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patrie n'est plus qu'un triste lieu d'exil; neuf voyages sur mer, entrepris par une princesse, malgré les tempêtes; l'océan étonné de se voir traversé tant de fois en des appareils si divers, et pour des causes si différentes; un trône indignement renversé, et miraculeusement rétabli. Voilà les enseignements que Dieu donne aux rois : ainsi fait-il voir au monde le néant de ses pompes et de ses grandeurs. Si les paroles nous manquent, si les expressions ne répondent pas à un sujet si vaste et si relevé, les choses parleront assez d'elles-mêmes; le cœur d'une grande reine, autrefois élevé par une si longue suite de prospérités, et puis plongé toutà-coup dans un abyme d'amertumes, parlera assez haut;, et s'il n'est pas permis aux particuliers de faire des leçons aux princes sur des évènements si étranges, un roi me prête ses paroles pour leur dire : Et nunc, reges, intelligite; erudimini qui judicatis terram: Entendez, ô grands de la terre; instruisez-vous, arbitres du monde.

Mais la sage et. religieuse princesse qui fait le sujet de ce discours n'a pas été seulement un spectacle proposé aux hommes pour y étudier les conseils de la divine Providence et les fatales révolutions des monarchies; elle s'est instruite elle-même, pendant que Dieu instruisoit les princes par son exemple. J'ai déja dit que ce grand Dieu les enseigne, et en leur donnant et en leur ôtant leur puissance. La reine dont nous parlons a également entendu deux leçons si opposées ; c'est-à-dire qu'elle a usé chrétiennement de la bonne et de la mauvaise fortune. Dans l'une elle a été bienfaisante, dans

l'autre elle s'est montrée toujours invincible. Tant qu'elle a été heureuse, elle a fait seutir son pouvoir au monde par des bontés infinies; quand la fortune l'eut abandonnée, elle s'enrichit plus que jamais elle-même de vertus: tellement qu'elle a perdu pour son propre bien cette puissance royale qu'elle avoit pour le bien des autres ; et si ses sujets, si ses alliés, si l'église universelle a profité de ses grandeurs, elle-même a su profiter de ses malheurs et de ses disgraces plus qu'elle n'avoit fait de toute sa gloire. C'est ce que nous remarquerons dans la vie éternellement mémorable de très haute, très excellente, et très puissante princesse HenrietteMarie de France, reine de la Grande-Bretagne.

Quoique personne n'ignore les grandes qualités d'une reine dont l'histoire a rempli tout l'univers, je me sens obligé d'abord à les rappeler en votre mémoire, afin que cette idée nous serve pour toute la suite du discours. Il seroit superflu de parler au long de la glorieuse naissance de cette princesse; on ne voit rien sous le soleil qui en égale la grandeur. Le pape saint Grégoire a donné dès les premiers siecles cet éloge singulier à la couronne de France, qu'elle est autant au-dessus des autres courounes du monde, que la dignité royale surpasse les fortunes particulieres (1). Que s'il a parlé en ces termes du temps du roi Childebert, et s'il a élevé si haut la race de Mérovée, jugez ce qu'il auroit dit du sang de S. Louis et de Charlemagne.

(1) Lib. 6, ep. 6.

Issue de cette race, fille de Henri-le-Grand et de tant de rois, son grand cœur a surpassé sa naissance. Toute autre place qu'un trône eût été indigne d'elle. A la vérité elle eut de quoi satisfaire à sa noble fierté, quand elle vit qu'elle alloit unir la maison de France à la royale famille des Stuart, qui étoient venus à la succession de la couronne d'Angleterre par une fille de Heuri VII, mais qui tenoient de leur chef, depuis plusieurs siecles, le sceptre d'Écosse, et qui descendoient de ces rois antiques dont l'origine se cache si avant dans l'obscurité des premiers temps. Mais si elle eut de la joie de régner sur une grande nation, c'est parcequ'elle pouvoit contenter le desir immense qui sans cesse la sollicitoit à faire du bien. Elle eut une magnificence royale, et l'on eût dit qu'elle perdoit ce qu'elle ne donnoit pas. Ses autres vertus n'ont pas été moins admirables. Fidele dépositaire des plaintes et des secrets, elle disoit que les princes devoient garder le même silence que les confesseurs, et avoir la même discrétion. Dans la plus grande fureur des guerres civiles, jamais on n'a douté de sa parole, ni désespéré de sa clémence. Quelle autre a mieux pratiqué cet art obligeant, qui fait qu'on se rabaisse sans se dégrader, et qui accorde si heureusement la liberté avec le respect? Douce, familiere, agréable autant que ferme et vigoureuse, elle savoit persuader et convaincre aussi-bien que commander, et faire valoir la raison non moins que l'autorité. Vous verrez avec quelle prudence elle traitoit les affaires; et une main si habile eût sauvé l'état, si l'état eût pu être sauvé. On ne peut assez louer la magia-.

nimité de cette princesse. La fortune ne pouvoit rien sur elle; ni les maux qu'elle a prévus, ni ceux qui l'ont surprise, n'ont abattu son courage. Que dirai-je de son attachement immuable à la religion de ses ancêtres? Elle a bien su reconnoître que cet attachement faisoit la gloire de sa maison aussi-bien que celle de toute la France, seule nation de l'univers qui, depuis douze siecles presque accomplis que ses rois ont embrassé le christianisme, n'a jamais vu sur le trône que des princes enfants de l'église. Aussi a-t-elle toujours déclaré que rien ne seroit capable de la détacher de la foi de S. Lonis. Le roi son mari lui a donné jusqu'à la mort ce bel éloge, qu'il n'y avoit que le seul point de religion où leurs cœurs fussent désunis; et, confirmant par son témoignage la piété de la reine, ce prince très éclairé a fait connoître en même temps à toute la terre la tendresse, l'amour conjugal, la sainte et inviolable fidélité de son épouse incomparable.

Dieu, qui rapporte tous ses conseils à la conservation de sa sainte église, et qui, fécond en moyens, emploie toutes choses à ses fins cachées, s'est servi autrefois des chastes áttraits de deux saintes heroïnes pour délivrer ses fideles des mains de leurs ennemis. Quand il voulut sauver la ville de Béthulie, il tendit dans la beauté de Judith un piege imprévu et inevitable à l'aveugle brutalité d'Holopherne. Les graces pudiques de la reine Esther eurent un effet aussi salutaire, mais moins violent. Elle gagna le cœur du roi son mari, et fit d'un prince infidele un illustre protecteur du peuple de Dieu. Par un conseil à-peu-près semblable, e grand

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Dieu avoit préparé un charme innocent au roi d'Angleterre dans les agréments infinis de la reine son épouse. Comme elle possédoit son affection (car les nuages qui avoient paru au commencement furent bientôt dissipés), et que son heureuse fécondité redoubloit tous les jours les sacrés liens de leur amour mutuel, sans commettre l'autorité du roi son seigneur, elle employoit son crédit à procurer un peu de repos aux catholiques accablés. Dès l'âge de quinze ans elle fat capable de ces soins; et seize années d'une prospérité accomplie, qui coulerent sans interruption avec l'admiration de toute la terre, furent seize années de douceur pour cette église affligée. Le crédit de la reine obtint aux catholiques ce bonheur singulier et presque incroyable d'être gouvernés successivement par trois nonces apostoliques, qui leur apportoient les consolations que reçoivent les enfants de Dieu de la communication avec le saint-siege. Le pape saint Grégoire, écrivant an pieux empereur Maurice, lui représente en ces termes les devoirs des rois chrétiens : « Sachez,

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grand empereur, que la souveraine puissance vous « est accordée d'en haut, afin que la vertu soit aidée, que les voies du ciel soient élargies, et que l'empire de la terre serve l'empire du ciel » (1). C'est la vérité elle-même qui lui a dicté ces

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(1) Ad hoc enim potestas dominorum meorum pietati cœlitus data est super omnes homines, ut qui bona appetunt adjuventur, ut cœlorum via largius pateat, ut terrestre regnum cœlesti reguo famuletur. GREG. lib 2, epist. 62, Maur. Aug.

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