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intérêts, eut déclaré la guerre aux Anglois, ne futelle pas encore une sage et heureuse médiatrice? ne réunit-elle pas les deux royaumes? et depuis encore ne s'est-elle pas appliquée en toutes rencontres à conserver cette même intelligence? Ces soins regardent maintenant vos altesses royales ; et l'exemple d'une grande reine, aussi-bien que le sang de France et d'Angleterre, que vous avez uni par votre heureux mariage, vous doit inspirer le desir de travailler sans cesse à l'union de deux rois qui vous sont si proches et de qui la puissance et la vertu peuvent faire le destin de toute l'Europe.

Monseigneur, ce n'est plus seulement par cette vaillante main et par ce grand cœur que vous acquerrez de la gloire; dans le calme d'une profonde paix vous aurez des moyens de vous signaler, et vous pouvez servir l'état sans l'alarmer, comme vous avez fait tant de fois en exposant au milieu des plus grands hasards de la guerre une vie aussi précieuse et aussi nécessaire que la vôtre. Ce service, monseigneur, n'est pas le seul qu'on attend de vous, et l'on peut tout espérer d'un prince que la sagesse conseille, que la valeur anime, et que la justice accompagne dans toutes ses actions. Mais où m'emporte mon zele si loin de mon triste sujet ! je m'arrête à considérer les vertus de Philippe, et ne songe pas que je vous dois l'histoire des malheurs de Henriette.

J'avoue, en la commençant, que je sens plus que jamais la difficulté de mon entreprise. Quand j'envisage de près les infortunes inouies d'une si grande reine, je ne trouve plus de paroles, et mon

esprit, rebuté de tant d'indignes traitements qu'on a faits à la majesté et à la vertu, ne se résoudroit jamais à se jeter parmi tant d'horreurs, si la constance admirable avec laquelle cette princesse a soutenu ces calamités ne surpassoit de bien loin les crimes qui les ont causées. Mais en même temps, chrétiens, un autre soin me travaille; ce n'est pas un ouvrage humain que je médite; je ne suis pas ici un historien qui doit vous développer le secret des cabinets, ni l'ordre des batailles, ni les intérêts des parties; il faut que je m'éleve au-dessus de l'homme pour faire trembler toute créature sous les jugements de Dieu. « J'entrerai avec David dans « les puissances du Seigneur (1) », et j'ai à vous faire voir les merveilles de sa main et de ses conseils; conseils de juste vengeance sur l'Angleterre, conseils de miséricorde pour le salut de la reine; mais conseils marqués par le doigt de Dieu, dont l'empreinte est si vive et si manifeste dans les évènements que j'ai à traiter, qu'on ne peut résister à cette lumiere.

Quelque haut qu'on puisse remonter pour rechercher dans les histoires les exemples des grandes mutations, on trouve que jusqu'ici elles sont causées ou par la mollesse ou par la violence des princes. En effet quand les princes, négligeant de connoître leurs affaires et leurs armées, ne travaillent qu'à la chasse, comme disoit cet historien (1),

(1) Introibo in potentias Domini. PSAL. 70. (2) Q. Curt. lib. 8, 9.

u'ont de gloire que pour le luxe, ni d'esprit que pour inventer des plaisirs, ou quand, emportés par leur humeur violente, ils ne gardent plus ni lois ni mesures, et qu'ils ôtent les égards et la crainte aux hommes en faisant que les manx qu'ils souffrent leur paroissent plus insupportables que ceux qu'ils prévoient; alors ou la licence excessive, ou la patience poussée à l'extrémité, menacent terriblement les maisons régnantes. Charles I, roi d'Angleterre, étoit juste, modéré, magnanime, très instruit de ses affaires et des moyens de régner; jamais prince ne fut plus capable de rendre la royauté, non seulement vénérable et sainte, mais encore aimable et chere à ses peuples. Que lui peut-on reprocher sinon la clémence? Je veux bien avouer de lui ce qu'un auteur célebre a dit de César, qu'il a été clément jusqu'à être obligé de s'en repentir: Cæsari proprium et peculiare sit clementiæ insigne, quâ usque ad pœnitentiam omnes superavit (1). Que ce soit donc là, si l'on veut, l'illustre défaut de Charles aussi-bien que de César; mais qué ceux qui veulent croire que tout est foible dans les malheureux et dans les vaincus ne pensent pas pour cela nous persuader que la force ait manqué à son courage ni la vigueur à ses conseils. Poursuivi à toute outrance par l'implacable malignité de la fortune, trahi de tous les siens, il ne s'est pas manqué à lui-même: malgré les mauvais succès de ses armes infortunées, si on a pu le vaincre, on n'a pas

(1) Plin. lib. 9, cap. 28.

pu le forcer; et comme il n'a jamais refusé ce qui étoit raisonnable étant vainqueur, il a toujours rejeté ce qui étoit foible et injuste étant captif. J'ai peine à contempler son grand cœur dans ses dernieres épreuves; mais certes il a montré qu'il n'est pas permis aux rebelles de faire perdre la majesté à un roi qui sait se connoître; et ceux qui ont vu de quel front il a paru dans la salle de Westminster et dans la place de Whitehall peuvent juger aisément combien il étoit intrépide à la tête de ses armées, combien auguste et majestueux au milieu de son palais et de sa cour. Grande reine, je satisfais à vos plus tendres desirs quand je célebre ce monarque ; et ce cœur, qui n'a jamais vécu que pour lui, se réveille, tout poudre qu'il est, et devient sensible, même sous ce drap mortuaire, au nom d'un époux si cher, à qui ses ennemis mêmes accorderont le titre de sage et celui de juste, et que la postérité mettra au rang des grands princes, si son histoire trouve des lecteurs dont le jugement ne se laisse pas maîtriser aux évènements ni à la fortune.

Ceux qui sont instruits des affaires étant obligés d'avouer que le roi n'avoit point donné d'ouverture ni de prétexte aux excès sacrileges dont nous abhorrons la mémoire, en accusent la fierté indomtable de la nation; et je confesse que la haine des parricides pourroit jeter les esprits dans ce sentiment: mais quand on considere de plus près l'histoire de ce grand royaume, et particulièrement les derniers regnes, où l'on voit non seulement les rois majeurs, mais encore les pupilles, et les reines même si absolues et si redoutées; quand on regarde la facilité

incroyable avec laquelle la religion a été on renversée ou rétablie par Henri, par Édouard, par Marie, par Élisabeth, on ne trouve ni la nation si rebelle, ni ses parlements si fiers et si factieux; au contraire on est obligé de reprocher à ses peuples d'avoir été trop soumis, puisqu'ils ont mis sous le joug leur foi même et leur conscience. N'accusons donc pas aveuglément le naturel des habitants de l'isle la plus célebre du monde, qui, selon les plus fideles historiens, tirent leur origine des Gaules; et ne croyons pas que les Merciens, les Danois, et les Saxons, aient tellement corrompu en eux ce que nos peres leur avoient donné de bon sang, qu'ils soient capables de s'emporter à des procédés si barbares s'il ne s'y étoit mêlé d'autres causes. Qu'est-ce donc qui les a poussés? quelle force, quel transport, quelle intempérie a causé ces agitations et ces violences? N'en doutons pas, chrétiens, les fausses religions, le libertinage d'esprit, la fureur de disputer des choses divines sans fin, sans regle, sans soumission, a emporté les courages. Voilà les ennemis que la reine a eus à combattre, et que ni sa prudence, ni sa douceur, ni sa fermeté, n'ont pu vaincre.

J'ai déja dit quelque chose de la licence où se jettent les esprits quand on ébranle les fondements de la ligion et qu'on remue les bornes une fois posées: mais, comme la matiere que je traite me fournit un exemple manifeste et unique dans tous les siecles de ces extrémités furieuses, il est, messieurs, de la nécessité de mon sujet, de remonter jusqu'au principe, et de vous conduiré pas a pas

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