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leur pouvoir et dans leur indépendance du souverain. Remédiez à ce double abus.

› Commencez par modérer la puissance des magistrats.

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Jusqu'ici les politiques qui ont semblé vouloir faire quelque effort, moins pour défendre la liberté que pour modifier la tyrannie, n'ont pu imaginer que deux moyens de parvenir à ce but : l'un est l'équilibre des pouvoirs, et l'autre le tribuuat.

• Quant à l'équilibre des pouvoirs, nous avons pu être les dupes de ce prestige dans un temps où le mode semblait exiger de nous cet hommage à nos voisins, dans un temps où l'excès de notre propre dégradation nous permettait d'admirer toutes les institutions étrangères qui nous offraient quelque faible image de la liberté; mais pour peu qu'on réfléchisse on s'aperçoit aisément que cet équilibre ne peut être qu'une chimère ou un fléau; qu'il supposerait la nullité absolue du gouvernement s'il n'amenait nécessairement une ligue des pouvoirs rivaux contre le peuple ; car on sent aisément qu'ils aiment beaucoup mieux s'accorder que d'appeler le souverain pour juger sa propre cause: témoin l'Angleterre, où l'or et le pouvoir du monarque font constamment pencher la balance du même côté; où le parti de l'opposition mème ne paraît solliciter de temps en temps la réforme de la représentation nationale que pour l'éloigner, de concert avec la majorité qu'elle semble combattre; espèce de gouvernement monstrueux, où les vertus publiques ne sont qu'une scandaleuse parade, où le fantôme de la liberté anéantit la liberté même, où la loi consacre le despotisme, où les droits du peuple sont l'objet d'un trafic avoué, où la corruption est dégagée du frein même de la pudeur.

> Eh! que nous importent les combinaisons qui balancent l'autorité des tyrans? C'est la tyrannie qu'il faut extirper: ce n'est pas dans les querelles de leurs maîtres que les peuples doivent chercher l'avantage de respirer quelques instans, c'est dans leur propre force qu'il faut placer la garantie de leurs droits.

› C'est par la même raison que je ne suis pas plus partisan de l'institution du tribunat; l'histoire ne m'a pas appris à la respec

ter. Je ne confie point la défense d'une si grande cause à des hommes faibles ou corruptibles; la protection des tribuns suppose l'esclavage du peuple. Je n'aime point que le peuple romain se retire sur le Mont-Sacré pour demander des protecteurs à un sénat despotique et à des patriciens insolens : je veux qu'il reste dans Rome, et qu'il en chasse tous ses tyrans. Je hais autant que les patriciens eux-mêmes et je méprise beaucoup plus ces tribuns ambitieux, ces vils mandataires du peuple, qui vendent aux grands de Rome leurs discours et leur silence, et qui ne l'ont quelquefois défendu que pour marchander sa liberté avec ses oppresseurs.

>

› Il n'y a qu'un seul tribun du peuple que je puisse avouer, c'est le peuple lui-même : c'est à chaque section de la Républi que française que je renvoie la puissance tribunitienne ; et il est facile de l'organiser d'une manière également éloignée des tempêtes de la démocratie absolue et de la perfide tranquillité du despotisme représentatif.

› Mais avant de poser les digues qui doivent défendre la liberté publique contre les débordemens de la puissance des magistrats, commençons par la réduire à de justes bornes.

› Une première règle pour parvenir à ce but, c'est que la durée de leur pouvoir doit être courte, en appliquant surtout ce principe à ceux dont l'autorité est plus étendue;

2° Que nul ne puisse exercer en même temps plusieurs magistratures;

> 3° Que le pouvoir soit divisé : il vaut mieux multiplier les fonctionnaires publics que de confier à quelques-uns une autorité. trop redoutable;

» 4° Que la législation et l'exécution soient séparées soigneusement;

50 Que les diverses branches de l'exécution soient ellesmèmes distinguées le plus qu'il est possible, selon la nature même des affaires, et confiées à des mains différentes.

› L'un des plus grands vices de l'organisation actuelle c'est la trop grande étendue de chacun des départemens ministériels, où

sont entassées diverses branches d'administration très-distinctes par leur nature.

› Le ministère de l'intérieur surtout, tel qu'on s'est obstiné à le conserver jusqu'ici provisoirement, est un monstre politique, qui aurait provisoirement dévoré la République naissante si la force de l'esprit public, animé par le mouvement de la révolu tion, ne l'avait défendue jusqu'ici et contre les vices de l'institution et contre ceux des individus.

› Au reste, vous ne pourrez jamais empêcher que les dépositaires du pouvoir exécutif ne soient des magistrats très-puissans; ôtez-leur donc toute autorité et toute influence étrangère à leurs fonctions.

Ne permettez pas qu'ils assistent et qu'ils votent dans les assemblées du peuple pendant la durée de leur agence. Appliquez la même règle aux fonctionnaires publics en général.

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Éloignez de leurs mains le trésor public; confiez-le à des dépositaires et à des surveillans qui ne puissent participer euxmêmes à aucune autre espèce d'autorité.

› Laissez dans les départemens, et sous la main du peuple, la portion des tributs publics qu'il ne sera pas nécessaire de verser dans la caisse générale, et que les dépenses soient acquittées sur les lieux autant qu'il sera possible.

Vous vous garderez bien de remettre à ceux qui gouvernent des sommes extraordinaires, sous quelque prétexte que ce soit, surtout sous le pré'exte de former l'opinion.

> Toutes ces manufactures d'esprit public ne fournissent que des poisons: nous en avons fait récemment une cruelle expérience, et le premier essai de cet étrange système ne doit pas nous inspirer beaucoup de confiance dans ses inventeurs. Ne perdez jamais de vue que c'est à l'opinion publique de juger les hommes qui gouvernent, et non à ceux-ci de maîtriser et de créer l'opinion publique.

» Mais il est un moyen général et non moins salutaire de diminuer la puissance des gouvernemens au profit de la liberté et du bonheur du peuple.

Il consiste dans l'application de cette maxime, énoncée daus la Déclaration des Droits que je vous ai proposée: La loi ne peut défendre que ce qui est nuisible à la société; elle ne peut ordonner que ce qui lui est utile.

› Fuyez la manie ancienne des gouvernemens de vouloir trop gouverner laissez aux individus, laissez aux familles le droit de faire ce qui ne nuit point à autrui; laissez aux communes le pouvoir de régler elles-mêmes leurs propres affaires en tout ce qui ne tient pas essentiellement à l'administration générale de la République; en un mot, rendez à la liberté individuelle tout ce qui n'appartient pas naturellement à l'autorité publique, et vous aurez laissé d'autant moins de prise à l'ambition et à l'arbitraire.

› Respectez surtout la liberté du souverain dans les assemblées primaires. Par exemple, en supprimant ce code énorme qui entrave et qui anéantit le droit de voter sous le prétexte de le régler, vous ôterez des armes infiniment dangereuses à l'intrigue et au despotisme des directoires ou des législatures ; de même qu'en simplifiant le code civil, en abattant la féodalité, les dimes et tout le gothique édifice du droit canonique, on rétrécit singulièrement le domaine du despotisme judiciaire.

› Au reste, quelque utiles que soient toutes ces précautions, vous n'aurez rien fait encore si vous ne prévenez la seconde espèce d'abus que j'ai indiquée, qui est l'indépendance du gouver

nement.

› La Constitution doit s'appliquer surtout à soumettre les fonctionnaires publics à une responsabilité imposante, en les mettant daus la dépendance réelle non des individus, mais du souverain.

› Celui qui est indépendant des hommes se rend bientôt indépendant de ses devoirs : l'impunité est la mère comme la sauvegarde du crime, et le peuple est toujours asservi dès qu'il n'est plus craint.

> Il est deux espèces de responsabilité, l'une qu'on peut appeler morale, et l'autre physique.

› La première consiste principalement dans la publicité; mais suffit-il que la Constitution assure la publicité des opérations et

des délibérations du gouvernement? Non, il faut encore lui donner toute l'étendue dont elle est susceptible.

› La nation entière a le droit de connaître la conduite de ses mandataires. Il faudrait, s'il était possible, que l'assemblée des délégués du peuple délibérât en présence du peuple entier; un édifice vaste et majestueux, ouvert à douze mille spectateurs, devrait être le lieu des séances du corps législatif; sous les yeux d'un si grand nombre de témoins, ni la corruption, ni l'intrigue, ni la perfidie n'oseraient se montrer; la volonté générale serait seule consultée; la voix de la raison et de l'intérêt public sera seule entendue. Mais l'admission de quelques centaines de spectateurs encaissés dans un local étroit et incommode offre-t-elle une publicité proportionnée à l'immensité de la nation, surtout lorsqu'une foule d'ouvriers mercenaires effraient le corps législatif pour intercepter ou pour altérer la vérité par les récits infidèles qu'ils répandent dans toute la République? Que serait-ce donc si les mandataires eux-mêmes méprisaient cette petite portion du public qui les voit, s'ils voulaient faire regarder comme deux espèces d'hommes différentes les habitans du lieu où ils résident et ceux qui sont éloignés d'eux, s'ils dénonçaient perpétuellement ceux qui sont les témoins de leurs actions à ceux qui lisent leurs pamphlets, pour rendre la publicité non-seulement inutile, mais funeste à la liberté?

› Les hommes superficiels ne devineront jamais quelle a été sur la révolution l'influence du local qui a recelé le corps législatif, et les hommes de mauvaise foi n'en conviendront pas; mais les amis éclairés du bien public n'ont pas vu sans indignation qu'après avoir appelé les regards du peuple autour d'elle pour résister à la cour, la première législature les ait fuis autant qu'il était en son pouvoir lorsqu'elle a voulu se liguer avec la cour contre le peuple; qu'après s'être en quelque sorte cachée à l'Archevêché, où elle porta la loi martiale, elle se soit renfermée dans le Manege, où elle s'environna de baïonnettes pour ordonner le massacre des meilleurs citoyens au Champ-de-Mars, sauver le parjure Louis, et miner les fondemens de la liberté! Ses succes

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