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trouver une convenable à leurs mérites comme à leurs desirs; il leur donne pour récompense l'empire du monde comme un présent de nul prix. O rois, confondez-vous dans votre grandeur; conquérants, ne vantez pas vos victoires. Il leur donne pour récompense la gloire des hommes; récompense qui ne vient pas jusqu'à eux, qui s'efforce de s'attacher, quoi? peut-être à leurs médailles ou à leurs statues déterrées, restes des ans et des barbares; aux ruines de leurs monuments et de leurs ouvrages, qui disputent avec le temps, ou plutôt à leur idée, à leur ombre, à ce qu'on appelle leur nom : voilà le digne prix de tant de travaux, et dans le comble de leurs vœux la conviction de leur erreur. Venez, rassasiezvous, grands de la terre, saisissez-vous, si vous pouvez, de ce fantôme de gloire, à l'exemple de ces grands hommes que vous admirez. Dieu, qui punit leur orgueil dans les enfers, ne leur a pas envié, dit S. Augustin, cette gloire tant desirée; et « vains, << ils ont reçu une récompense aussi vaine que leurs << desirs » ; Receperunt mercedem suam, vani vanam.(1)

Il n'en sera pas ainsi de notre grand prince: l'heure de Dieu est venue, heure attendue, heure desirée, heure de miséricorde et de grace. Sans être averti par la maladie, sans être pressé par le temps, il exécute ce qu'il méditoit. Un sage religieux, qu'il appelle exprès, regle les affaires de sa conscience: il obéit, humble chrétien, à sa décision; et nul n'a

(1) In psal. 118, serm. 12, n. 2.

jamais douté de sa bonne foi. Dès-lors aussi on le vit toujours sérieusement occupé du soin de se vaincre soi-même, de rendre vaines toutes les attaques de ses insupportables douleurs, d'en faire par sa soumission un continuel sacrifice. Dieu, qu'il invoquoit avec foi, lui donna le goût de son écriture, et dans ce livre divin la solide nourriture de la piété. Ses conseils se régloient plus que jamais par la justice; on y soulageoit la veuve et l'orphelin, et le pauvre en approchoit avec confiance. Sérieux autant qu'agréable pere de famille, dans les douceurs qu'il goûtoit avec ses enfants il ne cessoit de leur inspirer les sentiments de la véritable vertu; et ce jeune prince son petit-fils se sentira éternellement d'avoir été cultivé par de telles mains. Toute sa maison profitoit de son exemple. Plusieurs de ses domestiques avoient été malheureusement nourris dans l'erreur que la France toléroit alors; combien de fois l'at-on vu inquiété de leur salut, affligé de leur résisance, consolé par leur conversion! avec quelle incomparable netteté d'esprit leur faisoit-il voir l'antiquité et la vérité de la religion catholique! Ce n'étoit plus cet ardent vainqueur qui sembloit vouloir tout emporter, c'étoit une douceur, une patience, une charité qui songeoit à gagner les cœurs et à guérir des esprits malades. Ce sont, messieurs, ces choses simples, gouverner sa famille, édifier ses domestiques, faire justice et miséricorde, accomplir le bien que Dieu veut, et souffrir les maux qu'il envoie; ce sont ces communes pratiques de la vie chrétienne que Jésus-Christ louera au dernier jour devant ses saints anges et devant son Pere cé

leste: les histoires seront abolies avec les empires, et il ne se parlera plus de tous ces faits éclatants dont elles sont pleines. Pendant qu'il passoit sa vie dans ces occupations, et qu'il portoit au-dessus de ses actions les plus renommées la gloire d'une si belle et si pieuse retraite, la nouvelle de la maladie de la duchesse de Bourbon vint à Chantilly comme un coup de foudre. Qui ne fut frappé de voir éteindre cette lumiere naissante? on appréhenda qu'elle n'eût le sort des choses avancées. Quels furent les sentiments du prince de Condé lorsqu'il se vit menacé de perdre ce nouveau lien de sa famille avec la personne du roi? C'est donc dans cette occasion que devoit mourir ce héros! celui que tant de sieges et tant de batailles n'ont pu emporter va périr par sa tendresse! Pénétré de toutes les inquiétudes que donne un mal affreux, son cœur, qui le soutient seul depuis si long-temps, acheve à ce coup de l'accabler, les forces qu'il lui fait trouver l'épuisent. S'il oublie toute sa foiblesse à la vue du roi qui approche de la princesse malade; si, transporté de son zele, et sans avoir besoin de secours à cette fois, il accourt pour l'avertir de tous les périls que ce grand roi ne craignoit pas, et qu'il l'empêche enfin d'avancer, il va tomber évanoui à quatre pas; et on admire cette nouvelle maniere de s'exposer pour son roi. Quoique la duchesse d'Enguien, princesse dont la vertu ne craignit jamais que de manquer à sa famille et à ses devoirs, eût obtenu de demeurer auprès de lui pour le soulager, la vigilance de cette princesse ne calme pas les soins qui le travaillent; et après que la jeune princesse est hors de péril.

maladie du roi va bien causer d'autres troubles à notre prince. Puis-je ne m'arrêter pas en cet endroit? A voir la sérénité qui reluisoit sur ce front auguste, eût-on soupçonné que ce grand roi, en retournant à Versailles, allât s'exposer à ces cruelles douleurs où l'univers a connu sa piété, sa constance, et tout l'amour de ses peuples? De quels yeux le regardions-nous lorsqu'aux dépens d'une santé qui nous est si chere il vouloit bien adoucir nos cruelles inquiétudes par la consolation de le voir, et que, maître de sa douleur comme de tout le reste des choses, nous le voyions tous les jours, non seulement régler ses affaires selon sa coutume, mais encore entretenir sa cour attendrie avec la même tranquillité qu'il lui fait paroître dans ses jardins enchantés! Béni soit-il de Dieu et des hommes, d'unir ainsi toujours la bonté à toutes les autres qualités que nous admirons! Parmi toutes ses douleurs il s'informoit avec soin de l'état du prince de Condé, et il marquoit pour la santé de ce prince une inquiétude qu'il n'avoit pas pour la sienne. Il s'affoiblissoit ce grand prince, mais la mort cachoit ses approches. Lorsqu'on le crut en meilleur état, et que le duc d'Enguien, toujours partagé entre les devoirs de fils et de sujet, étoit retourné par son ordre auprès du roi, tout change en un moment, et on déclare au prince sa mort prochaine. Chrétiens, soyez attentifs, et venez apprendre à mourir, ou plutôt venez apprendre à n'attendre pas la derniere heure pour commencer à bien vivre. Quoi! attendre à commencer une vie nouvelle, lorsqu'entre les mains de la mort, glacés sous ses froides mains, vous ne saurez si vous êtes avec les

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morts ou encore avec les vivants! Ah! prévenez par la pénitence cette heure de troubles et de tenebres. Par-là, sans être étonné de cette derniere sentence qu'on lui prononça, le prince demeure un moment dans le silence, et tout-à-coup: « O mon Dieu! ditil, vous le voulez; votre volonté soit faite! je me jette entre vos bras, donnez-moi la grace de bien « mourir ». Que desirez-vous davantage? Dans cette courte priere, vous voyez la soumission aux ordres de Dieu, l'abandon à sa providence, la confiance en sa grace, et toute la piété. Dès lors aussi, tel qu'on l'avoit vu dans tous ses combats, résolu, paisible, occupé sans inquiétude de ce qu'il falloit faire pour les soutenir, tel fut-il à ce dernier choc; et la mort ne lui parut pas plus affreuse, pâle et languissante, que lorsqu'elle se présente au milieu du feu sous l'éclat de la victoire, qu'elle montre seule. Pendant que les sanglots éclatoient de toutes parts, comme si un autre que lui en eût été le sujet, il continuoit à donner ses ordres; et s'il défendoit les pleurs, ce n'étoit pas comme un objet dɔnt il fût troublé, mais comme un empêcheuíent qui le retardoit. A ce moment il étend ses soins jusqu'aux moindres de ses domestiques; avec une libéralité digne de sa naissance et de leurs services il les laisse comblés de ses dons, mais encore plus honorés des marques de son souvenir. Comme il donnoit des ordres particuliers et de la plus haute importance, puisqu'il y alloit de sa conscience et de son salut éternel, averti qu'il falloit écrire et ordonner dans les formes: quand je devrois, monseigneur, renouveler vos douleurs et rouvrir toutes les plaies de votre

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