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Nous n'avons pas refusé de croire Ozanam et M. Hauréau, quand ils se sont portés garants de l'hellénisme des Irlandais. Sans doute, les grandes écoles de Bangor, celle des Anglo-Saxons, quelques autres dans les Gaules, ou dans la Germanie, semblent être des foyers de lumière et de science; elles le sont relativement à leur temps et à la barbarie qui s'accroît. Mais l'un et l'autre de ces écrivains pourraient égarer les lecteurs par leurs affirmations trop bienveillantes ou trop enthousiastes. Ce n'est pas sans quelque déception qu'on recourt après ces guides aux ouvrages où ils ont vu, disent-ils, des traces incontestables d'un hellénisme estimable et surprenant. Quelques mots détachés de la langue grecque, quelques citations, sont peu de chose en somme. On y voit une teinture de grec plutôt que les preuves d'une instruction solide. Quelques-uns même de ces mots, comme le pantorum procerum qui commence la XIII lettre rapportée par Usher et qui est de Saint Aldhem, donneraient une singulière idée de sa science, s'il ne fallait y voir le désir de créer un mot hybride mêlé de grec et de latin, ou l'intention de ménager son correspondant qui lui-même n'est pas fort avancé dans l'étude de la grammaire grecque. Il faut donc se garder de l'illusion pieuse qui fascinait Ozanam; mais il faut maintenir aussi que dès ces temps-là, il y eut des asiles pour la langue grecque, il y eut des esprits cultivés qui se firent un honneur de l'étudier, qui la surent non pas à fond, mais assez du moins, pour que le fameux dicton attribué plus tard à Accurse, Græcum est, non legitur, n'ait jamais pu en Occident être d'une vérité absolue et générale du Vo au XVe siècle.

XX.

Encore aujourd'hui au midi de l'Italie, dans la terre d'Otrante, il y a huit pays où l'on parle grec. Ce sont Martano, Calimera, Castrignano, Zollino, Sternatia, Soleto, Corigliano: on les désigne sous le nom commun de Grèce. Dans les environs se trouvent d'autres cités : Curse, Caprarica, Cannole, Cutrofiano, où l'on se souvient encore d'avoir parlé un langage grec qui ne s'y entend plus. A Saint-Pierre, en Galatina (San Pietro in Galatina) au commencement du XVe siècle ou à la fin du XIV, on parlait grec. Galateo, un savant de Salente, disait à cette époque de cette ville : « cité neuve, habitée par d'honorables citoyens encore grecs. » Une bulle d'Urbain VI, de l'année 1384, s'exprime ainsi : Quoi qu'à Galatina, il y ait tout à la fois des grecs et des chrétiens latins, les offices divins ne sont célébrés qu'en grec, les latins ne l'entendent pas. » Plusieurs autres cités ont perdu l'idiome grec qu'elles ont parlé longtemps; dans quelques-unes, on le voit lutter encore contre l'italien qui prévaut. On y trouve quelques vieillards qui parlent grec, et surtout les femmes qui, par un privilége de leur nature, et par l'effet de leurs habitudes casanières, échappent plus que les hommes à l'influence des nouveautés, et des relations politiques ou commerciales (').

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Ces pays que nous venons de nommer parlent des dialectes différents, mais ils s'entendent entre eux,

() Voir pour tous ces faits l'ouvrage intitulé: Studi sui dialetti greci della terra d'Otranto del prof. dott. Giuseppe Morosi, preceduto da una raccolta di canti, leggende, proverbi, e indovinelli nei dialetti medesimi. Lecce, 1870.

malgré la diversité de certaines locutions, et l'on voit que ces dialectes se rattachent tous à une seule et même origine.

Pott, dans la Revue Germanique, Philologus(), Comparetti, dans ses Essais, se sont demandé d'où peuvent venir ces grecs de la Calabre et à quelle époque ils se sont établis dans la région qu'ils habitent encore aujourd'hui. Diverses opinions se sont produites sur cette question. On a cru avec Niebuhr, avec Biondelli (*) que ce sont des restes des colonies antiques de la Grande Grèce; ou bien avec Zambelios (3) que ces grecs se sont réfugiés en Italie dans les temps modernes, depuis que la domination turque s'est établie dans leur pays. Cette opinion est partagée par Teza (*), et Comparetti semblait y incliner (5). Une troisième supposition fait remonter ces grecs à l'époque de la domination byzantine, c'est celle de M. Morosi, à laquelle dit-il, se rattache désormais M. Comparetti.

M. Morosi établit par des observations philologiques tirées de l'état de la langue grecque, depuis la conquête d'Alexandre, par la comparaison des dialectes actuels rapprochés de cette langue, enfin par des considérations historiques, que les grecs de la Calabre n'ont aucun rapport avec ceux qui fondèrent jadis les cités brillantes de la Grande Grèce. Il fait remarquer qu'on ne trouve, durant la période de la domination romaine, aucune inscription grecque dans ces contrées (6), qu'à l'exception de Calimera, pas une seule ville n'a un nom grec. Il ajoute à ses déductions les témoignages

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(3) Ἰταλοελληνικά, ἤτοι κριτικὴ πραγματεία περὶ τῶν ἐν τοῖς ἀρχέοις τῆς Νεαπόλεως ἑλληνικῶν περγαμηνών. Athènes 1865.

(4) Nuova Antologia. Décembre, 1866.

(") Saggi. p. 19.

(6) Trinchera. Syllabus Græcarum membranarum. Napoli, 1865. p. 6.

de Cicéron et de Strabon. Le premier affirme que de son temps, la Grande Grèce était détruite, et Strabon se plaignait amèrement que toutes les cités de la Grande Grèce, à l'exception de Naples, de Regium et de Tarente, se fussent pliées aux usages et par conséquent à la langue de Rome (1).

Dans les temps modernes, sous les règnes d'Alphonse Ier, de Ferdinand Ier d'Aragon et de Charles V, à la suite de Scanderberg, des grecs sont venus s'établir dans la Calabre, mais ils apportaient avec eux un langage où se distinguaient sans peine les défectuosités que le commerce avec les Turcs, les Italiens et les Français, y avait introduites; tandis que la langue de ces colonies n'en offre aucune trace (2).

Si l'on cherche à quelle époque ces colonies sont venues fixer leur séjour en Italie, on est porté à conclure qu'elles n'ont pu le faire par suite de la conquête de Justinien. A cette époque, le droit romain, les institutions, les traditions latines, régnaient encore à Constantinople, et, quoique déjà on voie le grec s'in— troduire dans la rédaction des Novelles, l'empereur ne pouvait avoir la pensée d'helléniser l'Italie. La population de l'empire d'Orient n'était pas d'ailleurs tellement exubérante qu'elle pût envoyer en Italie de nombreuses colonies.

Que fit Bélisaire quand il voulut repeupler Naples où la férocité de son armée avait fait presque un désert? Il ne demanda pas à la Grèce de nouveaux habi

(1) Morosi, p. 190.

(2) Nè dopo infine che nel greco s'insinuarono voci francesi duranti le crocciate et l'impero latino, e voci italiane e specialmente venete; nè, a piu forte ragione, dopo che vi s'insinuarono voci slave, albanesi e turche. Giacchè in questi dialetti greci non si odono altre parole straniere, che le latine introdotte in Grecia dalla conquista romana, et le italiane che, insieme altresi con qualche forma grammaticale, loro prestarono i dialetti italiani che li serrano in mezzo. P. 191, col. 1.

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tants, mais à l'Italie elle-même. La chute de la domination des Ostrogoths n'entraîna pas leur disparition du pays où ils s'étaient installés. Bien peu repassèrent les Alpes pour retrouver dans la Gaule et dans l'Espagne la liberté dont jouissaient leurs frères. Les autres s'accordèrent avec Bélisaire et Narsès et demeurèrent dans leur établissement. Il n'y avait donc alors aucune raison pour que l'élément grec s'introduisît dans la terre d'Otrante et dans la Calabre. Parmi les soldats de l'empereur, il n'y avait de grecs que dans une très-faible proportion. Les Ibères, les Avares, les Sarmates, les Gépides ou les Lombards y étaient en plus grand nombre. Excepté à Ravenne ou à Rome, on ne trouve ailleurs nulle trace d'écoles grecques, et, de plus, au milieu du VI° siècle, la langue grecque n'avait pas encore le caractère qu'elle affecte dans les dialectes dont nous nous occupons (1).

Il est encore moins probable que ces peuples aient passé en Italie après la conquête des Lombards. Ce pays toujours troublé ne pouvait offrir nul attrait à des colons venus de la Grèce; il n'y avait pour eux ni sécurité, ni profit. Si les empereurs les y avaient transportés de force, ils les auraient fixés de préférence autour de Ravenne ou de Rome dans la Pentapole, c'était là que se portait tout l'effort des Lombards.

C'est à partir du second quart du VIIIe siècle que devient plus probable l'arrivée des colonies grecques dans le midi de l'Italie. La persécution des Iconoclastes poussa hors de la Grèce une quantité considérable de moines. Ils n'ont pas dû s'en aller seuls d'un pays où l'on heurtait si violemment leur foi. Des populations laïques ont dû les suivre. Il y eut une révolte contre le décret impérial qui proscrivait le culte des images, et

(1) Morosi, p. 205. col. 2.

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