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mère. « Le grec était sa langue naturelle; il eut quelque peine à apprendre le latin, qui était pour lui une langue étrangère; il excuse par là sa manière d'écrire, et, en effet, elle a besoin d'excuse (1).

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Nous retrouvons la même évolution dans le poète Claudien, c'est un transfuge du grec qui passe à la langue latine. Il était d'Alexandrie, en Egypte, il le dit lui-même en plusieurs endroits, c'est de là que Suidas l'a appris (3). C'est bien à tort qu'on a voulu le faire naître à Florence. Il s'appelait Claude Claudien. Il fit d'abord des vers en grec et l'on a encore un fragment d'un poème grec sur le combat des géants. « C'est sans doute sur cela, dit Tillemont, qu'Evagre et Suidas parlent de ses poésies. Son premier poème latin est sur les deux frères Olybre et Probin, consuls ensemble l'an 395. On ne peut douter qu'il n'ait vécu à Rome. On a trouvé dans cette ville l'inscription d'une statue qui lui avait été érigée dans la place Trajane, à la prière du Sénat, à cause de ces poésies (3). "

Une particularité singulière de cette inscription, c'est qu'après la dédidace latine, on lit ces mots grecs:

EIN ENI BIPгIAOZO NOON KAI MOYCAN OMHPOY
ΚΛΑΥΔΙΑΝΟΝ ΡΩΜΗ ΚΑΙ ΒΑΣΙΛΕΙΣ ΕΘΕCAN.

c'est-à-dire qu'à lui seul, il avait reçu le talent et l'inspiration de Virgile et d'Homère. Il convenait que cette inscription, par le mélange des deux langues, perpétuât le souvenir de l'origine grecque de Claudien (*).

(1) Ampère. t. II, p. 168.

(2) Pr. p. 11, 15.

(3) Tillemont. Les Emp. t. V. p. 657.

(4) Voici l'inscription latine : « Cl. Claudiano. V. C. Cl. Claudiano. V. C. tribuno et notario inter ceteras ingentes virtutes præglo-riosissimo poetarum licet ad memoriam sem- piternam Carmina ab eodem scripta sufficiant attamen testimonii gratia ob judicii sui — fidem DD. NN. Arcadius et Honorius felicissim. et doctiss. impp. senatu petente statuam in foro divi Trajani erigi collocarique —jusserunt. » Hederiche. Notitia auctor. antiq. et modern.

Wittenberg. 1714. p. 723.

Macrobe est encore un grec de naissance qui s'est appris à écrire en latin. « Je ne sais, dit Tillemont (1), si l'on aurait voulu marquer son pays par le mot de Sicetin ajouté à ses noms dans un manuscrit : mais je ne sais ce que c'est. » Il a vécu sous Théodose Ier (2). Erasme a dit de lui (3): « Macrobius Æsopicá Cornicula ex avorum pannis suos contexuit centones. Itaque sua lingua non loquitur, et, si quando loquitur, Græculum latine balbutire credas. » Tillemont a répété ce jugement (*): « On prétend en effet que son élocution n'est ni pure ni belle, et que dans les endroits où il parle de luimême, on voit un grec qui bégaie.

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Que prouvent ces transformations d'hellènes en latins? Si ce n'est qu'à Rome, au commencement du cinquième siècle, l'érudition grecque avait baissé et qu'il eût été difficile de s'y faire comprendre en continuant de parler son langage naturel, quand on était né dans les contrées de l'Orient. Ne serait-ce pas cette décadence des études grecques qui, déjà en 376, aurait empêché le philosophe Thémistius, de céder aux offres qu'on lui faisait d'enseigner la philosophie dans Rome! L'empereur Valens l'avait envoyé de Syrie dans les Gaules vers Gratien; à son retour, il avait passé par cette

(1) Emp. t. V, p. 663.

(2) Outre les Saturnales de Macrobe, on a encore deux livres sur le songe que Cicéron attribue à Scipion. Ces deux livres ont été traduits en grec par Maxime Planude. On a encore sous le nom de Macrobe un livre de grammaire sur la conformité et les différences qu'il y a entre la langue grecque et la latine, et il paraît que Macrobe a fait un ouvrage sur ce sujet, mais que celui que nous avons est de Jean Erigène, auteur du IX siècle, qui l'a fait sur celui de Macrobe, en y changeant et y ajoutant même diverses choses. Tillemont. V. p. 664.

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Déjà Ammien Marcellin, né à Antioche, grec de nation, avait écrit en latin, l'an 390 à Rome. Il paraît qu'il est aussi l'auteur d'un ouvrage en langue grecque, sur les historiens et les orateurs de la Grèce, dont il existe un fragment intitulé : Μαρκελλίνου περὶ τοῦ Θουκυδίδου καὶ τῆς ἰδεάς αὐτοῦ άπò Tηs öλns Eurypapñs πapaбolý. Scholl. Hist. de la litt. grecq. t. VI, p. 202. (3) Ciceron. p. 148.

(4) T. V, p. 664.

grande cité. On essaya de l'y retenir, on voulut l'obliger à s'y arrêter en employant pour cela l'autorité de l'empereur; mais il ne voulut point et se hâta de retourner à Constantinople. Nous remarquerons qu'il résista de même aux sollicitations qu'on lui fit pour le retenir à Antioche et dans la Galatie.

Mais au moins fait-il l'éloge des Galates. Il prétend que dans ce pays, les esprits étaient vifs, ¿§ɛîç xaì dyxívot, subtils et pénétrants, plus propres aux sciences que ceux des Grecs mêmes, et qu'ils les aimaient avec une extrême ardeur. Ces dispositions d'un peuple issu de la souche celtique justifient les observations que nous avons faites plus haut sur le génie des Gaulois et nous expliquent les progrès de l'hellénisme, tant en Irlande que dans le midi de la Gaule.

Rufus Festus Avienus interrompt cette série de Grecs devenus Latins, et nous ramène à nos études. On le voit en effet, au cinquième siècle, traduire en latin, après les tentatives de Cicéron et de Germanicus, les Phénomènes d'Aratus. Travailleur infatigable, il donna la traduction, envers également, de la description du monde par Denys; grace à lui, quarante-quatre fables d'Esope passèrent du grec en latin, nous croyons qu'il venait à propos pour soulager l'ignorance romaine (1).

Il aurait été difficile que les études se maintinssent à Rome, surtout les études grecques, au milieu des alarmes, des troubles et des attaques répétées des barbares. Les soins que Théodose prenait à Constantinople pour maintenir les sciences ne pouvaient s'étendre jusqu'à Rome. Nous voyons en effet dans les lois de cet empereur que Constantinople devait avoir dix professeurs latins pour les humanités et autant de grecs. Une autre loi accorde la dignité de comte du premier ordre

(1) Servius dit qu'il avait mis Tite-Live en vers iambiques. Tillemont. V. p. 410.

à Hellade et Syrien, professeurs grecs en humanités, à Théophile, qui les enseignait en latin, aux sophistes Martin et Maxime et à Léonce, jurisconsulte. Elle accorde encore le même honneur à ceux qui auront professé vingt ans en l'auditoire du Capitole (à Constantinople). Nous chercherions vainement pour les études grecques, à Rome, rien de semblable à ce que Théodose faisait pour les études latines sur le Bosphore ('). Que pouvaient du reste faire les malheureux habitants d'une ville si souvent pillée, et enfin violemment séparée de Constantinople? Tout s'abaisse, Justin, fait 68 ans, était ignorant jusqu'à ne savoir pas lire.

empereur

à

Nous touchons pour l'Occident à l'époque où les études en général et surtout les études grecques s'affaiblissent beaucoup. On ne peut pas dire que ces dernières disparurent tout-à-fait, mais elles subirent une telle éclipse qu'on a pu croire qu'elles s'étaient tout-àfait éteintes. On en est réduit à transcrire en latin les actes du concile tenu à Constantinople en 553 contre Eutychès, parce que le pape Virgile n'entendait pas le grec et n'avait personne autour de lui qui pût le comprendre (2). Il devient de plus en plus rare qu'on cite dans l'église latine quelques hommes instruits dans la langue grecque, comme Fulgence, né dans Carthage et formé par les moines de l'Egypte (3).

(1) Tillemont. Les Emp. t. VI. p. 55.

(2) Abrégé de l'Hist. ecclés., 576. On cite encore, à la même époque, un écrivain nommé Planciades Fulgentius, auteur de trois livres de mythologies, mythologiarum, d'un écrit De continentia Virgilii et de vocibus antiquis. Barthe, dans son commentaire sur Stace, t. III, p. 449, en dit ceci : Hæc Fulgentius. Quem scriptorem legendo miseratione temporum adficimur. Tanta enim ruditas a Græca litteratura erat, ut sibi adrogantiæ summæ homo omnia scribere licere crederet, modo vel auctores Græcos, vel voces ejusdem linguæ per caput pedesque attrahere posset in medium, et inde suum negotium curare.

(3) Ibid. 594.

XVII.

En Gaule pourtant il restait plus que des vestiges de l'anciennecivilisation grecquequi avait si longtemps brillé dans cette colonie de la Grèce. Au commencement duVI° siècle, une partie du peuple parlait encore le grec. On le voit par une circonstance de la vie de Saint Cẻsaire. Sorti du monastère de Lérins, appelé à occuper le siége épiscopal d'Arles, il institua pour les laïques l'usage de chanter, comme les clercs des psaumes et des hymnes. Or les uns chantaient en grec et les autres en latin. Cet évêque illustre exhortait ses fidèles à ne pas se contenter d'entendre lire l'écriture dans l'église, mais à la lire encore dans leurs maisons (). Il établit aussi un couvent de religieuses. Pour le gouverner il fit venir de Marseille Césarie, sa sœur. Parmi les règles imposées à ces femmes, on remarque l'obligation de transcrire en beaux caractères les livres saints. Elles apprenaient toutes à lire et faisaient tous les jours deux heures de lecture, depuis six heures du matin jusqu'à huit. Il n'est pas probable que Césaire ait interdit les lectures grecques à celles des religieuses qui parlaient cette langue avant d'entrer dans le cloître. Il n'est pas surprenant que des femmes aient dans les monastères poussé loin leurs études; rien n'empêche de croire qu'il n'y eût alors dans Arles quelqu'une de ces religieuses instruites, comme Radegonde la Thuringienne, à qui Fortunat adresse ses compliments

(1) Abrégé de l'Hist. ecclés. t. II, p. 661.

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