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voyoit environné sur la terre: c'est pourquoi sa modération l'a toujours mis au-dessus de sa fortune. Incapable d'être ébloui des grandeurs humaines, comme il y paroît sans ostentation, il y est

vu sans envie : et nous remarquons dans sa conduite ces trois caracteres de la véritable sagesse, qu'élevé sans empressement aux premiers honneurs, il a vécn aussi modeste que grand; que dans ses importants emplois, soit qu'il nous paroisse, comme chancelier, chargé de la principale administration de la justice, ou que nous le considérions dans les autres occupations d'un long ministere, supérieur à ses intérêts, il n'a regardé que le bien public; et qu'enfin dans une heureuse vieillesse, prêt à rendre avec sa grande ame le sacré dépôt de l'autorité, si bien confié à ses soins, il a vu disparoître toute sa grandeur avec sa vie sans qu'il lui en ait coûté un seul soupir: tant il avoit mis en lieu haut et inaccessible à la mort son cœur et ses espérances! De sorte qu'il nous paroît, selon la promesse du sage, dans une gloire immortelle », pour s'être soumis aux lois de la véritable sagesse, et pour avoir fait céder à la modestie l'éclat ambitieux des grandeurs humaines, l'intérêt particulier à l'amour du bien public, et la vie même au desir des biens éternels. C'est la gloire qu'a remportée très haut et puissant seigneur messire Michel le Tellier, chevalier, chancelier de France.

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Le grand cardinal de Richelieu achevoit son glorieux ministere et finissoit tout ensemble une vie pleine de merveilles. Sous sa ferme et prévoyante conduite la puissance d'Autriche cessoit d'être re

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doutée, et la France, sortie enfin des guerres civiles, commençoit à donner le branle aux affaires de l'Europe. On avoit une attention particuliere à celles d'Italie, et, sans parler des autres raisons, Louis XIII, de glorieuse et triomphante mémoire, devoit sa protection à la duchesse de Savoie sa sœur, et à ses enfants. Jules Mazarin, dont le nom devoit être si grand dans notre histoire, employé par la cour de Rome en diverses négociations, s'étoit donné à la France; et propre par son génie et par ses correspondances à ménager les esprits de sa nation, il avoit fait prendre un cours si heureux aux conseils du cardinal de Richelieu, que ce ministre se crut obligé de l'élever à la pourpre. Par-là il sembla montrer son successeur à la France; et le cardinal Mazarin s'avançoit secrètement à la premiere place. En ce temps Michel le Tellier, encore maître des requêtes, étoit intendant de justice en Piémont. Mazarin, que ses négociations attiroient souvent à Turin, fut ravi d'y trouver un homme d'une si grande capacité et d'une conduite si sûre dans les affaires; car les ordres de la cour obligeoient l'ambassadeur à concerter toutes choses avec l'intendant, à qui la divine Providence faisoit faire ce léger apprentissage des affaires d'état. Il ne falloit qu'en ouvrir l'entrée à un génie si percant pour l'introduire bien avant dans les secrets de la politique mais son esprit modéré ne se perdoit pas dans ces vastes pensées, et renfermé, à l'exemple de ses peres, dans les modestes emplois de la robe, il ne jetoit pas seulement les yeux sur les engagements éclatants, mais périlleux, de la cour. Ce n'est

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pas qu'il ne parût toujours supérieur à ses emplois; dès sa premiere jeunesse tout cédoit aux lumieres de son esprit, aussi pénétrant et aussi net qu'il étoit grave et sérieux. Poussé par ses amis, il avoit passé du grand-conseil, sage compagnie où sa réputation vit encore, à l'importante charge de procureur du roi. Cette grande ville se souvient de l'avoir vu, quoique jeune, avec toutes les qualités d'un grand magistrat, opposé non seulement aux brigues et aux partialités qui corrompent l'intégrité de la justice, et aux préventions qui en obscurcissent les lumieres, mais encore aux voies irrégulieres et extraordinaires où elle perd avec sa constance la véritable autorité de ses jugements. On y vit enfin tout l'esprit et les maximes d'un juge qui, attaché à la regle, ne porte pas dans le tribunal ses propres pensées, ni des adoucissements ou des rigueurs arbitraires, et qui veut que les lois gouvernent, et non pas les hommes: telle est l'idée qu'il avoit de la magistrature. Il apporta ce même esprit dans le conseil, où l'autorité du prince, qu'on y exerce avec un pouvoir plus absolu, semble ouvrir un champ plus libre à la justice; et, toujours semblable à lui-même, il y suivit dès-lors la même regle qu'il y a établie depuis quand il en a été le chef.

Et certainement, messieurs, je puis dire avec confiance que l'amour de la justice étoit comme né avec ce grave magistrat, et qu'il croissoit avec lui dès son enfance. C'est aussi de cette heureuse naissance que sa niodestie se fit un rempart contre les louanges qu'on donnoit à son intégrité et l'amour qu'il avoit pour la justice ne lui parut

pas mériter le nom de vertu, parcequ'il le portoit, disoit-il, en quelque maniere dans le sang: mais Dieu qui l'avoit prédestiné à être un exemple de justice dans un si beau regne, et dans la premiere charge d'un si grand royaume, lui avoit fait regarder le devoir de juge, où il étoit appelé, comme le moyen particulier qu'il lui donnoit pour accomplir l'œuvre de son salut: c'étoit la sainte pensée qu'il avoit toujours dans le cœur, c'étoit la belle parole qu'il avoit toujours à la bouche; et parlà il faisoit assez connoître combien il avoit pris le goût véritable de la piété chrétienne. S. Paul en a mis l'exercice, non pas dans ces pratiques particulieres que chacun se fait à son gré, plus attaché à ces lois qu'à celles de Dieu, mais à se sanctifier dans son état, et «< chacun dans les emplois de sa voca« tion»: Unusquisque in qua vocatione vocatus est (1). Mais si, selon la doctrine de ce grand apôtre, on trouve la sainteté dans les emplois les plus bas, et qu'un esclave s'éleve à la perfection dans le service d'un maître mortel, pourvu qu'il y sache regarder l'ordre de Dieu, à quelle perfection l'ame chrétienne ne peut-elle pas aspirer dans l'auguste et saint ministere de la justice, puisque, selon l'écriture, « l'on y exerce le jugement non des hom« mes, mais du Seigneur même » (2)? Ouvrez les yeux, chrétiens, contemplez ces augustes tribu

(1) I COR. c. 7, v. 20.

(2) Non enim hominis exercetis judicium, sed Do mini. 2 PARAL. c. 19, v. 6.

naux où la justice rend ses oracles; vous y verrez avec David, «< les dieux de la terre, qui meurent à « la vérité comme des hommes» (1), mais qui cependant doivent juger comme des dieux, sans crainte, sans passion, sans intérêt, le Dieu des dieux à leur tête, comme le chante ce grand roi d'un ton si sublime dans ce divin psaume: «< Dieu assiste, dit-il, à l'assemblée des dieux, et au mi« lieu il juge les dieux » (2). O juges, quelle majesté de vos séances! quel président de vos assemblées! mais aussi quel censeur de vos jugements! Sous ces yeux redoutables notre sage magistrat écoutoit également le riche et le pauvre; d'autant plus pur et d'autant plus ferme dans l'administration de la justice, que, sans porter ses regards sur les hautes places dont tout le monde le jugeoit digne, il mettoit son élévation comme son étude à se rendre parfait dans son état. Non, non, ne le croyez pas, que la justice habite jamais dans les ames où l'ambition domine: toute ame inquiete et ambitieuse est incapable de regle; l'ambition a fait trouver ces dangereux expédients où, semblable à un sépulcre blanchi, un juge artificieux ne garde que les apparences de la justice. Ne parlons pas des corruptions qu'on a honte d'avoir à se reprocher; parlons de la lâcheté ou de la licence d'une justice arbitraire, qui, sans

(1) Ego dixi: Dii estis.... vos autem sicut homines moriemini. PSAL. SI, V.6,7.

(2) Deus stetit in synagogâ deorum: in medio autem deos dijudicat. IBID. I.

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