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à-dire c'est moi qui fais tout et moi qui vois, dès l'éternité, tout ce que je fais. Quel autre a pu former un Alexandre, si ce n'est ce même Dieu qui en a fait voir de si loin et par des figures si vives l'ardeur indomtable à son prophete Daniel? « Le « voyez-vous, dit-il, ce conquérant; avec quelle rapidité il s'éleve de l'occident comme par bonds, « et ne touche pas à terre » (1)? Semblable, dans ses sauts hardis et dans sa légere démarche, à animaux vigoureux et bondissants, il ne s'avance que par vives et impétueuses saillies, et n'est arrêté ni par montagnes ni par précipices. Déja le roi de Perse est entre ses mains ; « à sa vue il s'est animé; « efferatus est in eum, dit le prophete; il l'abat, « il le foule aux pieds: nul ne le peut défendre des « coups qu'il lui porte, ni lui arracher sa proie » (2). A n'entendre que ces paroles de Daniel, qui croiriez-vous voir, messieurs, sous cette figure, Alexandre, ou le prince de Condé? Dieu donc lui avoit donné cette indomtable valeur pour le salut de la France durant la minorité d'un roi de quatre ans. Laissez-le croître ce roi chéri du ciel, tout cédera à ses exploits: supérieur aux siens comme aux ennemis, il saura, tantôt se servir, tantôt se passer de

(1) Veniebat ab occidente super faciem totius terræ, et non tangebat terram. DAN. c. 8, v. 5.

(2) Cucurrit ad eum in impetu fortitudinis suæ ; cùmque appropinquasset prope arietem, efferatus est in eum, et percussit arietem.... cùmque eum misisset in terram, conculcavit, et nemo quibat liberare arietem de manu ejus. IBID. v. 6, 7.

ses plus fameux capitaines; et seul, sous la main de Dieu, qui sera continuellement à son secours, on le verra l'assuré rempart de ses états. Mais Dieu avoit choisi le duc d'Enguien pour le défendre dans son enfance. Aussi vers les premiers jours de son regne, à l'âge de vingt-deux ans, le duc conçut un dessein où les vieillards expérimentés ne purent atteindre; mais la victoire le justifia devant Rocroy. L'armée ennemie est plus forte, il est vrai; elle est composée de ces vieilles bandes wallones, italiennes, et espagnoles, qu'on n'avoit pu rompre jusqu'alors; mais pour combien falloit-il compter le courage qu'inspiroient à nos troupes le besoin pressant de l'état, les avantages passés, et un jeune prince du sang qui portoit la victoire dans ses yeux? Don Francisco de Mellos l'attend de pied ferme ; et sans pouvoir reculer, les deux généraux et les deux armées sembloient avoir voulu se renfermer dans des bois et dans des marais, pour décider leur querelle, comme deux braves en champ clos. Alors que ne vit-on pas? Le jeune prince parut un autre homme: touchée d'un si digne objet, sa grande ame se déclara tout entiere; son courage croissoit avec les périls, et ses lumieres avec son ardeur. A la nuit qu'il fallut passer en présence des ennemis, comme un vigilant capitaine, il reposa le dernier, mais jamais il ne reposa plus paisiblement. A la veille d'un si grand jour et dès la premiere bataille il est tranquille, tant il se trouve dans son naturel; et on sait que le lendemain à l'heure marquée il fallut réveiller d'un profond sommeil cet autre Alexandre. Le voyez-vous comme il vole, ou à la victoire,

ou à la mort? Aussitôt qu'il eut porté de rang en rang l'ardeur dont il étoit animé, on le vit presque en même temps pousser l'aile droite des ennemis, soutenir la nôtre ébranlée, rallier le François à demi vaincu, mettre en fuite l'Espagnol victorieux, porter par-tout la terreur, et étonner de ses regards étincelants ceux qui échappoient à ses coups. Restoit cette redoutable infanterie de l'armée d'Espagne, dont les gros bataillons serrés, semblables à autant de tours, mais à des tours qui sauroient réparer leurs breches, demeuroient inébranlables au milieu de tout le reste en déroute, et lançoient des feux de toutes parts. Trois fois le jeune vainqueur s'efforça de rompre ces intrépides combattants, trois fois il fut repoussé par le valeureux comte de Fontaines, qu'on voyoit porté dans sa chaise, et, malgré ses infirmités, montrer qu'une ame guerriere est maitresse du corps qu'elle anime; mais enfin il faut céder. C'est en vain qu'à travers des bois, avec sa cavalerie toute fraîche, Bek précipite sa marche pour tomber sur nos soldats épuisés ; le prince l'a prévenu, les bataillons enfoncés demandent quartier: mais la victoire va devenir plus terrible pour le due d'Enguieu que le combat. Pendant qu'avec un air assuré il s'avance pour recevoir la parole de ces braves gens, ceux-ci, toujours en garde, craignent la surprise de quelque nouvelle attaque ; leur effroyable décharge met les nôtres en furie; on ne voit plus que carnage; le sang enivre le soldat, jusqu'à ce que le grand prince, qui ne put voir égorger ces lions comme de timides brebis, calma les courages émus, et joignit au plaisir de vaincre celui de pardonner.

Quel fut alors l'étonnement de ces vieilles troupes et de leurs braves officiers, lorsqu'ils virent qu'il n'y avoit plus de salut pour eux qu'entre les bras du vainqueur! de quels yeux regarderent-ils le jeune prince, dont la victoire avoit relevé la haute contenance, à qui la clémence ajoutoit de nouvelles graces! Qu'il eût encore volontiers sauvé la vie au brave comte de Fontaines! mais il se trouva par terre parmi ces milliers de morts dont l'Espagne sent encore la perte. Elle ne savoit pas que le prince qui lui fit perdre tant de ses vieux régiments à la journéé de Rocroy en devoit achever les restes dans les plaines de Lens. Ainsi la premiere victoire fut le gage de beaucoup d'autres. Le prince fléchit le genou, et dans le champ de bataille il rend au Dieu des armées la gloire qu'il lui envoyoit; là on célébra Rocroy délivré, les menaces d'un redoutable ennemi tournées à sa honte, la régence affermie, la Franċe en repos, et un regne, qui devoit être si beau, commencé par un si heureux présage. L'armée commença l'action de graces; toute la France suivit ; on y élevoit jusqu'au ciel le coup d'essai du duc d'Enguien: c'en seroit assez pour illustrer une autre vie que la sienne, mais pour lui c'est le premier pas de

sa course.

Dès cette premiere campagne, après la prise de Thionville, digne prix de la victoire de Rocroy, il passa pour un capitaine également redoutable dans les sieges et dans les batailles. Mais voici dans un jeune prince victorieux quelque chose qui n'est pas moins beau que la victoire. La cour qui lui préparoit à son arrivée les applandissements qu'il

méritoit fut surprise de la maniere dont il les reçut. La reine régente lui a témoigné que le roi étoit content de ses services: c'est dans la bouche du souverain la digne récompense de ses travaux. Si les autres osoient le louer, il repoussoit leurs louanges comme des offenses, et indocile à la flatterie, il en craignoit jusqu'à l'apparenee: telle étoit la délicatesse, ou plutôt telle étoit la solidité de ce prince. Aussi avoit-il pour maxime (écoutez; c'est la maxime qui fait les grands hommes): Que dans les grandes actions il faut uniquement songer bien faire, et laisser venir la gloire après la vertu : c'est ce qu'il inspiroit aux autres; c'est ce qu'il suivoit lui-même. Ainsi la fausse gloire ne le tentoit pas; tout tendoit au vrai et au grand. De là vient qu'il mettoit sa gloire dans le service du roi et dans le bonheur de l'état; c'étoit là le fond de son cœur; c'étoient ses premieres et ses plus cheres inclinations. La cour ne le retint guere, quoiqu'il en fût la merveille; il falloit montrer par-tout, et à l'Allemagne comme à la Flandre, le défenseur intrépide que Dieu nous donnoit. Arrêtez ici vos regards: il se prépare contre le prince quelque chose de plus formidable qu'à Rocroy; et, pour éprouver sa vertu, la guerre va épuiser toutes ses inventions et tous ses efforts. Quel objet se présente à mes yeux? ce ne sont pas seulement des hommes à combattre, ce sont des montagnes inaccessibles: ce sont des ravines et des précipices d'un côté; c'est de l'autre un bois impénétrable, dont le fond est un marais, et, derriere des ruisseaux, de prodigieux retranchements: ce sont par

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