Imágenes de página
PDF
ePub

soit connu. Toujours fidele à l'état et à la grande reine Anne d'Autriche, on sait qu'avec le secret de cette princesse elle eut eucore celui de tous les partis; tant elle étoit pénétrante! tant elle s'attiroit de confiance! tant il lui étoit naturel de gagner les cœurs! Elle déclaroit aux chefs des partis jusqu'où elle pouvoit s'engager, et on la croyoit incapable ni de tromper ni d'être trompée: mais son caractere particulier étoit de concilier les intérêts opposés, et en s'élevant au-dessus, de trouver le secret endroit et comme le nœud par où on les peut réunir. Que lui servirent ses rares talents? que lui servit d'avoir mérité la confiance intime de la cour; d'en soutenir le ministre deux fois éloigné, contre sa mauvaise fortune, contre ses propres frayeurs, contre la malignité de ses ennemis, et enfin contre ses amis, ou partagés, ou irrésolus, ou infideles? Que ne lui promit-on pas dans ces besoins! mais quel fruit lui en revint-il, sinon de connoître par expérience le foible des grands politiques, leurs volontés changeantes, ou leurs paroles trompeuses, la diverse face des temps, les amusements des promesses, l'illusion des amitiés de la terre qui s'en vont avec les années et les intérêts, et la profonde obscurité du cœur de l'homme, qui'ne sait jamais ce qu'il voudra, qui souvent ne sait pas bien ce qu'il veut, et qui n'est pas moins caché ni moins trompeur à lui-même qu'aux autres? O éternel roi des siecles, qui possédez seul l'immortalité, voilà ce qu'on vous préfere, voilà ce qui éblouit les ames qu'on appelle grandes! Dans ces déplorables erreurs la princesse palatine avoit les vertus que le

monde admire, et qui font qu'une ame séduite s'admire elle-même; inébranlable dans ses amitiés et incapable de manquer aux devoirs humains. La reine sa sœur en fit l'épreuve dans un temps où leurs cœurs étoient désunis. Un nouveau conquérant s'éleve en Suede; on y voit un autre Gustave, non moins fier ni moins hardi ou moins belliqueux que celui dont le nom fait encore trembler l'Allemagne. Charles Gustave parut à la Pologne surprise et trahie comme un lion qui tient sa proie dans ses ongles, tout prêt à la mettre en pieces. Qu'est devenue cette redoutable cavalerie qu'on voit fondre sur l'ennemi avec la vitesse d'un aigle? où sont ces ames guerrieres, ces marteaux d'armes tant vantés, et ces arcs qu'on ne vit jamais tendus en vain? ni les chevaux ne sont vîtes, ni les hommes ne sont adroits que pour fuir devant le vainqueur. En même temps la Pologne se voit ravagée par le rebelle Cosaque, par le Moscovite infidele, et plus encore par le Tartare, qu'elle appelle à son secours dans son désespoir. Tout dans le sang, nage et on ne tombe que sur des corps morts; la reine n'a plus de retraite, elle a quitté le royaume; après de courageux, mais de vains efforts, le roi est contraint de la suivre : réfugiés dans la Silésie, où ils manquent des choses les plus nécessaires, il ne leur reste qu'à considérer de quel côté alloit tomber ce grand arbre (1) ébranlé par tant de mains, et

(1) Clamavit fortiter, et sic ait: Succidite arborem, et præcidite ramos ejus: excutite folia ejus, et dispergite

frappé de tant de coups à sa racine, ou qui en enleveroit les rameaux épars. Dieu en avoit disposé autrement; la Pologne étoit nécessaire à son église, et lui devoit un vengeur. Il la regarde en pitié (1); sa main puissante ramene en arriere le Suédois indomté, tout frémissant qu'il étoit. Il se venge sur le Danois, dont la soudaine invasion l'avoit rappelé, et déja il l'a réduit à l'extrémité. Mais l'Empire et la Hollande se remuent contre un conquérant qui menaçoit tout le nord de la servitude. Pendant qu'il rassemble de nouvelles forces et médite de nouveaux carnages, Dieu tonne du plus haut des cieux; le redouté capitaine tombe au plus beau temps de sa vie, et la Pologne est délivrée. Mais le premier rayon d'espérance vint de la princesse palatine; honteuse de n'envoyer que cent mille livres au roi et à la reine de Pologne, elle les envoie du moins avec une incroyable promptitude. Qu'admira-t-on davantage, ou de ce que ce secours vint si à propos, ou de ce qu'il vint d'une main dont on ne l'attendoit pas, ou de ce que, sans chercher d'excuse dans le mauvais état où se trouvoient ses affaires, la princesse palatine s'ôta tout pour soulager une sœur qui ne l'aimoit pas? Les deux

fructus ejus. DAN. c. 4, v. 11, 20. Succident eum alieni, et crudelissimi nationum, et projicient eum super montes, et in cunctis convallibus corruent rami ejus, et confringentur arbusta ejus in universis rupibus terræ. EZECH. c. 31, v. 12.

(1) 2 REG. C. 19, v. 28.

princesses ne furent plus qu'un même cœur: la reine parut vraiment reine par une bonté et par une magnificence dont le bruit a retenti par toute la terre; et la princesse palatine joignit au respect qu'elle avoit pour une aînée de ce rang et de ce mérite une éternelle reconnoissance.

Quel est, messieurs, cet aveuglement dans une ame chrétienne, et qui le pourroit comprendre, d'être incapable de manquer aux hommes, et de ne craindre pas de manquer à Dieu ? comme si le culte de Dieu ne tenoit ancun rang parmi les devoirs! Contez-nous donc maintenant, vous qui les savez, toutes les grandes qualités de la princesse palatine; faites-nous voir, si vous le pouvez, toutes les graces de cette douce éloquence qui s'insinuoit dans les cœurs par des tours si nouveaux et si naturels ; dites qu'elle étoit généreuse, libérale, reconnoissante, fidele dans ses promesses, juste: vous ne faites que raconter ce qui l'attachoit à elle-même ; je ne vois dans tout ce récit que le prodigue de l'évangile (1), qui veut avoir son partage, qui veut jouir de soi-même et des biens que son pere lui a donnés, qui s'en va le plus loin qu'il peut de la maison paternelle, « dans un pays écarté», où il dissipe tant de rares trésors, et en un mot où il donne au monde tout ce que Dieu vouloit avoir. Pendant qu'elle contentoit le monde et se contentoit elle-même, la princesse palatine n'étoit pas heureuse, et le vide des choses humaines se faisoit

(1) Luc. c.
c. 15, v. 12, 13.

sentir à son cœur. Elle n'étoit heureuse, ni pour avoir avec l'estime du monde, qu'elle avoit tant desirée, celle du roi même; ni pour avoir l'amitié et la confiance de Philippe, et des deux princesses qui ont fait successivement avec lui la seconde lumiere de la cour; de Philippe, dis-je, ce grand prince, que ni sa naissance, ni sa valeur, ni la victoire elle-même, quoiqu'elle se donne à lui avec tous ses avantages, ne peuvent enfler; et de ces deux grandes princesses, dont on ne peut nommer l'une sans douleur, ni connoître l'autre sans l'admirer. Mais peut-être que le solide établissement de la famille de notre princesse achevera son bonheur. Non, elle n'étoit heureuse, ni pour avoir placé auprès d'elle la princesse Anne, sa chere fille et les délices de son cœur, ni pour l'avoir placée dans une maison où tout est grand. Que sert de s'expliquer davantage? on dit tout quand on prononce seulement le nom de Louis de Bourbon, prince de Condé, et de Henri-Jules de Bourbon, duc d'Enguien. Avec un peu plus de vie elle auroit vu les grands dons, et le premier des mortels, touché de ce que le monde admire le plus après lui, se plaire à le reconnoître par de dignes distinctions. C'est ce qu'elle devoit attendre du mariage de la princesse Anne. Celui de la princesse Bénédicte ne fut guere moins heureux, puisqu'elle épousa Jean Fridéric, duc de Brunswick et d'Hanovre, souverain puissant, qui avoit joint le savoir avec la valeur, la religion catholique avec les vertus de sa maison, et, pour comble de joie à notre princesse, le service de l'empire avec les intérêts de la France. Tout étoit grand

« AnteriorContinuar »