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tout des forts élevés, et des forêts abattues qui traversent des chemins affreux; et au-dedans c'est Merci avec ses braves Bavarois enflés de tant de succès et de la prise de Fribourg; Merci qu'on ne vit jamais reculer dans les combats; Merci que le prince de Condé et le vigilant Turenne n'ont jamais surpris dans un mouvement irrégulier, et à qui ils ont rendu ce grand témoignage, que jamais il n'avoit perdu un seul moment favorable, ni manqué de prévenir leurs desseins, comme s'il eût assisté à leurs conseils. Iei donc durant huit jours, et à quatre attaques différentes, on vit tout ce qu'on peut soutenir et entreprendre à la guerre. Nos troupes semblent rebutées autant par la résistance des ennemis que par l'effroyable disposition des lieux, et le prince se vit quelque temps comme abandonné. Mais, comme un autre Machabée, << son bras ne l'abandonna pas, et son « courage irrité par tant de perils vint à son se«< cours » (1). On ne l'eut pas plutôt vu pied à terre forcer le premier ces inaccessibles hauteurs, que son ardeur entraîna tout après elle. Merci voit sa perte assurée; ses meilleurs régiments sont défaits; la nuit sauve les restes de son armée. Mais que des pluies excessives s'y joignent encore, afin que nous ayons à la fois, avec tout le courage et tout l'art, toute la nature à combattre. Quelque avantage que prenne un ennemi habile autant que hardi,

(1) Salvavit mihi brachium meum, et indignatio mea ipsa auxiliata est mihi. Isa. c. 63, v. 5.

et dans quelque affreuse montagne qu'il se retranche de nouveau, poussé de tous côtés, il faut qu'il laisse en proie au duc d'Enguien, non seu-~ lement son canon et son bagage, mais encore tous les environs du Rhin. Voyez comme tout s'ébranle: Philisbourg est aux abois en dix jours, malgré l'hiver qui approche; Philisbourg, qui tint si long-temps le Rhin captif sous nos lois, et dont le plus grand des rois a si glorieusement réparé · la perte. Worms, Spire, Maïence, Landau, vingt autres places de nom ouvrent leurs portes; Merci ne les peut défendre, et ne paroît plus devant son vainqueur: ce n'est pas assez; il faut qu'il tombe à ses pieds, digne victime de sa valeur; Nordlingue en verra la chûte; il y sera décidé qu'on ne tient non plus devant les François en Allemagne qu'en Flandre, et on devra tous ces avantages au même prince. Dieu, protecteur de la France et d'un roi qu'il a destiné à ses grands ouvrages, l'ordonne ainsi.

Par ces ordres, tout paroissoit sûr sous la conduite du duc d'Enguien; et sans vouloir ici achever le jour à vous marquer seulement ses autres exploits, vous savez, parmi tant de fortes places attaquées, qu'il n'y en eut qu'une seule qui put échapper à ses mains, encore releva-t-elle la gloire du prince. L'Europe, qui admiroit la divine ardeur dont il étoit animé dans les combats, s'étonna qu'il en fût le maître, et, dès l'âge de vingt-six ans aussi capable de ménager ses troupes que de les pousser dans les hasards, et de céder à la fortune, que de la faire servir à ses desseins. Nous le vimes

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par-tout ailleurs comme un de ces hommes extraordinaires qui forcent tous les obstacles. La promptitude de son action ne donnoit pas le loisir de la traverser; c'est là le caractere des conquérants. Lorsque David, un si grand guerrier, déplora la mort de deux fameux capitaines qu'on venoit de perdre, il leur donna cet éloge : « Plus vîtes que les aigles, plus courageux que les lions » (1). C'est l'image du prince que nous regrettons: il paroît en un moment comme un éclair dans les pays les plus éloignés; on le voit en même temps à toutes les attaques, à tous les quartiers. Lorsqu'occupé d'un côté il envoie reconnoître l'autre, le diligent officier qui porte ses ordres, s'étonne d'être prévenu, et trouve déja tout ranimé par la présence du prince: il semble qu'il se multiplie dans une action: ni le fer ni le feu ne l'arrêtent. Il n'a pas besoin d'armer cette tête qu'il expose à tant de périls; Dieu lui est une armure plus assurée; les coups semblent perdre leur force en l'approchant, et laisser seulement sur lui des marques de son courage et de la protection du ciel. Ne lui dites pas que la vie d'un premier prince du sang, si nécessaire à l'état, doit être épargnée ; il répond qu'un prince du sang, plus intéressé par sa naissance à la gloire du roi et de la couronne, doit dans le besoin de l'état être dévoué plus que tous les autres pour en relever l'éclat. Après avoir fait sentir aux ennemis, durant

(1) Aquilis velociores, leonibus fortiores. 2 REG.

c. I, v. 25.

tant d'années, l'invincible puissance du roi, s'il fallut agirau-dedans pour la soutenir, je dirai tout en un mot, il fit respecter la régente; et puisqu'il faut une fois parler de ces choses dont je voudrois pouvoir me taire éternellement, jusqu'à cette fatale prison, il n'avoit pas seulement songé qu'on pût rien attenter contre l'état; et dans son plus grand crédit, s'il souhaitoit d'obtenir des graces, il souhaitoit encore plus de les mériter. C'est ce qui lui faisoit dire (je puis bien ici répéter devant ces autels les paroles que j'ai recueillies de sa bouche, puisqu'elles marquent si bien le fond de son cœur): il disoit donc, en parlant de cette prison malheureuse, qu'il y étoit entré le plus innocent de tous les hommes, et qu'il en étoit sorti le plus coupable. « Hélas! poursuivoit-il, je ne respirois que le service du roi, et la grandeur de l'état»! On ressentoit dans ses paroles un regret sincere d'avoir été poussé si loin par ses malheurs. Mais sans vouloir excuser ce qu'il a si hautement condamné lui-même, disons pour n'en parler jamais, que, comme dans la gloire éternelle les fautes des saints pénitents, couvertes de ce qu'ils ont fait pour les réparer et de l'éclat infini de la divine miséricorde, ne paroissent plus; ainsi dans des fautes si sincèrement reconnues, et dans la suite si glorieusement réparées par de fideles services, il ne faut plus regarder que l'humble reconnoissance du prince qui s'en repentit, et la clémence du grand roi qui les oublia.

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Que s'il est enfin entraîné dans ces guerres infortunées, il y aura du moins cette gloire de n'avoir pas laissé avilir la grandeur de sa maison chez les

étrangers. Malgré la majesté de l'empire, malgré la fierté de l'Autriche, et les couronnes héréditaires attachées à cette maison, même dans la branche qui domine en Allemagne, réfugié à Namur, soutenu de son seul courage et de sa seule réputation, il porta si loin les avantages d'un prince de France, et dé la premiere maison de l'univers, que tout ce qu'on put obtenir de lui fut qu'il consentit de traiter d'égal avec l'archiduc, quoique frere de l'empereur et fils de tant d'empereurs, à condition qu'en lieu tiers ce prince feroit les honneurs des Pays-Bas. Le même traitement fut assuré au duc d'Enguien, et la maison de France garda son rang sur celle d'Autriche jusque dans Bruxelles. Mais voyez ce que fait faire un vrai courage. Pendant que le prince se soutenoit si hautement avec l'archiduc qui dominoit, il rendoit au roi d'Angleterre et au duc d'York, maintenant un roi si fameux, malheureux alors, tous les honneurs qui leur étoient dus, et il apprit enfin à l'Espagne trop dédaigneuse ́quelle étoit cette majesté que la mauvaise fortune ne pouvoit ravir à de si grands princes. Le reste de sa conduite ne fut pas moins grand. Parmi les difficultés que ses intérêts apportoient au traité des Pyrénées, écoutez quels furent ses ordres, et voyez si jamais un particulier traita si noblement ses intérêts. Il mande à ses agents dans la conférence qu'il n'est pas juste que la paix de la chrétienté soit retardée davantage à sa considération; qu'on ait soin de ses amis; et pour lui, qu'on lui laisse suivre sa fortune. Ah! quelle grande victime se sacrifie au bien public! Mais quand les choses

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