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directeurs vers un tel but, il ne s'agit plus de mesurer leur plus ou moins de moralité. Ils furent un pouvoir immoral dans toute la rigueur de ce mot. Le préjugé accrédité par les historiens qui ont étudié et raconté les actes révolutionnaires du point de vue des individus, et non pas du point de vue de la loi sociale. et de la nation, porte encore de bons esprits à croire que la révolution était chose facile, et que la résistance aux excès qui l'accompagnèrent, était l'œuvre pénible et difficile. Il est certain au contraire que les contre-révolutionnaires à un degré quelconque eurent toute facilité, et que si la révolution triompha de 1789 à 1794, c'est qu'elle eut pour instrument la force seule indomptable dans les sociétés humaines, la puissance du dévouement et du sacrifice. Le passage suivant d'un conventionnel célèbre peint vivement la difficulté dont nous parlons. Ce morceau fut écrit après la mort du roi :

<< S'il avait été donné à la sagesse humaine de prévoir dès l'instant de la convocation des états généraux le point où nous en sommes arrivés, et par quelle suite d'événemens nous devions y parvenir, à coup sûr le sage qui nous aurait dévoilé l'avenir eût été traité de visionnaire.

>> La Bastille rasée, le despotisme abattu, la constitution renversée à sa naissance, deux assemblées nationales succombant sous le poids de l'indignation publique, des massacres concertés pour écraser la liberté ne servant qu'à l'établir; la monarchie encensée depuis treize siècles comme le plus beau des gouvernemens, proscrite en un jour comme le fléau de l'humanité; le monarque adoré pendant quinze années, supplicié de la main du bourreau comme un tyran; la république établie par acclamation; la révolution toujours entravée par les classes qu'elle favorisait, et toujours défendue par les classes qu'elle écrasait, voilà de ces événemens qu'a provoqués tour à tour le torrent de l'opinion publique, mais dont le présage était au-dessus des forces de l'esprit humain. Ils se conçoivent aujourd'hui que nous avons vu se développer sous nos yeux les causes qui les ont amenés. Ce qui me passe et me passera toujours, c'est que les ouvriers, les artisans, les manœuvres, les indigens, en un mot les classes de la société qui perdaient tout à la révolution et que des législatures vénales avaient exclues du rang des citoyens, soient les seuls qui l'aient constamment soutenue, et qui l'aient enfin consacrée sans avoir jamais opposé aux artifices de leurs ennemis que la force de leurs bras et les ressources de leur courage. Ce n'est pas là sans doute un effet sans cause; mais que ces grands moralistes, qui prétendent que l'homme n'agit jamais que par un intérêt palpable, nous expliquent un

peu ce phénomène. C'est dans ces classes que la liberté a trouvé de vrais défenseurs; et si elles avaient été moins nombreuses au sein de la capitale, où a toujours été le foyer de la révolution, il était impossible qu'elle se soutînt quelques jours contre les piéges sans cesse renaissans d'une foule d'ennemis conjurés pour l'étouffer au berceau.

« Quand je songe combien peu il s'en fallut tant de fois que le despotisme ne fût rétabli sans retour, je regarde la révolution française comme un miracle continuel, et j'ai peine à me défendre de l'idée qu'un dieu tutélaire a veillé pour le salut des amis de la liberté; car comment concevoir que des citoyens sans plan de conduite, sans vues, sans fortune, et la plupart sans armes, aient triomphé d'une foule d'ennemis adroits, fins, fourbes, versés dans l'art d'en imposer aux hommes, ayant dans leurs mains toutes les places de l'autorité, et disposant à leur gré du trésor public, des arsenaux et de la force armée ? Comment concevoir que des hommes presque sans moyens de défense l'aient emporté sur ceux qui réunissaient dans leurs mains tous les moyens d'oppression? >>

Pour terminer notre controverse avec le Censeur, nous devrions placer notre opinion motivée sur les Jacobins à côté de celle que nous avons formulée sur les Girondins; mais il n'y a jusqu'à ce moment dans notre histoire aucun élément direct d'un tel jugement, car les Jacobins ne sont pas encore au pouvoir, et ils n'ont fait aucun acte social. Nous n'anticiperons pas. Nous avons posé les principes qui nous serviront à les juger, comme ils nous ont servi à juger leurs adversaires. L'application que nous venons d'en faire dans cette préface ne peut laisser aucun doute sur ce point, savoir, que la question révolutionnaire était éminemment et avant tout une question de bonne foi.

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SÉANCE DU 8 MARS. - Présidence de Gensonné.

[Lacroix, l'un des commissaires de la Convention dans la Belgique. Les commissaires que vous avez envoyés dans les provinces de la Belgique m'ont député avec Danton pour vous faire part de faits très-essentiels que vous devez connaître. Le ministre de la guerre vous disait hier que vous ne deviez ajouter foi qu'aux rapports officiels des généraux qu'il vous communique; cette proposition serait vraie si vous n'aviez pas auprès de vos armées des yeux aussi fidèles . que ceux des ministres. Je me suis trouvé au milieu de l'armée de Valence; j'ai été pendant dix heures à cheval; j'ai suivi tous ses mouvemens; j'ai assisté à toutes les conférences des géné

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raux, et je puis, dans cette affaire, vous instruire avec plus d'exactitude que le ministre ; qui ne vous dit rien et qui vous présente comme un bien la réunion des armées, qui réellement est la suite d'un désavantage. Je deinande que le comité de défense générale se rassemble à l'instant pour entendre les détails que j'ai à lui donner; ou, si l'assemblée croit qu'il est de la prudence de publier ces détails, quelque affligeans qu'ils soient, je les lui donnerai. Je ne sais pas déguiser la vérité; il faut connaître le mal pour y apporter le remède.

Lamarque. Immédiatement après que le traître La Fayette eut fait arrêter les trois commissaires de l'assemblée, je fus envoyé avec deux autres membres dans le département des Ardennes. Nous y trouvâmes et nous vîmes le véritable état de l'armée du centre, le défaut de munitions, la faiblesse de cette armée, l'espèce de nudité et la dispersion de ces quinze mille soldats, destinés à repousser plus de quatre-vingt-dix mille hommes; nous trouvâmes les places dégarnies; nous rendimes compte de cet état affligeant des choses à l'assemblée. Le comité de défense générale, qui recevait nos dépêches, nous écrivit que nous étions bien hardis d'écrire de pareils détails et de vouloir les rendre publics sans le consulter. Nous lui répondîmes que chez un peuple composé de vingt-sept millions d'ames, et en état d'armer trois millions de citoyens, il ne fallait pas dissimuler les dangers. En effet, à peine les eûmes-nous fait connaître, que cent mille hommes se précipitèrent vers les frontières pour repousser l'ennemi. Je demande, ou qu'au comité de défense générale soit adjoint le comité militaire et celui de surveillance, ou que le rapport qu'a fail Lacroix soit annoncé à la Convention.

Barrère. Croyez-vous que le secret soit possible dans votre comité de défense générale, où se trouvent des secrétaires, commis-écrivains ; dans ce comité, qui est ouvert à tous vos membres? Ce secret n'est pas même nécessaire, puisque nous nous battons avec les forces nationales, puisqu'il n'existerait pas pour nos ennemis. Ainsi écartons de la Convention toutes les défiances : le mal est connu de l'ennemi; il est connu des départemens voisins.

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