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tout et au-dessus de lui-même, quand il s'éleve, ce lui semble, au- dessus de la religion qu'il a si long-temps révérée: il se met au rang des gens désabusés; il insulte en son cœur aux foibles esprits qui ne font que suivre les autres sans rien trouver par eux-mêmes; et, devenu le seul objet de ses complaisances, il se fait lui-même son dieu. C'est dans cet abyme profond que la princesse palatine alloit se perdre. Il est vrai qu'elle desiroit avec ardeur de connoître la vérité; mais où est la vérité sans la foi, qui lui paroissoit impossible à moins que Dieu l'établît en elle par un miracle? Que lui servoit d'avoir conservé la connoissance de la Divinité? les esprits même les plus déréglés n'en rejettent pas l'idée, pour n'avoir point à se reprocher un aveuglement trop visible. Un Dieu qu'on fait à sa mode, aussi patient, aussi insensible que nos passions le demandent, n'incommode pas: la liberté qu'on se donne de penser tout ce qu'on veut fait qu'on croit respirer un air nouveau; on s'imagine jouir de soi-même et de ses desirs; et, dans le droit qu'on pense acquérir de ne se rien refuser, on croit tenir tous les biens, et on les goûte par

avance.

En cet état, chrétiens, où la foi même est perdue, e'est-à-dire où le fondement est renversé, que restoit-il à notre princesse? que restoit-il à une ame qui, par un juste jugement de Dieu, étoit déchue de toutes les graces, et ne tenoit à Jésus-Christ par aucun lien? qu'y restoit-il, chrétiens, si ce n'est ce que dit S. Augustin? il restoit la souveraine misere et la souveraine miséricorde: Restaba

magna miseria et magna misericordia (1). Il restoit ce secret regard d'une Providence miséricordieuse qui la vouloit rappeler des extrémités de la terre; et voici quelle fut la premiere touche. Prêtez l'oreille, messieurs, elle a quelque chose de miraculeux. Ce fut un songe admirable, de ceux que Dieu même fait venir du ciel par le ministere des anges, dont les images sont si nettes et si démêlées, où l'on voit je ne sais quoi de céleste. Elle crut (c'est elle-même qui le raconte au saint abbé: écoutez, et prenez garde sur-tout de n'écouter pas avec mépris l'ordre des avertissements divins, et la conduite de la grace); elle crut, dis-je, « que, mar<chant seule dans une forêt, elle y avoit rencontré ⚫ un aveugle dans une petite loge. Elle s'approche « pour lui demander s'il étoit aveugle de naissance, « ou s'il l'étoit devenu par quelque accident: il répondit qu'il étoit aveugle-né. Vous ne savez done « pas, reprit-elle, ce que c'est que la lumiere, qui est « si belle et si agréable, et le soleil, qui a tant d'éclat a et de beauté. Je n'ai, dit-il, jamais joui de ce bel objet, et je ne m'en puis former aucune idée: je <«< ne laisse pas de croire, continua-t-il, qu'il est « d'une beauté ravissante. L'aveugle parut alors changer de voix et de visage; et, prenant un ton « d'autorité: Mon exemple, dit-il, vous doit apprendre qu'il y a des choses très excellentes et « très admirables qui échappent à notre vue, et qui

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(1) Le texte de S. Augustin porte: Remansit magna, etc. ENARRAT. in psal. 50, n. 8.

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<< n'en sont ni moins vraies ni moins desirables, quoiqu'on ne les puisse ni comprendre ni imaginer ». C'est en effet qu'il manque un sens aux incrédules comme à l'aveugle; et ce sens, c'est Dieu qui le donne, selon ce que dit S. Jean: Il nous a donné un sens pour connoître le vrai Dieu, et pour être en son vrai fils » (1): Deuit nobis sensum, ut cognoscamus verum Deum, et simus in vero filio ejus. Notre princesse le comprit en même temps, au milieu d'un songe si mystérieux, «< elle fit l'application de la belle com« paraison de l'aveugle aux vérités de la religion et de l'autre vie » : ce sont ses mots que je vous rapporte. Dieu, qui n'a besoin ni de temps ni d'un long circuit de raisounement pour se faire entendre, tout-à-coup lui ouvrit les yeux. Alors, par une soudaine illumination, « elle se sentit si éclairée (c'est « elle-même qui continue à vous parler) et tellement transportée de la joie d'avoir trouvé ce qu'elle cherchoit depuis si long-temps, qu'elle ne put « s'empêcher d'embrasser l'aveugle, dont le dis« cours lui découvroit une plus belle lumiere que « celle dont il étoit privé. Et, dit-elle, il se répan« dit dans mon cœur une joie si douce et une foi si sensible, qu'il n'y a point de paroles capables de l'exprimer ». Vous attendez, chrétiens, quel sera le réveil d'un sommeil si doux et si merveilleux: écoutez, et reconnoissez que ce songe est vraiment divin. « Elle s'éveilla là-dessus, dit-elle, et se

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(1) I JOAN. v. 20.

<< trouva dans le même état où elle s'étoit vue dans « cet admirable songe, c'est-à-dire tellement changée qu'elle avoit peine à le croire ». Le miracle qu'elle attendoit est arrivé; elle croit, elle qui jugeoit la foi impossible: Dieu la change par une lumiere soudaine, et par un songe qui tient de l'extase. Tout suit en elle la même force. «Je me levai, « poursuit-elle, avec précipitation: mes actions « étoient mêlées d'une joie et d'une activité extra<< ordinaires ». Vous le voyez, cette nouvelle vivacité qui animoit ses actions se ressent encore dans ses paroles. «< Tout ce que je lisois sur la religion « me touchoit jusqu'à répandre des larmes; je me « trouvois à la messe dans un état bien différent de « celui où j'avois accoutumé d'être »; car c'étoit de tous les mysteres celui qui lui paroissoit le plus incroyable: « mais alors, dit-elle, il me sembloit « sentir la présence réelle de Notre-Seigneur, à-peu« près comme l'on sent les choses visibles et dont « l'on ne peut douter ». Ainsi elle passa tout-à-coup d'une profonde obscurité à une lumiere manifeste; les nuages de son esprit sont dissipés: miracle aussi étonnant que celui où Jésus-Christ fit tomber en un instant des yeux de Saül converti cette espece d'écaille dont ils étoient couverts (1). Qui donc ne s'écrieroit à un si soudain changement, Le doigt de Dieu est ici (2)! La suite ne permet pas d'en douter, et l'opération de la grace se reconnoît dans

(1) ACT. c. 9, v. 18.

(2) Digitus Dei est hîc, Exod. c. 8, v. 19.

ses fruits. Depuis ce bienheureux moment, la foi de notre princesse fut inébranlable; et même cette joie sensible qu'elle avoit à croire lui fut continuée quelque temps. Mais au milieu de ces célestes douceurs la justice divine eut son tour: l'humble princesse ne crut pas qu'il lui fût permis d'approcher d'abord des saints sacrements; trois mois entiers furent employés à repasser avec larmes ses ans écoulés parmi tant d'illusions, et à préparer sa confession. Dans l'approche du jour desire où elle espéroit de la faire, elle tomba dans une syncope qui ne lui laissa ni couleur, ni pouls, ni respiration. Revenue d'une si longue et si étrange défaillance, elle se vit replongée dans un plus grand mal; et après les affres de la mort, elle ressentit toutes les horreurs de l'enfer digne effet des sacrements de l'église, qui, donnés ou différés, font sentir à l'ame la miséricorde de Dieu, ou tout le poids de ses ven. geances. Son confesseur qu'elle appelle la trouve sans force, incapable d'application, et prononçant à peine quelques mots entrecoupés: il fut contraint de remettre la confession au lendemain. Mais il faut qu'elle vous raconte elle-même quelle nuit elle passa dans cette attente: qui sait si la Providence n'aura pas amené ici quelque ame égarée qui doive être touchée de ce récit? « Il est, dit-elle, impossible de s'ima

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giner les étranges peines de mon esprit, sans les « avoir éprouvées: j'appréhendois à chaque mo«ment le retour de ma syncope, c'est-à-dire ma « mort et ma damnation. J'avouois bien que je n'é« tois pas digne d'une miséricorde que j'avois si long-temps négligée, et je disois à Dieu dans mon

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