il est probable que c'est dans la traduction latine faite du traité de Démosthène Philalèthe, médecin Alexandrin contemporain de Néron, que Gerbert compila ses trois livres sur la maladie des yeux. Notons pourtant la seule trace d'hellénisme qu'on rencontre chez Gerbert dans cette phrase:

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(1) Richeri. Hist. lib. III, c. 59 et 60. Ampère, t. III, p. 313. Cramer, p. 54. (2) Cassiodore, t. II, p. 406. Les rédacteurs de l'Histoire littéraire de la France croient que Gerbert savait le grec, et ils disent en parlant des écoles fondées en Lorraine par Brunon: « C'est apparemment de là que Gerbert, qui passa quelque temps en Germanie, apporta le goût qu'il avait pour le grec. Il savait effectivement cette langue et exhortait les autres à s'y appliquer. Epit. Gerb. 154. Hist. litt. t. VI, p. 57.

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Gerbert a composé un écrit auquel il a donné pour titre ce terme grec : Rithmomachia, le combat des nombres ou des chiffres. T. V. Hist. litt. de la France, p. 581. Ces écrivains reconnaissent que Boèce était l'auteur favori de Gerbert (583). Il en a fait l'éloge dans un épigramme de douze vers héroïques sur le portrait de Boèce.

Entre les lettres de Gerbert, il y en a une, la 153 qui est d'Otton III, son disciple, alors roi de Germanie et depuis empereur. Otton y prie ce cher maître, alors archevêque de Reims, de lui apprendre à fond l'arithmétique et le grec. Ibid. p. 586. Dans la première partie de son traité du Corps et du Sang du Seigneur, il cite un grand nombre de passages tirés des Pères grecs et latins. Ibid. p. 588. Cette vaste érudition se trouvait rehaussée en la personne de Gerbert, par une connaissance plus que médiocre des belles-lettres et de la langue grecque. Ibid. p. 607.

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