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études sont obligés d'aller chercher au loin la science. Abbon quitte son monastère appauvri par les calamités pour aller à Paris, à Reims, s'instruire dans la grammaire, l'arithmétique et la dialectique. Il paie cher les leçons de musique qu'il reçoit, et il écrit : « J'ai profondément gémi dès ma jeunesse de voir les arts libéraux tombés en décadence par l'incurie, et la science réduite à un petit nombre d'adeptes qui vendaient chèrement leurs leçons.» « A primitivæ ætatis tirocinio jugiter indolui liberalium artium disciplinas quorumdam incuria ac negligentia labefactari et vix ad paucos redigi qui avare pretium suæ arti statuunt (1).» Il était bien difficile que les études grecques se maintissent au milieu de ce désordre. Tout ce qu'on peut souhaiter, c'est qu'elles ne s'éteignent pas tout-à-fait et qu'on puisse suivre leur existence à quelques lueurs vacillantes.

Des survivants du IXe siècle (840-912), moines de Saint-Gall, conservent encore les traditions helléniques. Notker-le-Bègue, élève de Marcellus et d'Iton, traduisait Aristote. Hartmann instruit par les mêmes maîtres a gardé la réputation d'avoir su le grec, l'hébreu et l'arabe; Tutilon était peintre, poète, orateur, musicien (). Mannon ou Nannon, dont nous avons rapporté le nom à côté de celui de Scot, passe pour avoir traduit du grec en latin les livres d'Aristote sur la morale et sur le ciel, la république et les lois de Platon. On lui attribuerait volontiers une version du Timée de Platon, s'il n'était plus vraisemblable de dire que dans ses travaux il a usé de la traduction de Chal

(1) De Calculo Victorii, ap. D. Martene Thes. Anecd. t. 1. L. Maître, p. 77. (3) Hartmannus peritus græcæ linguæ, latina, hebraicæ et arabicæ. Tutilo pictor, poeta, orator, musicus, avayλúπTηs. Vita Notkeri, Ekkehardo auctore, Bolland, Acta SS. April. t. I, p. 582, C.XXII (CXXIV, Mezler, De Viris illust. ap. D. Fez., Thes. Anecd., t. I, 3o partie), L. Maître, p. 55.

cidius, grammairien latin du IV siècle, qui le premier a fait cette traduction (').

La province de Trèves au X° siècle n'est point déchue de son antique renom. Elle a des écoles actives et fécondes. A Moyen-Moutiers l'abbé Almann attirait près de lui un maître de grammaire et rassemblait les livres nécessaires à cet enseignement (2). Il faut croire que le grec n'avait pas cessé d'y figurer au programme des études, car, en l'année 1054, le pape Léon IX s'adresse à un certain Humbert qui l'enseignait dans ce couvent; il le charge, entre autres choses, d'apaiser la querelle qui venait de se rallumer entre l'Eglise latine et l'Eglise grecque par les écrits de Michel Cérulaire. Non-seulement il l'envoya à Constantinople, mais encore, il le fit archevêque en Sicile, un pays où l'on parlait grec (3). Du reste toute la province de Trèves devait l'éclat florissant de la littérature, pendant le Xe siècle, aux nombreuses colonies d'Irlandais et de moines grecs qui vinrent s'établir en communauté dans les environs de Toul et de Verdun (*).

(') Hist. litt. de la France, t. V, p. 657. Cramer, 35.

(2) Conduxit eis doctorem grammaticæ et volumina artis ejusdem plurima studuit conquirere. De Gestis abb. Mediani monasterii apud D. Martène, Thes. anecd. t. III. L. Maître, p. 85.

(3) Sigeberti Gemblac. chronic. c. 150; Hist. litt. de la France, t. VII, p. 527. Cramer, 38.

(4) D. Calmet, Hist. episcop. Tull. (de Toul), t. I, p. 146. L. Maitre, p. 85. On lit dans l'Hist. litt. de la France, t. VI, p. 57, un autre moyen qui servit beaucoup à répandrela connaissance de cette langue (le grec) parmi nos François, furent ces grecs auxquels S. Gérard, évêque de Toul, donna retraite dans son diocèse. Ils y formèrent des communautés entières, avec des Hibernois qui s'étaient mêlés avec eux, et y faisaient séparément l'office divin en leur langue, et suivant leur rit particulier. L'établissement de ces communautés de grecs en Lorraine, est tout-à-fait remarquable. Ce fut vers la fin de ce siècle qu'il se fit, puisque Saint Gérard, qui le favorisa, mourut en 994, et il n'y a pas de doute qu'il ne subsistât encore au siècle suivant, et peut-être au-delà. Il y a beaucoup d'apparence que ce fut dans quelqu'une de ces communautés, que le célèbre Humbert, d'abord moine de Moïen-Moutier, puis cardinal de la sainte Eglise romaine, puisa cette profonde connaissance qu'il avait du grec, et dont il fit un si heureux usage contre les Grecs mêmes en faveur de l'Eglise latine. Il pourra paraître encore dans le cours de ce X⚫ siècle, plusieurs autres hommes de lettres qui prirent soin de cultiver la

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On ne pense pas que des usages liturgiques pussent préserver les études grecques de la décadence, mais il n'en est pas moins curieux, qu'au Xe siècle, à Limoges, on chantât à certains jours la messe en grec (). La même singularité existait certainement dès lors à l'abbaye de Saint-Denis, qui tenait à se donner pour fondateur le célèbre Denys l'Aréopagite.

En Italie, Jean de Naples, diacre de Saint-Janvier, écrivit des fragments d'histoire ecclésiastique, et traduisit du grec les Actes des martyrs. Au même siècle, Sergius, père de Saint Anastase, évêque de Naples, traduisait couramment et en lisant, du latin en grec et du grec en latin (2). Depuis le schisme de Photius les affaires religieuses s'unirent aux affaires commerciales pour rendre plus actives les relations des papes avec les patriarches, des italiens avec les grecs. Ce fut une raison nouvelle pour cultiver davantage la langue grecque. De là un petit foyer d'hellénisme dont les lueurs iront toujours en grandissant (3).

En Allemagne, Brunon, frère cadet de l'empereur Otton, se distingue au Xe siècle par son amour des

même langue. Remi d'Auxerre, disciple d'un maitre qui l'avait beaucoup étudiée, peut être mis de ce nombre... La lecture de la première lettre d'un inconnu à Vicfride, évêque de Verdun, qu'on croit être un abbé de Montfaucon, ne permet pas de douter non plus que la langue grecque lui fût inconnue.-P. 56 ibid. On avait apporté quelque soin à cultiver la (langue) grecque dès le siècle précédent. On en faisait encore une étude particulière à l'école de Saint-Gal. C'est au moins ce que semble dire Notker-le-Bègue, en saluant Lambert de la part des frères grecs, c'est-à-dire, de ses confrères qui s'appliquaient au grec, Salutant te Hellenici fratres.

Le docte Brunon, archevêque de Cologne, contribua peut-être plus que tout autre à inspirer à nos François du goût pour cette langue, dans laquelle il se rendit fort habile.

(1) Quelques manuscrits de Saint-Martial-de-Limoges faits au même siècle, retiennent des marques, que les moines de cette maison se mêlaient de gréciser. (Hist. litt. de la Fr., t. VI. p. 57.)

(2) Signorelli, Vicende della cultura nelle due Sicilie, cité par M. G. Favre, t. I. Hellénistes en Italie du X au XVIe siècle.

(3) Gradenigo, cap. 3 et 4; cité par M. G. Favre, ibid.

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lettres. On remarque surtout qu'il savait le grec. « Dès l'âge de quatre ans il fut envoyé par ses parents auprès de l'évêque d'Utrecht, Baudric, pour apprendre les rudiments de la littérature, et se signala par de merveilleuses dispositions. Aucune partie des arts libéraux n'échappait à la vivacité de son esprit; le grec et le latin lui étaient également familiers. Lorsqu'il fut promu à la dignité archiepiscopale (à Utrecht), il attira auprès de lui les plus savants docteurs « in utraque lingua, » et étudia avec eux tout ce que les historiens, les orateurs, les poètes et les philosophes renferment de remarquable. Son plaisir était de siéger au milieu d'eux et de les entendre disserter sur les beautés de la philosophie. « Annos circiter quatuor habens, liberalibus litterarum studiis imbuendus Baldrico Episcopo Trajectum missus est. Nullum erat studiorum genus in omni greca vel latina eloquentia, quod ingenii sui vivacitatem aufugeret... Sæpe inter Grecorum et Latinorum doctissimos de philosophiæ sublimitate... medius consedit (1). "

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Ce témoignage du biographe Ruolger est confirmé par celui de Jean de Gorze. « Brunonis insuper et grecæ lectionis multa accesserat instructio (*). Son érudition grecque eut son effet ordinaire, il paraît qu'elle le fit glisser dans quelques hardiesses hétérodoxes; car on voit dans une légende, que saint Paul est obligé de le défendre du reproche de s'être adonné avec trop d'ardeur à l'étude vaine et périlleuse de la philosophie. « Adeo græcis suis studiis in philosophiam quamdam subtiliorem, quod facile fiebat, videtur esse adductus, ut S. Paulus facere non posset, quin Brunonem in somnio propter inane ac vanum philosophiæ

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(1) Pertz, Monum. Germ., t. IV. p. 252. (2) Pertz, Monum. Germ.,t. V. p. 370.

studium defenderet (1). » On remarquera aussi qu'entre les disciples qu'il a formés, ou bien entre les maîtres qu'il a suivis, on cite un irlandais nommé Israël, Episcopus Scotigena, ou bien selon Flodoard « Israël Britto (2)

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Jean de Vandières, évêque de Toul, qui prit plus tard d'une abbaye au diocèse de Metz, le nom de Jean de Gorze, étudia les catégories d'Aristote pour mieux comprendre saint Augustin. Par l'ordre d'Otton Ier, il avait fait un voyage en Espagne qui avait duré trois ans. Il s'y était instruit dans la langue des Arabes établis à Cordoue. A Gorze, il réveilla les études parmi les moines; c'est à ce groupe d'hommes instruits qu'il faut rattacher certain Bovon qui devint illustre par sa science grecque : "Græcas litteras coram Cuonrado (primo), rege legendo factus est clarus (3).

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En 912 naquit à Liège un moine du nom de Rathier. Il fut trois ans évêque de Vérone; ayant encouru la haine de ses clercs, il quitta son évêché et dirigea en France des écoles privées; il composa une grammaire qu'on appelait d'un nom grotesque mais significatif " Servadorsum ou Sparadorsum, » par allusion aux châtiments que les infractions aux règles de la grammaire attiraient sur les écoliers négligents. Les nom

(1) Cramer, p. 36, Thietmar. Cronic. II, p. 10. Ce prince, après avoir passé quatre ans à l'école d'Utrecht, et étudié sous Rathier toutes les sciences alors en usage, forma le dessein d'apprendre à fond la langue grecque, et ce qu'ont de meilleur les historiens, les orateurs, les poètes, les philosophes de l'antiquité. Pour l'exécution de ce projet, il eut soin d'attirer près de lui les plus savants hommes en grec et en latin qu'il pût déterrer. Il est aisé de juger par là du mérite de cette Académie, qui se tenait plutôt en Lorraine qu'à Cologne. V. L. Maitre, p. 86. (2) Ad annum 947.

(3) Cramer, p. 36. Widukindi lib. III, c. 2. Græcæ linguæ in Belgis notitia patet quoque ex librorum catalogo sæculo duodecimo confecto, qui ex monasterio Benedictinorum Aquicinensi (Anchin) in Hannonia nunc Bruxellis in regia latet bibliotheca. In eo leguntur Plato de Cosmopio I (? Timous?) Isagoge et Periermeniæ Aristotelis, tria exemplaria Isagoges Porphyrianæ, Periermeniæ, Apulei cum Platone, etc. Cramer, p. 36, not. 169.

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