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PRÉFACE.

Un journal de Lyon (le Censeur), vient de consacrer plusieurs articles à l'examen de notre histoire. L'auteur de ces articles a lu avec beaucoup d'attention les documens que nous avons réunis; son analyse est sans contredit l'une des plus détaillées et peut-être la plus exacte que la presse quotidienne en ait encore faite. Des comptes rendus de ce genre sont une véritable étude historique. Nous devons remercier le Censeur de la bienveillance avec laquelle il parle de nous.

Dans son cinquième article (15 avril 1836), le rédacteur du journal de Lyon discute contre nous la supériorité morale et politique des Girondins sur les Montagnards. Il s'étonne qu'en présence des matériaux si nombreux et si décisifs en faveur de l'opinion qu'il soutient, nous ayons adopté une opinion contraire; il se plaint que, pour absoudre les excès révolutionnaires, nous ayons invoqué la maxime odieusement célèbre que « la fin sanctifie les moyens. » Quant à notre impartialité d'historiens, elle est réservée de la manière qui pouvait le mieux l'établir, puisqu'elle fournit, selon le Censeur, la plus éclatante réfutation de notre système personnel.

Nous saisissons avec empressement cette occasion d'éclaircir quelquesuns de nos jugemens historiques que nous ne saurions environner de trop de lumière. Si le Censeur nous avait bien compris, il n'eût point fait les objections que nous venons de rapporter. Il ne tiendra pas à nous que, dans cette préface, celles de nos pensées qui ont donné lieu à des

interprétations très-éloignées de la vérité, ne deviennent parfaitement claires. Seulement, il ne faut pas oublier que le problème dont il s'agit serait agité sans aucun fruit entre des passions rivales, et qu'il ne peut être mené à solution que par des hommes animés du même principe de certitude morale. Nous sommes heureux de nous trouver vis-à-vis de notre critique, dans les termes d'une discussion de cette nature; car il admet la théorie chrétienne du devoir. Il nous est donc permis d'espérer que les difficultés qui nous séparent seront aisément levées, et que nous aboutirons de part et d'autre à des conclusions identiques.

D'abord, nous n'avons jamais professé la maxime que la fin sanctifie les moyens. Nous la condamnons sans aucune espèce de réserve, et nous ne croyons pas qu'il se rencontre dans notre histoire une seule expression obscure ou équivoque, ayant la moindre apparence d'une maxime semblable. Cet axiome, qui déshonora les jésuites, n'est autre chose qu'un sophisme grossier à l'aide duquel ils essayèrent d'allier la doctrine politique de Machiavel avec ce qu'ils prenaient pour le but de la révélation chrétienne. Or, ni la fin ne sanctifie les moyens, ni les moyens ne sanctifient la fin; la fin et les moyens constituent deux ordres de préceptes directement et positivement émanés de Dieu; ils sont deux lois distinctes faites pour régler indépendamment l'une de l'autre deux objets tout-à-fait différens; elles ne peuvent donc pas se sanctifier l'une par l'autre ; elles sont saintes au même degré et au même titre, et Dieu, qui les a voulues et nous les a révélées, est le seul fondement de leur sainteté respective.

Nous avons assez souvent et assez explicitement développé notre théor'e de l'unité humaine, et de ce que nous appelons une nationalité, pour que nous soyons dispensés de placer ici une longue introduction. Il nous suffira de rappeler l'un des principes généraux de nos méthodes historiques, savoir que toute société parmi les hommes est à la condition d'un but commun d'activité.

Pour apprécier un acte social, quel qu'il soit, il est donc indispensable de connaître le but au nom duquel existe la société où cet acte a été opéré. Mais cette donnée est insuffisante, il faut connaître de plus le moyen prescrit pour atteindre le but: ces deux éléments forment l'appui indivisible de tout jugement à prononcer sur tout acte social. Expliquons

nous.

Le but determine un rapport social entre les hommes, en tant qu'ils sont des êtres essentiellement relatifs. Cette formule doit être la condi

tion nécessaire de leur existence. Le moyen détermine une pratique sociale entre les hommes, en tant qu'ils sont des êtres essentiellement actifs. Cette formule doit être la loi absolue proposée à leur activité libre. La première répond à cette question : que devons-nous être ? La seconde, à celle-ci que devons-nous faire?

:

Lorsque Jésus-Christ nous révéla la fraternité universelle, il nous rendit manifeste la condition nécessaire de nos existences relatives. Cette parole détermina le rapport en qui les hommes seraient à jamais conservés, et en-dehors duquel ils périraient sans retour. S'il n'avait dit que ce mot, sa révélation eût été imparfaite et vaine. Par là, en effet, il n'eût déclaré que notre manière d'exister, telle que Dieu l'avait ordonnée dans le plan de ces créations progressives.

Parce que cette manière d'être, cet état d'impérissable conservation, n'était pas actuellement et gratuitement concédé aux hommes; parce qu'il était offert à leurs mérites, il se présentait comme un but à atteindre, et ce but répondait seulement à la question: que devons-nous être?

Et puisque notre manière d'exister dépendait rigoureusement de notre manière d'agir, il fallait une réponse à cette autre question : que devonsnous faire? Jésus-Christ la donna en déclarant le précepte de l'abnégation de soi-même. Cette parole détermina la loi absolue prescrite à nos actes. La fraternité universelle, ou le but, exprimait simplement la condition de notre existence; le dévouement, ou le moyen, posa la loi de notre activité. De là nous pouvons voir combien sont différens les objets de ces deux dogmes, et combien est absurde et impie l'axiome jésuitique que la fin sanctifie les moyens. Les moyens des œuvres chrétiennes ne sont sanctifiés que par leur conformité avec la loi morale qui en institue le mode essentiel par la formule du dévouement.

Voilà le critérium qui nous a constamment guidés dans nos investigations historiques, et sur lequel tous nos jugements sont fondés. Nos prefaces en sont le perpétuel commentaire. Ici nous nous sommes contentés de le prendre au point de vue même du reproche qui nous était fait. Ce critérium explique ainsi les excès révolutionnaires.

i e pouvoir, dans une nation, est le directeur de l'activité sociale; sa légitimité procède d'une pratique constante et assidue de la loi qui règle les actes nationaux. La nation française étant chrétienne par son but et par sa loi d'activité, le pouvoir français doit toujours annoncer l'un, et toujours obéir à l'autre; il doit marcher à la fraternité par le dévouement. Pour cela, il faut qu'il écarte, l'un après l'autre, les obstacles qui s'oppo

sent à la conquête du but national, et qu'il y substitue les moyens les plus propres à cette conquête. L'activité sociale ainsi dirigée est régulièrement et progressivement transformatrice.

S'il arrivait que le pouvoir appliquât tous ses soins à conserver les obstacles qu'il lui est imposé de détruire, il deviendrait par ce seul fait l'obstacle le plus dangereux, celui qu'il importerait de renverser immédiatement; car, avec lui, la nation cesserait bientôt d'exister. Alors agi-sant d'elle-même, et au nom de son but, celle-ci devrait opérer une révolution, c'est-à-dire déplacer le pouvoir, et de déplacemens en déplacemens, ne cesser ses actes révolutionnaires qu'après qu'un pouvoir véritable se serait fait reconnaître par ses œuvres. Il n'y a pas de milieu pour l'activité d'un peuple entre le mode révolutionnaire et le mode transformateur. Dans le premier cas il n'est pas dirigé, il agit a posteriori, pour nous servir de notre langue philosophique; dans le second, il est dirigé, et il agit a priori.

L'hypothèse que nous venons de former à l'égard du pouvoir français s'est vérifiée plus d'une fois depuis l'origine de notre nationalité. Pius d'une fois, sous peine de périr, il a fallu renverser des directeurs infidèles. La révolution commencée en 1789, fut un mouvement commandé par une nécessité de ce genre; il serait oiseux de raconter ici comment Louis XIV et sa postérité, non-seulement négligèrent le but social, mais encore fermèrent toutes les routes que leurs prédécesseurs avaient tracées vers ce but, et travaillèrent uniquement à conserver les obstacles sans nombre qu'ils avaient pour mission de faire disparaître. Les priviléges de la naissance résument ces obstacles; ce mot renferme (out.

Témoin d'une grande misère publique, environné de menaces prêtes à éclater, Louis XVI voulut réparer les fautes de ses ancêtres; il ouvrit un instant l'oreille aux sages avis de Turgot. Mais l'école impure de la régence rentra bientôt dans ses conseils et le livra à sa mauvaise destinée. Des embarras de finanees accumulés par les dilapidations des règnes antérieurs, et augmentés chaque jour pour l'entretien d'une cour insatiable, firent penser à remettre en vigueur le vote de subsides; il ne restait plus qu'à faire banqueroute et à piller la nation, ou à lui demander d'arranger elle-même les affaires. Les États furent convoqués : la France répondit à ceux qui l'appelaient pour une réforme financière, par le vœu général d'une réforme religieuse, politique et civile. Les cahiers exprimèrent ce vau, et désormais la question à débattre entre le peuple et le roi fut celle-ci : abolition de tous les priviléges de la naissance.

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