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à l'ouverture de la Convention. La république française à créer, l'Europe à désorganiser, peut-être à purger de ses tyrans par l'éruption des principes volcaniques de l'égalité; Paris, moins un département que la ville hospitalière et commune de tous les citoyens des départemens, dont elle est mêlée et dont se compose sa population; Paris, qui ne subsistait que de la monarchie et qui avait fait la république, à soutenir, en le plaçant entre les bouches du Rhin et les bouches du Rhône, en y appelant le commerce maritime par un canal et un port; la liberté, la démocratie à venger de ses calomniateurs, par la prospérité de la France, par ses lois, ses arts, son commerce, son industrie affranchie de toutes les entraves, et prenant un essor qui étonnait l'Angleterre, en un mot par l'exemple du bonheur public; enfin le peuple, qui jusqu'à nos jours n'avait été compté pour rien, le peuple, que Platon lui-même, dans sa république, tout imaginaire qu'elle fût, avait dévoué à la servitude, à rétablir dans ses droits primitifs et à rappeler à l'égalité : telle était la vocation sublime des députés à la Convention. Quelle ame froide et rétrécie pouvait ne pas s'échauffer et s'agrandir en contemplant ces hautes destinées?

Qui nous a empêchés de remplir cette carrière de gloire? De quel côté sont les ennemis de la République, les factieux, les véritables anarchistes, les conspirateurs, les complices de Dumourier, de Pitt et de la Prusse?

Il est temps enfin de les signaler et d'en faire justice; et dans la masse des faits que je vais recueillir, ce sera pour les départemens leur acte d'accusation que j'aurai rédigé, et, pour l'histoire, le jugement uniforme de la postérité que j'aurai prononcé d'avance.

Il y a quelques jours Pétion gémissait en ces termes à la Convention: De quoi nous sert-il de réfuter une calomnie? On la coule à fond aujourd'hui, elle surnage le lendemain. On la réfute à la tribune, on la chasse de tous les esprits; elle y rentre le lendemain par les journaux, et on en est assailli dans la rue. Quand est-ce donc qu'on posera sur le papier, et non en l'air,

une série de griefs à laquelle nous puissions répondre article par article? Vous allez être contens, Pétion, vous et les vôtres je vais vous présenter cette série de griefs, et je suis curieux de voir comment vous pourrez répondre à mon interrogatoire sur faits et articles.

D'abord une observation préliminaire indispensable : c'est qu'il y a peu de bonne foi de nous demander des faits démonstratifs de la conspiration. Le seul souvenir qui reste du fameux discours de Brissot et de Gensonné pour démontrer l'existence du comité autrichien, c'est qu'ils soutenaient, avec grande raison, qu'en matière de conspiration il est absurde de demander des faits démonstratifs et des preuves judiciaires, qu'on n'a jamais eues, pas même dans la conjuration de Catilina, les conspirateurs n'ayant pas coutume de se mettre si à découvert. Il suffit d'indices violens. Or, je vais établir contre Brissot et Gensonné l'existence d'un comité anglo-prussien par un ensemble d'indices cent fois plus forts que ceux par lesquels eux, Brissot et Gensonné, prouvaient l'existence du comité autrichien.

Je mets en fait que le côté droit de la Convention, et principalement les meneurs, sont presque tous partisans de la royauté, complices des trahisons de Dumourier et Beurnonville, dirigés par les agens de Pitt, de d'Orléans et de la Prusse, et ayant voulu diviser la France en vingt ou trente républiques fédératives, ou plutôt la bouleverser, pour qu'il n'y eût point de répu blique. Je soutiens qu'il n'y eut jamais dans l'histoire une conjuration mieux prouvée, et par une multitude de présomptions plus violentes que celle de ce que j'appelle les brissotins, parce que Brissot en était l'ame, contre la république française.

Pour remonter aux élémens de la conjuration, on ne peut nier aujourd'hui que Pitt, dans notre révolution de 1789, n'ait voulu acquitter sur Louis XVI la lettre de change tirée en 1641 par Richelieu sur Charles Ier. On sait la part qu'eut ce cardinal aux troubles du long parlement, où il pensionnait les plus zélés républicains ; et bien des événemens depuis m'ont fait ressouvenir de la colère que montra Brissot, il y a trois ans, quand un journaliste

aristocrate, ayant déterré le livre rouge de Richelieu et de Mazarin, y trouva à livres, sous et deniers, les sommes que ces ministres avaient comptées à Fiennes et Hampden pour leur zèle à demander la république. Ceux qui lisaient le Patriote français peuvent se souvenir avec quelle chaleur Brissot, craignant l'application, se fit le champion du désintéressement des républicains anglais. Pitt avait encore à prendre sa revanche des secours donnés par Vergennes aux insurgens anglo-américains; mais, depuis le 10 août, il s'est trouvé qu'au grand déplaisir de Pitt et de Brissot, ils avaient mené la liberté plus loin qu'il ne convenait à l'Angleterre; et Pitt et Brissot se sont efforcés d'enrayer. Quand le général Dillon affirmait, il y a quatre ans, à la tribune du corps constituant, qu'il savait, de science certaine, que Brissot était l'émissaire de Pitt, et sonnait du cor pour le compte du ministère anglais, on n'y fit pas beaucoup d'attention, parce que Dillon était du côté droit; mais ceux qui ont suivi les marches et contre-marches de Brissot, depuis ses écrits sur la traite des noirs et les colonies jusqu'à l'évacuation de la Hollande et de la Belgique, peuvent-ils nier qu'on ne trouverait pas peut-être une seule page dans cette masse de volumes qui ne soit dirigée au profit de l'Angleterre et de son commerce, et à la ruine de la France?

Est-ce qu'on peut me nier ce que j'ai prouvé dans un discours dont la société des Jacobins se souvient encore? celui que je prononçai sur la situation politique de la nation à l'ouverture de l'assemblée législative, que notre révolution de 1789 avait été une affaire arrangée entre le ministère britannique et une partie de la minorité de la noblesse, préparée par les uns pour amener un déménagement de l'aristocratie de Versailles dans quelques châteaux, quelques hôtels, quelques comptoirs; par les autres, pour amener un changement de maître; par tous pour nous donner les deux chambres et une constitution à l'instar de la constitution anglaise. Lorsque je prononçai ce discours à la société, le 21 octobre 1791, où je montrais que les racines de la révolution étaient aristocratiques, je vois encore la colère et les soubresauts de Sillery et de Voidel

quand je parlai des machinistes de la révolution. Je glissai légèrement là-dessus parce qu'il n'était pas temps encore, et qu'il fallait achever la révolution avant d'en donner l'histoire. Je voulais seulement laisser entrevoir à Sillery que ses pensées les plus secrètes ne nous échappaient pas, que nous le tenions en arrêt, et qu'il ne s'imaginât point que chez lui, et à Belle-Chasse, la harpe de madame Sillery et les séductions plus fortes de ses sirènes avaient amené toute mon attention sur le bord de mes yeux et de mes oreilles pour admirer, et n'avaient point laissé le temps à mon esprit observateur de poursuivre ses observations et de lever ses plans de république.

Me fera-t-on croire que lorsque je montais sur une table, le 12 juillet, et que j'appelais le peuple à la liberté, ce fut mon éloquence qui produisit ce grand mouvement une demi-heure après, et qui fit sortir de dessous terre les deux bustes d'Orléans et de Necker?

Croit-on que dans les quinze jours que j'ai habité à Versailles chez Mirabeau, immédiatement avant le 6 octobre, où je le quit tai, je n'aie rien vu des mouvemens précurseurs de la journée du 5 au 6? Croit-on que lorsque j'allai chez Mirabeau, au moment où il apprit que d'Orléans venait de partir pour Londres, sa colère de se voir abandonné, et ses imprécations dignes de Philoctète, et celles de son secrétaire, et la figure pétrifiée de Servan, et, dans ce temps-là, les liaisons de l'Anglais Dumont et du Génevois Duroveray, leurs allées et venues de Paris à Londres, ne m'aient rien fait conjecturer ?

N'est-ce pas un fait que Brissot a été secrétaire de madame Sillery ou de son frère Ducrest? N'est-ce pas un fait que ce fut Brissot et Laclos (car Danton n'y concourut point) qui furent les rédacteurs impunis de la pétition concertée avec La Fayette, et si funeste, du Champ-de-Mars? Brissot et Laclos! c'est-à-dire La Fayette et Orléans? Le lecteur qui n'est pas au courant s'étonne de trouver ces deux noms à côté l'un de l'autre. Patience! que j'aie débrouillé l'intrigue, et la surprise cessera tout à l'heure. N'est-ce pas un fait que Pétion a fait le voyage de Londres

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dans une dormeuse avec madame Sillery et mesdemoiselles d'Or léans, Pamela, Sercey, qu'on pouvait appeler les trois Graces, et qui pressaient son genou vertueux et heureusement incorruptible; et que c'est à ce retour qu'il a été nommé maire de Paris? Pourquoi ce voyage si suspect? quelle négociation si importante avait exigé qu'un si grand personnage que Jérôme Pétion passât la mer et s'abouchât avec Pitt?

Pétion croit-il que je ne me souvienne pas, il y a trois ans, dans le temps où on m'avait cru bon à quelque chose, de mes dîners chez Sillery, dans le salon d'Apollon, où venaient aussi dîner lui Pétion, Voidel, Volney, Mirabeau, Barrère, tuteur de Pamela, et autres républicains de cette étoffe, mais où on n'invitait jamais Robespierre?

Vous étiez donc aussi vous-même de la faction d'Orléans? me répète ici Barbaroux au sujet de ces dîners. Mais je lui observe que dans ces premiers temps de la révolution, cette coalition se confondait tellement avec celle des amis de la liberté et de la république, qu'il y aurait eu de la stupidité de nous joindre à Maury et à Boucher d'Agis pour tirer sur nos troupes. Nous n'étions peut-être pas à Paris dix républicains le 12 juillet 1789 (1), et voilà ce qui couvre de gloire les vieux cordeliers, d'avoir commencé l'entreprise de la République avec si peu de fonds! Quand on se souvient que c'est un Chapelier qui a posé la première pierre du club des Jacobins, on sent que, dans l'abâtardissement de la génération, cette statue de la Liberté, notre idole, il nous a fallu la construire comme le curé de Saint-Sulpice sa Vierge d'argent, avec des pots de chambre. Ce qui nous a servi merveilleusement, c'est que tous les intrigans ayant besoin de la faveur populaire pour se faire remarquer de l'intendant Laporte,

(4) Ces républicains étaient la plupart des jeunes gens qui, nourris de la lecture de Cicéron dans les colléges, s'y étaient passionnés pour la liberté. On nous élevait dans les écoles de Rome et d'Athènes, et dans la fierté de la république, pour vivre dans l'abjection de la monarchie, et sous le règne des Claude et des Vitellius. Gouvernement insensé, qui croyait que nous pouvions nous enthousiasmer pour les pères de la patrie, du Capitole, sans prendre en horreur les mangeurs d'hommes de Versailles, et admirer le passé sans condamner le présent! Ulteriora minari, præsentia secuturos. (Note de Desmoulins. )

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