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XXII.

Sous Louis-le-Débonnaire, quoiqu'il sût lui-même le grec, les études savantes subirent un déchet. Les écoles étaient tombées, ou du moins elles demandaient une réforme. En 822 Louis publiait le capitulaire suivant « Nous désirons réformer soigneusement les écoles, bien que nous les ayons négligées jusqu'ici. «Scholas autem de quibus hactenus minus studiosi fuimus quam debueramus, omnino studiosissime emendare cupimus... » En 824, les évêques réunis en concile, à Paris, rappellent que le devoir de chaque évêque est d'entretenir des écoles, car il importe à l'Eglise d'avoir des défenseurs éclairés. « Inter nos pari consensu decrevimus ut unusquisque episcoporum in scholis habendis et ad utilitatem ecclesiæ militibus Christi preparandis et educandis abhinc majus studium adhiberet (1).

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En 825, Lothaire premier se plaint que partout, et surtout en Italie, où lui-même avait fondé neuf écoles, la science soit tout-à-fait éteinte « de doctrina quæ cunctis locis funditus sit exstincta (2).» En 826, le pape Eugène II fait entendre ces plaintes : « On nous rapporte que les maîtres et le goût de la littérature disparaissent. On doit s'efforcer, dit-il, d'établir des professeurs capables d'enseigner les arts libéraux et le dogme catholique dans tous les évêchés et dans toutes les paroisses." De quibusdam locis ad nos refertur neque curam inveniri pro studio litterarum : idcirco in uni

(1) Baluzii Capit. Ll, coll. 1137 cité par L. Maitre, les Écoles épiscopales et monastiques de l'Occident. Le Mans, 1866.

(2) Pertz, 1. I, 1. 249. § 6, Cramer.

versis episcopiis subjectisque plebibus et aliis locis in quibus necessitas occurrerit, omnino cura et diligentia adhibeatur ut magistri et doctores constituantur qui studia litterarum liberaliumque artium dogmata assidue doceant (1).

Le mal était grand et difficile à guérir. En 829, les évêques réunis à Paris insistent auprès de Louis-leDébonnaire, ils lui demandent qu'à l'imitation de son père, il emploie son autorité à l'établissement d'écoles publiques, au moins dans les trois villes de l'Empire les plus propres à ce dessein. «Obnixe ac suppliciter vestræ celsitudini suggerimus ut, morem paternum sequentes, in tribus congruentissimis imperii vestri locis, scholæ publicæ ex vestra authoritate fiant, ut labor patris vestri ac vester per incuriam, quod absit, labefactando non depereat (2). »

Le Diacre Florus nous fait, en 830, le triste tableau qui suit : « Autrefois les jeunes gens apprenaient partout les divines écritures, et le coeur des enfants s'ouvrait à l'influence des lettres et des arts. Maintenant tout le bien de la paix est détruit par des haines cruelles... qui dira les dévastations des monastères..? les peuples n'ont plus de prélats, les chaires n'ont plus

de docteurs:

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Præsulibus plebes viduæ, doctore cathedræ (3). Paschase Radbert, dans la vie de Wala s'écrie: « Heu misera dies quam infelicior nox sequitur (*). « Comment, dit Loup de Ferrières, la voix paisible des Muses peut-elle charmer les esprits, quand l'air retentit du tumulte des armes, et comment les lettres sauraient-elles gagner du crédit quand ceux qui les

(1) Ann. ord. S. Bened. t. 11, p. 505.

(2) Coll. Concil. ed. Venetiis, t. XIV, p. 599, L. Maître, p. 26.
(3) Carmina de divis. imperii, Ann, ord. S. Bened. t. I, p. 388.
(4) Acta 55. Mabillon, t. V, vita Walæ. - L. Maître, 27.

cultivent soulèvent les haines populaires?.. aujourd'hui, on supporte à peine ceux qui cherchent à acquérir quelque connaissance; le vulgaire ignorant a les yeux fixés sur eux comme s'ils étaient placés sur un pinacle; et si, par hasard, ils prêtent le flanc à la critique, leurs fautes ne sont pas imputées à la faiblesse humaine mais à la nature de leurs études. Nunc oneri sunt qui aliquid discere affectant; et, velut in edito loco sitos, studiosos quosque imperiti vulgo aspectantes, si quid in eis culpæ deprehenderint, id, non humano vitio, sed qualitati disciplinarum assignant (').»

On a lieu de s'étonner que les études qui paraissaient du temps de Charlemagne si florissantes, aient pu, en un si petit nombre d'années, tomber dans un tel abandon. Cette détresse n'est-elle pas de nature à nous faire comprendre que les écoles, sous ce grand prince, avaient plus d'apparence que de solide réalité, et que ses panégyristes, d'ailleurs équitables envers sa mé– moire, ont exagéré les effets de son action? En définitive, il n'y avait là comme nous l'avons déjà dit avec Fénelon, qu'un rayon de politesse naissante. Les efforts qui vont suivre les protestations que nous avons enregistrées plus haut, ne réussiront pas davantage. Que peut-on attendre pour des études sérieuses du soin que prend un prélat comme Hincmar afin de relever l'enseignement, lorsqu'il recommande aux doyens de son diocèse de s'inquiéter s'ils ont un clerc capable de tenir une école, de lire l'épître et de chanter (*).

Cependant Charles le Chauve réussit pour un temps à retirer les études sacrées et profanes de la décadence où elles étaient tombées. Son palais s'ouvrit aux savants, et le prince donna plus d'une marque de son

(1) Patrol. Migne, t. CXIX, epist. I, cité par L. Maître. (3) L. Maître, p. 25.

estime et de son affection pour le savoir, aux personnes qui lui semblaient se distinguer par là. Il y eut donc une nouvelle floraison littéraire. Le grec qui avait dépéri avec le latin, reprit une nouvelle vigueur et un crédit plus considérable.

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Les historiens de Charles-le-Chauve ne lui ont point ménagé les éloges. Le biographe d'Herfroi, évêque d'Auxerre, dit de l'empereur: « il philosophe bien, et gouverne les philosophes de son Empire. Paschase Radbert lui dit en son langage versifié, qu'il est un soleil et que la science l'a mis au premier rang. Loup de Ferrières salue avec empressement la science qui refleurit à la Cour de l'empereur : « reviviscentem in his nostris regionibus sapientiam quosdam studiosissime colere pergratum habeo (1). » Heiric d'Auxerre, déjà cité par nous, lui dit surtout: « La Grèce se meurt d'envie en voyant qu'on la délaisse pour courir à nos rivages, et l'Irlande nous amène sur ses vaisseaux ses innombrables sages. Peu s'en faut que tout l'univers ne se soulève contre vous, qui, en vous efforçant de vous instruire vous et les vôtres, détruisez, dispersez les écoles des autres nations (2)."

(1) Epist. XXXV. L. Maître, p. 28.

(2) Launoi, De Scholis celebribus, p. 52, et de J. Scoto Erigena auctore anonymo, p. 16, ex edit Floss; Cramer. p. 33. < Luget hoc Græcia novis invidiæ aculeis lacessita, quam sui quondam incolæ jamdudum cum Asianis opibus aspernantur, tua potius magnanimitate delectati, studiis allecti, liberalitate confisi. Dolet, inquam, se olim singulariter mirabilem ac mirabiliter singularem a suis destitui; dolet certe sua illa privilegia, quod nunquam hactenus verita est, ad climata nostra transferri. Quid Hiberniam memorem pene totam cum grege philosophorum ad litora nostra migrantem? Cunctarum fere gentium, Cæsar invictissime, scholas et studia sustulisti, ita ut merito vocitetur schola palatium. »

XXIII.

J. Scot Erigène mérite à lui tout seul ces éloges, et il les justifie. Il est l'helléniste de ce temps; il tient école en grec, c'est lui qui a été le chef de ces hellénisants, Hélie, Heiric, Hubald et Remi. Une tradition qui n'est qu'une légende le fait voyager en Grèce et suppose qu'il s'est instruit dans Athènes ('). On en a dit autant de Boèce, et l'on sait pourtant que ce philosophe ne mit jamais le pied en Grèce. J. Scot s'est instruit dans l'Irlande, sa patrie, dans ces couvents hiberniens où des Grecs avaient déposé le germe des études qui n'ont cessé de se développer après eux, où des groupes distincts s'étaient formés, qui se consacraient à l'étude des Grecs et se désignaient de cette manière « Hellenici fratres. » Il fut entre eux l'un des plus brillants et des plus solidement instruits.

Ce n'est plus un hellénisant à la manière d'Alcuin, ou d'Heiric, ou de Remi, ou de tous ceux que nous avons vus jusque-là, à l'exception de Cassiodore et de Boèce. Scot sait le grec pleinement, non pas de manière à faire parade de quelques mots jetés dans un texte latin; mais il est capable de le comprendre, de le traduire et même de l'écrire d'une manière courante et facile. Il a lu Platon, du moins le Timée, et semble avoir longtemps médité les doctrines de ce maître. Il connaît la doctrine d'Aristote et la méprise, pour lui préférer celle de Proclus. Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse, Saint Jean Chrysostome, Saint Basile,

(1) Roger Bacon lui prête ces paroles : « Nec reliqui locum nec templum, in quibus philosophi consueverunt componere et reponere sua opera secreta quod non visitavi, nec aliquem peritissimum, quem credidi habere aliquam notitiam de scriptis philosophicis quem non exquisivi. (Stauden. maier. p. 145 et 146, Cramer, p. 30.)

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