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quait la supériorité de l'Irlandais que par un miracle. Mais le pape Nicolas Ier demandait qu'on lui envoyât à Rome, ou que du moins on écartât de l'école ce maître dangereux, qui mêlait l'ivraie au bon grain, et n'offrait que du poison à ceux qui lui demandaient du pain. « Ut ille Joannes, qui non sane sapere in quibusdam frequenti rumore dicatur, Romæ repræsentetur, aut certe a studio Parisiensi, cujus capital olim fuisse perhibeatur, removeatur, ne cum tritico sacri eloquii grana zizaniæ et lolii miscere dignoscatur, et panem quærentibus venenum porrigat (1). »

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Sa mort entraîna pour longtemps les études grecques dans un discrédit qui ne fit que s'accroître pendant deux siècles. La séparation des deux Églises après le schisme de Photius n'était pas pour les ranimer. Aussi ne voyons-nous plus en France d'autres hellénistes à citer que ceux qui s'étaient formés auprès de Scot. Tel est cet Hubald qui a chanté la calvitie de Charles, et la victoire de Louis sur les Normands. Il mêlait quelques mots grecs à ses vers latins.

Suscipe magna quidem, parvo sed pondere, dona
Quæ tibi Tavoέxts, aggregat hic pariter.

Tel est encore cet Adam qui mettait des vers en tête de ses livres; on y voit ceux-ci :

Ergo nec hunc David, nec Job magis esse probatos
Apparet plane, pro te nec plura tulisse

Quanta tuus Carolus mitis, pius atque benignus,
Νηφάλεος, φρόνιμος, σπουδαῖος καὶ δὲ δίκαιος (3).

tione, longinquus), talia (Dionysii opera), intellectu capere, in aliamque linguam transferre valuerit. Joannem innuo Scotigenam, virum quem auditu comperi per omnia sanctum. Sic hoc operatus est ille artifex spiritus, qui hunc ardentem pariter et loquentem fecit. Nisi enim ex gratia ipsius igne charitatis flagrasset, nequaquam donum linguis loquendi procul du bio suscepisset. (Anastasius bibliothocarius, in epistola ad Carolum calvum. Hederiche, p. 909.) Cet écrivain avait appris le grec à Constantinople, par les ordres du pape Jean VIII; il traduisit les actes du VII concile Œcuménique et des ouvrages des Pères.

(1) Staudenmaier, p. 168, De adversa utraque ecclesia. Cramer, p. 34. (2) Cramer, Diss. de Græcis medii Ævi studiis, pars altera, p. 33.

Louis II essaya de maintenir les études grecques, il y mit une affectation qu'on n'a pas manqué de faire ressortir. Compiègne, dans sa pensée, devait être une nouvelle Constantinople, il l'appelait Carlopolis. Cette même ambition de s'élever à la hauteur des Empereurs d'Orient lui suscita une querelle qui fut à moitié politique, à moitié littéraire. Le titre d'Empereur que prenait Louis-le-Bègue réveilla la susceptibilité de Basile qui croyait avoir seul le droit de le porter. On voit (1) dans les Annales de la France, un monument de cette querelle, c'est la lettre de Louis, Empereur d'Occident, à l'Empereur d'Orient, Basile. Celui-ci refusait le titre de Baotλeis à tous princes autres que ceux d'Orient. Il consentait à appeler IIpwtooúuбouλos, le prince des Arabes, Cagan celui des Avares, des Normands, des Bulgares, Phya, celui des Franks. Louis II dans sa lettre discute ces prétentions, il leur oppose la tradition et l'usage des livres.

"On ne voit pas, y est-il dit, que, dans les règles de nos pères, il y ait prescription de ne donner le titre d'Empereur qu'à celui qui commande à Constantinople, car sans parler des histoires de tous les peuples, l'écriture sainte fournit quantité d'exemples non-seulement d'élus, mais encore de réprouvés, comme des princes Assyriens, des Egyptiens, des Moabites qui ont eu le titre de Botλis. Si cela est, c'est en vain que vous prétendez que nul autre que vous ne doive prendre cette qualité. Effacez donc tous les livres où les princes presque de toutes les nations sont honorés du même titre. "

Nous ne disons rien des raisons politiques alléguées par l'auteur de cette lettre, nous ne voulons en prendre que ce qui atteste l'état des lumières à ce temps-là, que

(1) Andreæ Duchesne, Historiæ Francorum script. t. III, p. 355.

ce qui peut nous faire supposer de la part de la chancellerie de Louis-le-Bègue, la connaissance des livres historiques communs alors à l'Occident et l'Orient. A propos du titre de Protosymbole Πρωτοσύμβουλος accordé au prince des Arabes, le rédacteur dit : « Je ne puis que je ne m'étonne de ce que vous dites que le prince des Arabes est appelé protosymbole, nous ne trouvons rien de cela dans vos livres, et, dans les nôtres, il est quelquefois appelé roi et de quelques autres

noms. "

Un des griefs les plus vifs articulés contre les Empereurs d'Orient est ainsi énoncé : « par notre bonne doctrine nous avons acquis l'empire, et les Grecs par leur mauvaise doctrine l'ont perdu. Ils ont abandonné la ville de Rome, le peuple romain et le siége de l'Empire; ils ont changé de langue, ils se sont retirés à une autre ville et parmi une autre nation.”

Mais le point le plus intéressant de cette lettre est la discussion que Louis-le-Bègue fait entamer sur le mot payas rois. Ce terme qui révèle l'existence déjà assurée d'une langue vulgaire issue d'un mélange du latin et du grec, est fortement blâmé par le secrétaire de l'Empereur d'Occident. Il se trouve ici que la chancellerie française relève une faute de style et de langue dans les actes de l'Empereur de Constantinople. Le passage est curieux Enfin quant au mot de Riga, sachez que quiconque le donne à un autre n'entend pas lui-même ce qu'il dit. Quand vous parleriez toutes les langues, comme les apôtres, ou plutôt comme les anges, vous ne pourriez dire de quelle langue est le mot riga, ni quélle dignité il signifie. Vous ne sauriez montrer qu'il signifie la même chose que le nom de Rex en latin, et si vous le vouliez montrer, il s'ensuivrait qu'il le faudrait traduire en grec par celui de Baotλeus, comme il paraît par toutes les traductions de l'Ancien et du

Nouveau Testament; que si cette qualité-là vous déplaît si fort dans les autres, effacez le nom de Rex de tous livres latins et le nom de Bastλes de tous les livres grecs. » La raison n'est pas mal choisie et l'argumentation n'est pas sans valeur (1). Ces rois dont Cédrenus parlera (3) plus tard, au XIe siècle, avec tant de mépris, n'étaient ni si barbares, ni si ignorants.

On trouve dans cette même lettre un détail qui intéresse l'histoire des mœurs et des relations des deux empires. Basile s'était plaint à Louis de la conduite de ses ambassadeurs dans Constantinople. On voit ce qui leur était reproché dans l'excuse que présente le roi de France à son correspondant : « Je suis assuré que vous ne doutez point que je n'ai été surpris d'étonnement quand j'ai lu dans votre lettre, ce que vous me mandez de mes ambassadeurs, qu'ils couraient par les rues de l'air du monde le plus extravagant, tenant toujours l'épée nue à la main, frappant et tuant non-seulement des chevaux mais aussi des hommes. Je souhaite fort d'être informé de ce fait, et s'il se trouvait véritable, il me déplairait extrêmement. » Quoique les ambassadeurs de Louis eussent nié les désordres qui leur étaient imputés, le reproche n'est pas invraisemblable. On retrouvera plus tard dans les Croisés cette même indiscrétion de conduite, cette même impétuosité d'humeur, excitée d'ailleurs par l'arrogance et le mépris des Grecs, pour des nations qu'ils appelaient barbares.

(1) Histoire de l'Empire d'Occident, par le président Cousin, t. II. (*) Voici ce qu'il en dit: Τον Ρήγα Φραγγίας κατὰ γένος ἄρχειν καὶ μηδὲν διοικεῖν, πλὴν ὅτι ἀλόγως ἐσθίειν καὶ πίνειν. Κατὰ δὲ τὸν Μάϊον μῆνα προκα θέζεσθαι ἐπὶ παντὸς τοῦ ἔθνους καὶ προσκυνεῖν αὐτοῖς, καὶ ἀντιπροσκυνεῖσθαι ὑπ' αὐτῶν, δωροφορεῖσθαί τε κατὰ συνήθειαν καὶ ἀντιδιδόναι αὐτοῖς. Addit eos reges appellatos esse κριστάτας, cristatos, id est τριχοραχάτους a θρίξ crinis et pix spina dorsi; quod per eam promissos haberent capillos: tanquam xoipo porci, alias res non multum curabant. (Martin Crusius, Suevici annales, p. 266.)

Ne nous étonnons plus que Louis-le-Bègue fondant un monastère lui ait donné le nom d'Alpha ('), que dans le même temps quelques évêques mêlassent des mots grecs à leur signature (2), et qu'à l'abbaye de Corbie, il y eût encore des livres grecs et même des moines de cette nation. C'est ce qu'on voit dans les écrits de Druthmar. Il assure avoir vu un exemplaire grec des quatre évangélistes qui passait pour avoir appartenu à Saint Hilaire, et dans lequel l'évangile de Saint Jean suivait immédiatement celui de Saint Mathieu. Désirant en savoir la raison, il s'adressa à un nommé Euphemius, grec de nation, qui lui dit que cela s'était fait à l'imitation d'un bon laboureur qui attelle ses meilleurs bœufs avant les autres (3).

XXIV.

Le Xe siècle a toujours passé pour l'époque la moins heureuse, surtout au point de vue littéraire. C'est le moment le plus obscur de nos annales. Les Hongrois, les Sarrasins désolent notre pays, la corruption se met dans l'Eglise, la désorganisation dans l'Empire. Nulle sécurité pour les laïques, les moines n'en ont pas davantage; leurs asiles sont brûlés par les hommes de guerre, ou envahis par la foule des enfants, des femmes, des soldats, et même des chiens que les seigneurs y entassent dans leur usurpation brutale. Les livres ne s'échangent plus, les scribes et les clercs manquent pour les copier et pour les lire. Partout les écoles dépérissent. Ceux qui conservent l'amour des

(1) Annales ordinis S. Benedicti, t. III, p. 224.

(2) Mabillon, De Re Diplomatica lib. VI. Paris, 1681, in-folio, p. 456,

tab. LVII.

(3) Hist. litt. de la France, t. V, p. 88.

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