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de cadavre, dit Tertullien (1), parcequ'il nous montre encore quelque forme humaine, ne lui demeure pas long-temps; il devient un je ne sais quoi qui n'a plus de nom dans aucune langue: tant il est vrai que tout meurt en lui, jusqu'à ces termes funebres par lesquels on exprimoit ses malheureux

restes!

C'est ainsi que la puissance divine, justement irritée contre notre orgueil, le pousse jusqu'au néant, et que, pour égaler à jamais les conditions, elle ne fait de nous tous qu'une même cendre. Peut-on bâtir sur ces ruines? peut-on appuyer quelque grand dessein sur ce débris inévitable des choses humaines? Mais quoi, messieurs, tout est-il donc désespéré pour nous? Dieu, qui foudroie toutes nos grandeurs jusqu'à les réduire en poudre, me nous laisse-t-il aucune espérance? lui aux yeux de qui rien ne se perd, et qui suit toutes les parcelles de nos corps en quelque-endroit écarté du monde que la corruption ou le hasard les jette, verra-t-il périr sans ressource ce qu'il a fait capable de le connoître et de l'aimer? Ici un nouvel ordre de choses se présente à moi; les ombres de la mort se dissipent: « Les voies me sont ouvertes à la vẻ«ritable vie (1) ». Madame n'est plus dans le tombeau; la mort, qui sembloit tout détruire, a tout

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(1) Cadit in originem terram, et cadaveris nomen ex isto quoque nomine peritura, in nullum iude jam nomen, in omnis jam vocabuli mortem. TERTUL. de Resurr. carnis.

(2) Notas mihi fecisti vias vitæ. PSAL. 15, v. 10.

établi: voici le secret de l'Ecclésiaste, que je vous avois marqué dès le commencement de ce discours, et dont il faut maintenant découvrir le fond.

sance,

Il faut donc penser, chrétiens, qu'outre le rapport que nous avons du côté du corps avec la nature changeante et mortelle, nous avons d'un autre côté un rapport intime et une secrete affinité avec Dieu, parceque Dieu même a mis quelque chose en nous qui peut confesser la vérité de son être, en adorer la perfection, en admirer la plénitude; quelque chose qui peut se soumettre à sa souveraine puiss'abandonner à sa haute et incompréhensible sagesse, se confier en sa bonté, craindre sa justice, espérer son éternité. De ce côté, messieurs, si l'homme croit avoir en lui de l'élévation, il ne se trompera pas; car comme il est nécessaire que chaque chose soit réunie à son principe, et que c'est pour cette raison, dit l'Ecclésiaste, que le corps «< retourne à la terre, dont il a été tiré (1)», il faut par la suite du même raisonnement, que ce qui porte en nous la marque divine, ce qui est capable de s'unir à Dieu, y soit aussi rappelé. Or ce qui doit retourner à Dieu, qui est la grandeur primitive et essentielle, n'est-il pas grand et élevé? C'est pourquoi, quand je vous ai dit que la grandeur et la gloire n'étoient parmi nous que des noms pompeux, vides de sens et de choses, je

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(1) Revertatur pulvis ad terram suam, unde erat. ECCL. 12, V. 7. Spiritus redeat ad Deum, qui dedit illum IBID.

regardois le mauvais usage que nous faisons de ces termes; mais, pour dire la vérité dans toute son étendue, ce n'est ni l'erreur ni la vanité qui ont inventé ces noms magnifiques; au contraire nous ne les aurions jamais trouvés si nous n'en avions porté le fonds en nous-mêmes; car où prendre ces nobles idées dans le néant? La faute que nous faisons n'est donc pas de nous être servis de ces noms; c'est de les avoir appliqués à des objets trop indignes. S. Chrysostome a bien compris cette vérité quand il a dit : « Gloire, richesses, noblesse, puis<< sance, pour les hommes du monde ne sont que « des noms; pour nous, si nous servons Dieu, ce « sont des choses: au contraire la pauvreté, la honte, la mort, sont des choses trop effectives et « trop réelles pour eux; pour nous ce sont seule<< ment des noms (1) », parceque celui qui s'attache à Dieu ne perd ni ses biens, ni son honneur, ni sa vie. Ne vous étonnez donc pas si l'Ecclésiaste dit si souvent, « Tout est vanité » ; Il s'explique, «tout << est vanité sous le soleil (2)», c'est-à-dire tout ce qui est mesuré par les années, tout ce qui est emporté par la rapidité du temps. Sortez du temps et du changement, aspirez à l'éternité: la vanité ne vous tiendra plus asservis. Ne vous étonnez pas sí le même Ecclésiaste (3) méprise tout en nous jusqu'à la sagesse, et ne trouve rien de meilleur

(1) Hoм. 19 in Matt.

(2) ECCL. C. I, v. 2, 14; c. 2, V. II, 17.
(3) ECCL. c. 1, v. 17 ; €. 2, V. 12, 24.

que

de goûter en repos le fruit de son travail. La sagesse dont il parle en ce lieu est cette sagesse insensée, ingénieuse à se tourmenter, habile à se tromper elle-même, qui se corrompt dans le présent, qui s'égare dans l'avenir, qui, par beaucoup de raisonnements et de grands efforts, ne fait que se consumer inutilement en amassant des choses

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que le vent emporte. Eh! s'écrie ce sage roi, y a-t-il rien de si vain (1) »? Et n'a-t-il pas raison de préférer la simplicité d'une vie particuliere qui goûte doucement et innocemment ce peu de biens que la nature nous donne, aux soucis et aux chagrins des avares, aux songes inquiets des ambitieux? Mais «< cela même, dit-il, ce repos, cette dou«ceur de la vie, est encore une vanité (2) », parceque la mort trouble et emporte tout. Laissons-lui done mépriser tous les états de cette vie, puisqu'enfin de quelque côté qu'on s'y tourne on voit toujours la mort en face, qui couvre de tenebres tous nos plus beaux jours; laissons-lui égaler le fou et le sage, et même, je ne craindrai pas de le dire hautement en cette chaire, laissons-lui confondre l'homme avec la bête. Unus interitus est hominis, et jumentorum (3). En effet jusqu'à ce que nous ayons trouvé la véritable sagesse, tant que nous regarderons l'homme par les du yeux corps, démêler par l'intelligence ce secret prineipe

sans

Et est quidquam tam vanum. ECCL. c. 2, v. 19. Vidi quod hoc quoque esset vanitas. ECCL. c. 2, v. 1, 2 ; c. 8, v. 10.

(3) Eccl. c. 3, v. 19.

de toutes nos actions, qui étant capable de s'unir à Dieu doit nécessairement y retourner, que verrons-nous autre chose dans notre vie que de folles inquiétudes? et que verrons-nous dans notre mort qu'une vapeur qui s'exhale, que des esprits qui s'épuisent, que des ressorts qui se démontent et se déconcertent, enfin qu'une machine qui se dissout et qui se met en pieces? Ennuyés de ces vanités, cherchons ce qu'il y a de grand et de solide en nous. Le sage nous l'a montré dans les dernieres paroles de l'Ecclésiaste; et bientôt Madame nous le fera paroître dans les dernieres actions de sa vie. << Crains Dieu, et observe ses commandements; car « c'est là tout l'homme » (1): comme s'il disoit, Ce n'est pas l'homme que j'ai méprisé, ne le croyez pas; ce sont les opinions, ce sont les erreurs par lesquelles l'homme abusé se déshonore lui-même. Voulez-vous savoir en un mot ce que c'est que l'homme? Tout son devoir, tout sou objet, toute sa nature, c'est de craindre Dieu; tout le reste est vain, je le déclare: mais aussi tout le reste n'est pas l'homme. Voici ce qui est réel et solide, et ce que la mort ne peut enlever; car, ajoute l'Ecclésiaste, «< Dieu examinera dans son jugement tout ce « que nous aurons fait de bien et de mal » (2). Il est douc maintenant aisé de concilier toutes choses. Le psalmiste dit (3) « qu'à la mort périront toutes nos

(1) ECCL. c. 12, v. 13. (2) ECCL. c. 12, v. 14. (3) PSAL. 145, v. 4.

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