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qu'un nom, la vie n'est qu'un songe, la gloire n'est qu'une apparence, les graces et les plaisirs ne sont qu'un dangereux amusement; tout est vain en nous, excepté le sincere aveu que nous faisons devant Dieu de nos vanités, et le jugement arrêté qui nous fait mépriser tout ce que nous sommes.

Mais dis-je la vérité? l'homme, que Dieu a fait à son image, n'est-il qu'une ombre?' ce que JésusChrist est venu chercher du ciel en la terre, ce qu'il a cru pouvoir, sans se ravilir, racheter de tout son sang, n'est-ce qu'un rien? Reconnoissons notre errear: sans doute ce triste spectacle des vanités humaines nous imposoit ; et l'espérance publique, frustrée tout-à-coup par la mort de cette princesse, nous poussoit trop loin. Il ne faut pas permettre à l'homme de se mépriser tout entier, de peur que, croyant avec les impies que notre vie n'est qu'un jen où regne le hasard, il ne marche sans regle et sans conduite au gré de ses aveugles desirs. C'est pour cela que l'Ecclésiaste, apres avoir commencé son divin ouvrage par les paroles que j'ai récitées, après en avoir rempli toutes les pages du mépris des choses humaines, veut enfin montrer à l'homme quelque chose de plus solide, et conclut tout son discours en lui disant: «(1) Crains Dieu, et garde a ses commandements; car c'est là tout l'homme; « et sache que le Seigneur examinera dans son juge

(1) Deum time, et mandata ejus observa ; hoc est enim omnis homo: et cuncta quæ fiunt adducet Deus in judicium, sive bonum, sive malum illud sit. ECCL. c. 12, v. 13, 14.

<< ment tout ce que nous aurons fait de bien ou de « mal ». Ainsi tout est vain en l'homme, si nous regardons ce qu'il donne au monde; mais, au contraire, tout est important, si nous considérons ce qu'il doit à Dieu. Encore une fois tout est vain en l'homme si nous regardons le cours de sa vie mortelle; mais tout est précieux, tout est important, si nous contemplons le terme où elle aboutit, et le` compte qu'il en faut rendre. Méditons donc aujourd'hui à la vue de cet autel et de ce tombeau la premiere et la derniere parole de l'Ecclésiaste, l'une qui montre le néant de l'homme, l'autre qui établit sa grandeur. Que ce tombeau nous convainque de notre néant, pourvu que cet autel où l'on offre tous les jours pour nous une victime d'un si grand prix nous apprenne en même temps notre dignité: la princesse que nous pleurons sera un témoin fidele de l'un et de l'autre. Voyons ce qu'une mort soudaine lui a ravi, voyons ce qu'une sainte mort lui a donné. Ainsi nous apprendrons à mépriser ce qu'elle a quitté sans peine, afin d'attacher toute notre estime à ce qu'elle a embrassé avec tant d'ardeur, lorsque son ame, épurée de tous les sentiments de la terre, et pleine du ciel, où elle touchoit, a vu la lumiere toute manifeste. Voilà les vérités que j'ai à traiter, et que j'ai crues dignes d'être proposées à un si grand prince, et à la plus illustre assemblée de

l'univers.

(1)« Nous mourons tous »

disoit cette femme

(1) Omnes morimur, et quasi aquæ dilabimur in terram, quæ non revertuntur. 2 REG. C. 14, v. 14.

«

dont l'écriture a loué la prudence au second livre des Rois et nous allons sans cesse au tombeau, ainsi que des eaux qui se perdent sans retour ». En effet, nous ressemblons tous à des eaux courantes. De quelque superbe distinction que se flattent les hommes, ils ont tous une même origine; et cette origine est petite. Leurs années se poussent successivement comme des flots: ils ne cessent de s'écouler; tant qu'enfin, après avoir fait un peu plus de bruit, et traversé un peu plus de pays les uns que les autres, ils vont tous ensemble se confondre dans un abyme où l'on ne reconnoît plus ni princes, ni rois, ni toutes ces autres qualités superbes qui distinguent les hommes; de même que ces fleuves tant vantés demeurent sans nom et sans gloire, mêlés dans l'océan avec les rivieres les plus incon

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Et certainement, messieurs, si quelque chose pouvoit élever les hommes au-dessus de leur infirmité naturelle; si l'origine qui nous est commune souffroit quelque distinction solide et durable entre cent: que Dieu a formés de la même terre, qu'y auroit-il dans l'univers de plus distingué que la princesse dont je parle? Tout ce que peuvent faire non seulement la naissance et la fortune, mais encore les grandes qualités de l'esprit, pour l'élévation d'une princesse, se trouve rassemblé et puis anéanti dans la nôtre. De quelque côté que je suive les traces de sa glorieuse origine, je ne découvre que des rois, et par-tout je suis ébloui de l'éclat des plus augustes couronnes. Je vois la maison de France, la plus grande sans comparaison de tout l'univers,

et à qui les plus puissantes maisons peuvent bien céder sans envie, puisqu'elles tâchent de tirer leur gloire de cette source: je vois les rois d'Ecosse, les rois d'Angleterre, qui ont régné depuis tant de siecles sur une des plus belliqueuses nations de l'univers, plus encore par leur courage que par l'autorité de leur sceptre. Mais cette princesse, née sur le trône, avoit l'esprit et le cœur plus hauts que sa naissance. Les malheurs de sa maison n'ont pu l'accabler dans sa premiere jeunesse ; et dès-lors on voyoit en elle une grandeur qui ne devoit rien à la fortune. Nous disions avec joie que le ciel l'avoit. arrachée comme par miracle des mains des ennemis du roi son pere, pour la donner à la France: don précieux, inestimable présent, si seulement la possession en avoit été plus durable! Mais pourquoi ce souvenir vient-il m'interrompre? Hélas! nous ne pouvons un moment arrêter les yeux sur la gloire de la princesse, sans que la mort s'y mêle aussitôt pour tout offusquer de son ombre. O mort! éloigne-toi de notre pensée, et laisse-nous tromper pour un peu de temps la violence de notre douleur par le souvenir de notre joie. Souvenezvous donc, messieurs, de l'admiration que la princesse d'Angleterre donnoit à toute la cour: votre mémoire vous la peindra mieux avec tous ses traits et son incomparable douceur, que ne pourront jamais faire toutes mes paroles. Elle croissoit au milieu des bénédictions de tous les peuples, et les années ne cessoient de lui apporter de nouvelles graces. Aussi la reine sa mere, dont elle a toujours été la consolation, ne l'aimoit pas plus tendrement

que faisoit Anne d'Espagne. Anne, vous le savez, messieurs, ne trouvoit rien au-dessus de cette princesse. Après nous avoir donné une reine, seule capable, par sa piété et par ses autres vertus royales, de soutenir la réputation d'une tante si illustre, elle voulut, pour mettre dans sa famille ce que l'univers avoit de plus grand, que Philippe de France, son second fils, épousât la princesse Henriette; et quoique le roi d'Angleterre, dont le cœur égale la sagesse, sût que la princesse sa sœur, recherchée de tant de rois, pouvoit honorer un trône, il lui vit remplir avec joie la seconde place de France, que la dignité d'un si grand royaume peut mettre en comparaison avec les premieres du reste du monde.

Que si son rang la distinguoit, j'ai eu raison de vous dire qu'elle étoit encore plus distinguée par son mérite. Je pourrois vous faire remarquer qu'elle connoissoit si bien la beauté des ouvrages de l'esprit, que l'on croyoit avoir atteint la perfection quand on avoit su plaire à Madame: je pourrois encore ajouter que les plus sages et les plus expérimentés admiroient cet esprit vif et perçant qui embrassoit sans peine les plus grandes affaires, et pénétroit avec tant de facilité dans les plus secrets intérêts. Mais pourquoi m'étendre sur une matiere où je puis tout dire en un mot? Le roi, dont le jugement est une regle toujours sûre, a estimé la capacité de cette princesse, et l'a mise par son estime au-dessus de tous nos éloges.

Cependant, ni cette estime, ni tous ces grands avantages, n'ont pu donner atteinte à sa modestie.

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