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l'existence de l'Etre Suprême. » Louvet demanda l'ordre du jour motivé sur ce que l'existence de Dieu n'avait pas besoin d'être reconnue par la Convention nationale de France. Un nom plus méprisable que celui de Louvet ne pouvait s'associer à un pareil blasphème. Mais passons. La déclaration demandée par le député de Cayenne, et que Robespierre fit décréter plus tard solennellement, était le principe générateur d'un ordre politique entièrement opposé à celui des Girondins. Le dogme de l'existence de Dieu une fois établi, en effet, comme base sociale, la société cessait d'être un instrument compris entre les besoins individuels et la satisfaction de ces besoins; elle cessait d'être un pur mécanisme calculé pour l'exercice des droits naturels; elle renfermait toutes les conditions de l'unité et de l'indivisibilité; car au fond des abstractions de cet ordre ne se cacherait plus maintenant la pluralité individuelle, mais l'unité absolue elle-même. Ainsi, la croyance en Dieu, placée au-dessus de la loi, en fesait un point fixe et immuable, vers lequel devait tendre, et auquel devait s'arrêter toute activité humaine. Ce n'était plus là cette loi destinée à unir l'homme avec lui-même, et qui, partant d'un besoin, passait par le moyen social, et retournait à l'individu pour lui apporter une satisfaction; la loi définie du point de vue de Dieu, était un devoir commun instituant le rapport des hommes entre eux, et des hommes avec Dieu, c'est-à-dire le lien social seul véritablement un, seul véritablement indivisible. A la lumière de ce dogme, il était facile de discerner les partisans de l'unité, des partisans du fédéralisme, et par conséquent de bannir de la langue politique l'équivoque et la confusion. Les Jacobins avaient donc proclamé une vérité qui devait leur faire apercevoir toutes les autres.

Mais celle-là n'était pas la seule qui fût dans leurs convictions, et qui les séparât des Girondins. En outre de l'existence de Dieu et de l'immortalité de l'ame, croyance qu'ils professaient, non pas comme certitude de pratique individuelle, mais comme symbole de pratique sociale, ils soutenaient que l'abnégation personnelle était la condition des rapports sociaux, et que le dévouement absolu était le signe du pouvoir. Dans son discours sur la constitution, à la séance du 10 mai, Robespierre disait que les fonctions publiques étaient des devoirs d'autant plus pénibles qu'elles occupaient un rang plus élevé dans la hiérarchie, et que le magistrat digne de ce nom contractait, par son investiture, l'obligation volontaire de se sacrifier entièrement à la patrie. Le moyen par lequel les individus sont membres de la même unité, le lien de ce corps spiri

tuel, que la doctrine de Jésus-Christ doit édifier dans le monde, était donc affirmé par les Jacobins, et, à l'aide de ce principe fondamental, non-seulement ils pouvaient organiser le présent, mais encore, pénétrant jusqu'au nœud des organisations antérieures, et prévoyant celles qui devaient suivre, ils auraient compris les transformations du pouvoir humain. La loi du progrès, avec la fécondité explicative de ses formules, avec les données immédiates de la forme gouvernementale absolue, était au bout de la voie philosophique que leur ouvrait le principe du dévouement.

Ce n'était pas tout encore. Au dogme de l'existence de Dieu, à celui du dévouement, ils ajoutaient le dogme de la fraternité universelle. Pour renverser de fond en comble la doctrine du droit naturel, il ne leur fallait que reconnaître que toute société humaine était essentiellement active, et que si son existence était à la condition d'une origine commune et d'un moyen commun, elle était aussi à la condition d'un but, ces trois conditions étant nécessaires et inséparables. Or la fraternité universelle présentait évidemment le caractère d'un but, et déjà certaines paroles sorties des rangs jacobins se faisaient jour vers cette appellation. A la séance du 24 avril, Saint-Just improvisa un discours sur la constitution, où il mit en présence, par leur côtés les plus contradictoires, le système des Girondins et celui que le sentiment na'ional lui inspirait. A la liberté qui procédait du droit naturel, et qui n'était autre chose que la liberté des appétits, il opposa, comme seule admissible, la liberté de l'innocence et de la vertu ; à la défense mutuelle, à cet intérêt passif des hommes, comme il s'exprimait lui-même, que la constitution girondine déclarait être le seul objet de la garantie sociale, il opposa l'intérêt actif du plus grand nombre, et dit expressément que c'était là l'objet que la société avait pour but de consacrer. Que manquait-il, nous le demandons, à de telles formules pour engendrer le mot de but d'activité commune, cette théorie si simple et si profondément vraie de l'unité sociale, théorie qui commence à se populariser parmi nous, et qui porte, nous n'en doutons pas, toute la fortune de notre avenir national.

Un travail de quelques années, au sein de la paix publique, eût suffi à l'élaboration des principes émis par nos pères; et ils nous eussent devancés certainement dans les découvertes dont ils nous léguèrent tous les commencemens, s'ils n'avaient été avant tout des soldats sur la brèche, si le combat révolutionnaire ne les eût incessamment détournés

des méditations constitutionnelles. La science sociale, si avancée de notre temps, ne renferme pas un mot qui ne fût en germe dans leur sentiment. A la France qui demandait à se dévouer, et qui prouva J qu'elle le voulait, ils répondirent par un appel à d'immenses sacrifices, tandis que leurs adversaires, et nous bornerons là ce parallèle, disaient par la bouche de Condorcet a qu'on ne pouvait sacrifier la génération présente au bien-être incertain des générations futures. » Ce mot résume les Girondins.

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Poultier. Je demande que les comunissaires qui sont dans les départemens où le recrutement est fini, et où il n'y a plus de troubles, soient rappelés.

La proposition est décrétée.

Charlier. Il est une motion conforme à votre mandat, conforme à la dignité de la Convention, celle qui tend à ce que vous preniez l'engagement de ne pas vous séparer avant d'avoir donné une constitution à la France. (On applaudit.)

Plusieurs membres réclament l'ordre du jour, motivé sur ce que c'est le devoir de la Convention.

T. XXVI.

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