Imágenes de página
PDF
ePub

et il leur apprenoit à le conserver dans les emplois les plus importants et de la plus haute confiance), il goûtoit un véritable repos dans la maison de ses peres, qu'il avoit accommodée peu-à-peu à sa fortune présente, sans lui faire perdre les traces de l'ancienne simplicité, jouissant en sujet fidele des prospérités de l'état et de la gloire de son maître. La charge de chancelier vaqua, et toute la France la destinoit à un ministre si zélé pour la justice. Mais, comme dit le sage, «autant que le ciel s'éleve et << que la terre s'incline au-dessous de lui, autant le <«< cœur des rois est impénétrable » (1). Enfin le moment du prince n'étoit pas encore arrivé, et le tranquille ministre, qui connoissoit les dangereuses jalousies des cours et les sages tempéraments des conseils des rois, sut encore lever les yeux vers la divine Providence, dont les décrets éternels reglent tous ces mouvements, Lorsqu'après de longues années il se vit élevé à cette grande charge, encore qu'elle reçût un nouvel éclat en sa personne, où elle étoit jointe à la confiance du prince, saus s'en laisser éblouir, le modeste ministre disoit seulement que le roi, pour couronner plutôt la longueur que l'utilité de ses services, vouloit donner un titre à son tombeau et un ornement à sa famille. Tout le reste de sa conduite répondit à de si beaux commencements. Notre siecle, qui n'avoit point vu de chancelier si autorisé, vit en celui-ci autant de mo

(1) Cœlum sursum, et terra deorsum: et cor regum inscrutabile. Prov. c. 25, v. 3.

dération et de douceur que de dignité et de force, pendant qu'il ne cessoit de se regarder comme de vant bientôt rendre compte à Dieu d'une si grande administration. Ses fréquentes maladies le mirent souvent aux prises avec la mort: exercé par tant de combats, il en sortoit toujours plus fort et plus résigné à la volonté divine. La pensée de la mort ne rendit pas sa vieillesse moins tranquille ni moins agréable; dans la même vivacité on lui vit faire seulement de plus graves réflexions sur la caducité de son âge et sur le désordre extrême que causeroit dans l'état une si grande autorité dans des mains trop foibles. Ce qu'il avoit vu arriver à tant de sages vieillards qui sembloient n'être plus rien que leur ombre propre le rendoit continuellement attentif à lui-même; souvent il se disoit en son cœur que le plus malheureux effet de cette foiblesse de l'âge étoit de se cacher à ses propres yeux, de sorte que tout-à-coup on se trouve plongé dans l'abyme, sans avoir pu remarquer le fatal moment d'un insensible déclin; et il conjuroit ses enfants, par toute la tendresse qu'il avoit pour eux, et par toute leur reconnoissance, qui faisoit toute sa consolation dans le court reste de sa vie, de l'avertir de bonne heure quand ils verroient sa mémoire vaciller ou son jugement s'affoiblir, afin que par un reste de force il pût garantir le public et sa propre conscience des maux dont les menaçoit l'infirmité de son âge: et lors même qu'il sentoit son esprit entier, il prononçoit la même sentence si le corps abattu n'y répondoit pas ; car c'étoit la résolution qu'il avoit prise dans sa derniere maladie: et, plutôt que de voir

languir les affaires avec lui, si ses forces ne lui revenoient, il se condamnoit, en rendant les sceaux, à rentrer dans la vie privée, dont aussi jamais il n'avoit perdu le goût, au hasard de s'ensevelir tout vivant, et de vivre peut-être assez pour se voir long-temps traversé par la dignité qu'il auroit quittée: tant il étoit au-dessus de sa propre élévation et de toutes les grandeurs humaines !

Mais ce qui rend sa modération plus digne de nos louanges, c'est la force de son génie né pour l'action, et la vigueur qui durant cinq aus lui fit dévouer sa tête aux fureurs civiles. Si aujourd'hui je me vois contraint de retracer l'image de nos malheurs, je n'en ferai point d'excuse à mon auditoire, où de quelque côté que je ne tourne tout ce qui frappe mes yeux me montre une fidélité irréprochable, ou peut-être une courte erreur réparée par de longs services. Dans ces fatales conjonctures, il falloit à un ministre étranger un homme d'un ferme génie et d'une égale sûreté, qui, nourri dans les compagnies, connût les ordres du royaume et l'esprit de la nation. Pendant que la magnanime et intrépide régente étoit obligée à montrer le roi enfant aux provinces pour dissiper les troubles qu'on y excitoit de toutes parts, Paris et le cœur du royaume demandoient un homme capable de profiter des moments, sans attendre de nouveaux ordres, et sans troubler le concert de l'état. Mais le ministre lui-même, souvent éloigné de la cour, au milieu de tant de conseils que l'obscurité des affaires, l'incertitude des évènements, et les différents intérêts faisoient hasarder, n'avoit-il pas besoin d'un homme

que la régente pût croire? enfin il falloit un homme qui, pour ne pas irriter la haine publique déclarée contre le ministere, sût se conserver de la créance dans tous les partis, et ménager les restes de l'autorité. Cet homme si nécessaire au jeune roi, à la ́régente, à l'état, au ministre, aux cabales mêmes, pour ne les précipiter pas aux dernieres extrémités par le désespoir, vous me prévenez, messieurs, c'est celni dont nous parlons. C'est donc ici qu'il parut comme un génie principal. Alors nous le vîmes s'oublier lui-même, et, comme un sage pilote, sans s'étonner ni des vagues, ni des orages, ni de son propre péril, aller droit, comme au terme unique d'une si périlleuse navigation, à la conservation du corps de l'état, et au rétablissement de l'autorité royale. Pendant que la cour réduisoit Bordeaux, et que Gaston, laissé à Paris pour le maintenir dans le devoir, étoit environné de mauvais conseils, le Tellier fut le Chusaï qui les confondit, et qui assura la victoire à l'oint du Seigneur (1). Fallut-il éventer les conseils d'Espagne et découvrir le se cret d'une paix trompeuse que l'on proposoit, afin d'exciter la sédition pour peu qu'on l'eût différée? Le Tellier en fit d'abord accepter les offres; notre plénipotentiaire partit, et l'archiduc, forcé d'avouer qu'il n'avoit pas de pouvoir, fit connoître lui-même au peuple ému, si toutefois un peuple ému connoît quelque chose, qu'on ne faisoit qu'abuser de sa crédulité. Mais, s'il y eut jamais

(1) 2 Reg. 17..

[ocr errors]

une conjoncture où il fallut montrer de la prévoyance et un courage intrépide, ce fut lorsqu'il s'agit d'assurer la garde des trois illustres captifs. Quelle cause les fit arrêter? si ce fut ou des soupcons, ou des vérités, ou de vaines terreurs, ou de vrais périls, et, dans un pas si glissant, des précautions nécessaires; qui le pourra dire à la postérité? Quoi qu'il en soit, l'oncle du roi est persuadé; on croit pouvoir s'assurer des autres princes, et on en fait des coupables en les traitant comme tels: mais où garder des lions toujours prêts à rompre leurs chaines, pendant que chacun s'efforce de les avoir en sa main, pour les retenir ou les lâcher an gré de son ambition ou de ses vengeances? Gaston, que la cour avoit attiré dans ses sentiments, étoit-il inaccessible aux factieux? ne vois-je pas au contraire autour de lui des ames hautaines qui, pour faire servir les princes à leurs intérêts cachés, ne cessoient de lui inspirer qu'il devoit s'en rendre le maître? De quelle importance, de quel éclat, de quelle réputation au-dedans et au-dehors, d'être le maître du sort du prince de Condé ! Ne craignons point de le nommer, puisqu'enfin tout est surmonté par la gloire de son grand nom et de ses actions immortelles. L'avoir entre ses mains, c'étoit y avoir la victoire même qui le suit éternellement dans les combats: mais il étoit juste que ce précieux dépôt de l'état demeurât entre les mains du roi, et il lui appartenoit de garder une si noble partie de son sang. Pendant donc que notre ministre travailloit à ce glorieux ouvrage où il y alloit de la royauté et du salut de l'état, il fut seul en butte aux factieux.

« AnteriorContinuar »