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J'arrive au plus important des ouvrages de lord Byron, à celui où il s'est peint tout entier, et qui est à lui seul toute sa vie poétique. Il le commença jeune, le fit paraître par chants à d'assez longs intervalles, et le finit à Rome. Childe Harold était son poème favori; il dit dans la dédicace du dernier chant à M. Hobhouse : « Ce poème est le plus fortement pensé de mes ouvrages, » et plus loin, «< comme gage de mon respect pour ce qui est vénérable, de mon enthousiasme pour ce qui est glorieux, la composition de Childe Harold a été pour moi une source de jouissance, je ne m'en sépare qu'avec une sorte de regret, etc. »

Ce poème est du genre descriptif, mais non comme nous le comprenons en France. Ce n'est

pas une revue de pays, de bois, de rochers. La peinture des lieux est insipide si l'âme ne s'y montre partout ce qui frappait les yeux de lord Byron se reflétait pour ainsi dire en lui-même, et autour de ces images venaient se grouper les émotions, les pensées qu'elles faisaient naître dans un cœur froissé, mais encore de feu pour ce qui était noble et grand, Une sensibilité irritable et blessée donne parfois de l'âpreté à l'expression, mais jamais de méchanceté.

II

Il y a tout lieu de croire que lord Byron s'est dépeint lui-même dans son héros, et ses ennemis en ont pris occasion de lui reprocher les vices qu'il lui prête, mais peut-être a-t-il exagéré le tableau pour l'effet romantique; du reste, il nie formellement dans sa préface qu'il se soit pris pour modèle; « Harold, dit-il, est l'enfant de mon imagination. Quelques légères particularités, presque toutes locales, ont pu donner lieu à cette idée; mais dans les points principaux, j'espère qu'il ne peut y avoir aucune ressemblance. >>

Malgré ce désaveu tout le commencement du poème a un rapport trop immédiat avec lui pour ne pas croire qu'il ait peint certaines nuances du caractère de Childe Harold, d'après nature. On y retrouve cet amour du plaisir qui succède aux espérances trompées, cet enivrement coupable par lequel on cherche à s'étourdir sur le chagrin,

ce vide d'une âme souffrante qui n'espère plus de bonheur; mais pas une faute n'est excusée. Le héros est une noble créature déchue, en proie à un mal plus grand que le malheur, au dégoût de la satiété. «< Il a soupiré pour plusieurs femmes; mais il n'en a ainé qu'une seule, et celle-là tant aimée, ne pouvait, hélas, être à lui. » (*). Il va quitter sa terre natale. Il abandonne l'antique demeure de ses pères, « vaste et vénérable édifice, dôme monastique condamné à de vils usages, jadis l'antre de la superstition (**). Parfois dans des momens de délire et de gaîté, d'étranges angoisses sillonnaient comme la foudre le front de Childe Harold. On eût dit que le souvenir de quelque haine mortelle ou d'une passion trompée habitait dans son cœur, mais personne ne connaissait sa peine, et personne ne se souciait de la connaître, car il n'avait pas cette âme ouverte et candide

(*) « Had sighed to many, though he loved but one, And that loved one, alas! could ne'er be his (1). »

(**) « It was a vast and venerable pile;

Mouastic dome! condemned to uses vile!

Where Superstition once had made her den (2). »

(1) Miss Maria Chaworth dont nous avons parle plus haut.

(2) L'abbaye de Newstead qui avait effectivement appartenu long-temps aux moiues

qui éprouve du soulagement à épancher sa douleur. Il ne cherchait point d'ami pour le conseiller, ou le plaindre, quelle que fût la souffrance à laquelle il ne pouvait commander (*)». Il avait une mère, une sœur (1) qu'il aimait quoiqu'il s'éloignât d'elles sans les voir, non pas que son cœur fût d'airain, mais parce que de pareils adieux brisent l'âme au lieu de la guérir. Childe Harold quitta sans un soupir, sa patrie, son héritage, ses terres, « les belles aux yeux bleus et riants qui faisaient ses délices (**). » Le moment dụ départ est plein de beautés poétiques du premier ordre.

(*) « Yet oft-times in his maddest mirthful mood Strange pangs would flash along Childe Harold's brow. As if the memory of some deadly feud

Or disappointed passion lurked below:

But this none knew, nor haply cared to know ;

For his was not that open, artless soul

That feels relief by bidding sorrow flow,

Nor sought he friend to counsel or condole,

Whate'er this grief mote be which he could not control.» (**) « The laughing dames in whom he did delight,

Whose large blue eyes, etc. »

(1) Lord Byron avait eu deux sœurs d'un premier mariage de son père avec la marquise de Carmarthen, qu'il épousa après un scandaleux divorce; l'une d'elles mourut, je crois, fort jeune. Celle qui existe aujourd'hui, et que lord Byron semble désigner ici, est Mistress Augusta Leigh.

XII.

« Les voiles s'enflent, et les vents légers soufflent comme aises de l'emporter loin de sa terre natale. Les rochers blanchâtres s'effacent peu-à-peu, et se perdent bientôt dans l'écume qui les environne. Peutêtre qu'alors il se repentit de son desir d'errer, mais dans son sein repose la pensée silencieuse, pas un murmure ne sortit de ses lèvres, tandis que ses compagnons assis à ses pieds, pleuraient, et mêlaient aux sifflemens de la brise insouciante, leurs lâches gé

inissemens. >>

Pendant que le vaisseau vole avec ses ailes d'un blanc de neige, Childe-Harold saisit sa harpe; et enveloppé dans les ombres du soir, il chante son adieu à sa terre natale. Ce chant a une singulière expression de mélancolie, rendue plus frappante encore par la mesure des vers et le retour fréquent de certaines expressions. Les ennemis de lord

XII.

The sails were filled, and fair the light winds blew,

As glad to waft him from his native home;

And fast the white rocks faded from his view,
And soon were lost in circumambient foam :
And then, it may be, of his wish to roam
Repented he, but in his bosom slept
The silent thought, nor from his lips did come
One word of wail, whilst others sate and wept,
And to the reckless gales unmanly moaning kept.

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