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On croyait aux bonnes intentions de Louis XVI. Ses premiers actes furent des résistances excitées par les intérêts que la réforme avait mis en sollicitude; il s'inspira de leurs craintes, et s'en déclara le protecteur. Tous ses consentements aux mesures qui frappaient les privilégiés, furent autant de concessions qu'il fallut lui arracher. Il entra donc en lutte avec la France, et la transition, déjà si difficile, des institutions selon la naissance, aux institutions selon la fraternité, cette œuvre qui réclamait tant de sacrifices, tant d'études nouvelles, mais surtout une volonté unanime et une grande bonne foi, se trouva compliquée de désaccords et de méfiances. La mauvaise volonté et la mauvaise foi du gouvernement de Louis XVI, occasionnèrent tous les soulèvemens et toutes les insurrections qui eurent lieu depuis le 17 juillet 1789, jusqu'au 10 août 1792; depuis la prise de la Bastille, jusqu'à celle des Tuileries. Le parti qu'adopta le roi dans la querelle des trois ordres, le lit de justice pour la dissolution des Etats, les renvois de ministres populaires, les refus de sanction, une opiniâtreté invincible contre la constitution civile du clergé, témoignèrent successivement de la mauvaise volonté du pouvoir. Une pareille conduite fit naturellement suspecter la sincérité des capitulations qu'il signait après chaque victoire du peuple. Sa mauvaise foi fut en quelque sorte rendue authentique par la fuite à Varenne, et par son désaveu formel de toute participation volontaire aux réformes accomplies.

La question devint alors franchement révolutionnaire, et ne cessa plus de l'être; de là naquirent les excès et les violences. Puisqu'il fallait rompre avec le passé, puisqu'ainsi l'ordonnait le devoir national et la ferme résolution d'y obéir annoncée par le peuple, il n'y avait plus qu'à choisir entre la rupture morale et la rupture matérielle; car l'une ou l'autre étaient inévitables. La rupture morale c'était la reforme ellemême, et nous venons de voir qu'on ne pouvait plus y croire; restait donc la rupture matérielle, c'est-à-dire la ruine littérale et complète des obstacles, la destruction totale des existences et des intérêts par lesquels le passé était essentiellement maintenu. Si l'on réfléchit que la sécurité d'un peuple repose sur sa confiance dans le pouvoir, et que là où cette certitude n'existe pas, il n'y a d'autre moyen de juger que le témoignage des sens, on comprendra ce besoin des garanties, qui pousse à briser tous les instrumens physiques du mal, lorsqu'on ne peut pas s'assurer autrement de son impuissance. Ce sont là de ces désastres sociaux qui entraînent d'immenses désordres et de nombreuses infortunes. Sans

doute ces douleurs sont un mal; mais ce mal n'est imputable qu'aux pouvoirs qui l'ont préparé, qu'à ceux qui l'ont provoqué, qu'à ceux qui n'en ont point détourné la cause : voilà la solidarité. De la part de la nation, ce mal est un juste châtiment qu'elle inflige à des coupables; de la part de ceux qui s'en font les exécuteurs, il est une action privée bonne où mauvaise, selon qu'elle procède de leur dévouement ou de leur égoïsme. Ce n'est point à ces actions privées que l'on doit s'arrêter lorsqu'on veut apprécier un acte révolutionnaire. Un tel acte est un fait social, dont l'auteur s'appelle nation. Tout ce qu'il faut rechercher, c'est si la mauvaise foi du pouvoir était évidente lorsque le peuple l'a attaquée; le reste est fatal. L'insurrection se lève en tumulte, et frappe toutes les apparences, tous les sigues exterieurs sous lesquels elle suppose un ennemi; car elle est elle-même la preuve que l'ordre moral, où les intentions et l'esprit sont discernés, est passagèrement interrompu.

Les extrémités deplorables auxquelles la France fut obligée de demander son salut à l'époque où notre histoire est parvenue, eussent été évitées, presque tout le sang répandu sous la Constituante et sous la Législative eût été épargné, si les majorités de ces deux assemblées et celle de la Convention avaient été conduites par des hommes d'une bonne foi sûre et incontestable. Or il n'en fut pas ainsi.

La science sociale manquait alors, comme il a été tant de fois démontré par nous. Il n'était donc possible que de marcher par des essais organiques, jusqu'à ce que la théorie politique de la fraternité universelle eût été découverte. Ce ne fut pas la science qui divisa les esprits. Tous les révolutionnaires professaient la doctrine du droit naturel; la science ne posait donc entre eux qu'une discussion facile d'où n'auraient point tardé de sortir les conséquences véritables de cette doctrine, toutes négatives de la fraternité. Alors ils eussent changé de principe, et le travail de la réforme sociale se serait accompli pacifiquement. Mais au-dessus de la discussion que posait la science, la morale posait une question de bonne foi, et ceux dont la nation avait fait les maîtres de Louis XVI, et dont elle fit plus tard ses successeur, n'y satisfirent pas.

C'est à ce point de vue qu'il faut se placer pour juger entre les Girondins et les Jacobins. Il ne s'agit pas de décider de leur supériorité intellectuelle les uns à l'égard des autres; car leur savoir était fondamentalement le même. Il s'agit de reconnaître si les Girondins n'étaient pas évidemment des révolutionnaires de mauvaise foi, auquel cas le 31 mai fut une insurrection nécessaire; il s'agit de voir si les Jacobins

qui prirent le pouvoir à leur tour, ne furent pas aussi des révolutionnaires de mauvaise foi, auquel cas, le 9 thermidor fut une réaction légitime.

Quiconque lira froidement les pièces dont se compose l'histoire des Girondins, acquerra la démonstration qu'il fut humainement impossible de croire à la bonne foi de ce parti. Fondé et mené par Brissot, il porta la réputation de cet homme, et contracta avec son chef reconnu la solidarité des imputations flétrissantes dont il était l'objet. Nous renvoyons le lecteur à notre historique des élections pour l'assemblée législative. Les amis de Brissot devaient donner des gages de leur bonne foi révolutionnaire en proportion même des doutes que le meneur inspirait. Il leur fallait prouver matériellement, puisqu'ils ne pouvaient prouver moralement. Nous n'entreprendrons pas de dresser ici leur acte d'accusation; seulement nous choisirons quelques exemples parmi les faits innombrables qui justifient notre assertion.

L'opposition faite à la Gironde par les Jacobins, sous l'influence et sous la direction de Robespierre, commença par une attaque violente contre Brissot. L'esprit de la Constituante représenté par les Feuillans au sein de la Législative allait être vaincu. Depuis la fuite à Varenne le cri public exigeait impérieusement que le roi constitutionnel fût réellement suspendu, et qu'on n'acceptât plus aucun de ses sermens. Les Constituans s'étaient retirés honnis et conspués pour n'avoir pris qu'un instant cette mesure, et y avoir renoncé aussitôt. Les Feuillans marchèrent sur leurs traces, négligeant la question morale, et s'attachant à la forme parlementaire qui ne passait déjà plus que pour un mensonge et une comédie. A la tête des hommes qui se présentaient pour les remplacer figurait Brissot, dont toute l'opposition était aussi bornée à la forme. Il parlait de république au moment où la constitution de 94, fidèlement appliquée, était le seul moyen d'ordre et de salut, aux yeux de tous les honnêtes gens; il proposait de déclarer la guerre, lorsque rien n'était préparé pour la faire; lorsque Louis XVI, instrument désormais passif du parti contre-révolutionnaire, négociait l'invasion, et consentait à la mettre en demeure.

Ces démarches, unies à la réputation de leur auteur, constatèrent la mauvaise foi de Brissot et de ses partisans. Le ministère qu'il forma fut constamment suspect; il ne fut loué que pour ses demi-résistances au parti de la cour; encore fallut-il pour cela qu'il tombât en disgrâce et qu'il devint une occation pour la volonté révolutionnaire de se manifester à Louis XVI dans la journée du 20 juin. Jamais il ne fut cru sur parole,

et ses actes matériels furent toujours conservateurs des obstacles sur lesquels on appelait son animadversion. Il ne voulut point condamner Lafayette, lorsque tout le monde le condamnait; il ne voulut point prononcer la déchéance, lorsque tout le monde la demandait.

Accusés de maintenir le commandement des armées aux ennemis déclarés de la révolution, les Girondins bravèrent cette accusation ; et la plupart de ceux que l'opposition dénonçait se trouvèrent des traîtres. Après le 10 août, ils s'efforcèrent d'assurer l'impunité des plus grands coupables; ils sollicitèrent un passe-port pour Narbonne. Leur mollesse à punir, leurs ménagemens pour les individus, lorsque la conservation. sociale était en péril imminent, mirent le comble à la méfiance publique. Alors cependant, il n'y avait plus à différer; les révolutionnaires exigeaient une démonstration matérielle capable de lever leurs doutes. Ni la longanimité, ni la générosité, ni la justice ordinaire n'étaient permises aux Girondins. Il fallait que l'on vit du sang entre eux et les ennemis de la révolution. La faute en était à toutes les marques de mauvaise foi qu'ils avaient données. Le seul bien qu'ils auraient pu faire, et qu'ils auraient dû vouloir au sein de la fatalité qu'ils avaient créé, c'était de frapper avec discernement, car ils étaient le pouvoir. Les massacres de septembre furent la conséquence de leur récusation, et aux yeux de la postérité, les Girondins partageront la responsabilité de ces journées mémorables avec les pouvoirs de mauvaise foi, qui les avaient précédés dans la carrière de la révolution.

Le procès de Louis XVI décida du sort des Girondins, et la trahison de Dumourier en précipita le dénoùment. Nous n'entrerons pas dans les détails de ces événemens. Nos introductions au mois de février, au mois de mars et au mois d'avril 1795 renferment tout ce que nous avons à dire là-dessus. Le lecteur qui suivra attentivement nos indications, et qui, prenant la question comme nous venons de la poser dans cette préface, comparera les attaques portées à la Gironde par Robespierre le 3 et le 10 avril aux réponses de Brissot, de Vergniaud et de Guadet compren ra l'irrésistible nécessité du 54 mai.

Dans l'état où se trouvaient le pouvoir girondin et l'opposition jacobine au début de la Convention nationale, la mort de Louis XVI était fatale et inévitable. Si les Girondins avaient pris soin de le séparer du milieu révolutionnaire, pendant la Législative; de prononcer à temps sa déchéance et de l'enfermer dans une prison, sa personne eût peut-être été respectée. Mais c'était là une initiative en dehors des voies où les

amis de Brissot étaient engagés ; et leur mauvaise foi présumée fut la principale cause de la mort de celui qu'ils essayèrent de sauver.

Le décret par lequel Guadet fit décréter la convocation d'une convention nationale fut le premier présage défavorable à la probité et à la sagesse que les Girondins apporteraient dans cette assemblée. Au lieu de conférer au peuple entier la nomination de ses dictateurs suprêmes, on l'attribua à des corps électoraux. Lorsque la nouvelle tribune fut ouverte, les Girondins l'occupèrent incessamment pour leur propre compte, attaquant Paris, qui les avait jugés, opposant les départemens à la capitale, et cherchant ainsi à consommer un fédéralisme mortel pour la nation, afin de garder leur fortune politique. Les Jacobins se dévouèrent à tous les périls pour maintenir l'unité. Pendant que leurs adversaires tournaient en calomnies, contre leurs sentimens et leurs projets, les excès. dont le parti gouvernant était le vrai coupable, eux ne s'occupaient que des ennemis de la France et des mesures qui la préserveraient; la guerre étrangère et le procès du roi étaient les seuls terrains sur lesquels ils aplaient et combattaient leurs antagonistes. Ces deux polémiques, si différentes dans leur principe et dans leur but, caractérisent à chaque instant le pouvoir et l'opposition. Deux griefs la résument très-exactement, et montrent dans tout son jour la logique révolutionnaire plus haut déduite. Les Jacobins reprochent au pouvoir d'être un hypocrite et un menteur; le pouvoir leur reproche d'être des hommes de sang; ce qui revient à dire qu'ils sont des hommes d'une méfiance absolue. Jamais guerre à mort fut-elle plus nettement exprimée ?

Les Girondins la firent avec une haine implacable; mais, habitués aux ruses et aux habiletés parlementaires, ils se confièrent à des intrigues et à des manœuvres détournées pour exterminer les factieux qui leur résistaient. Ceux-ci leur arrachèrent d'abord, au nom de la garantie révolutionnaire, la loi vivante du passé, ce roi dévoué au mal et à la mort, par les fautes de ses pères, par celles de ses conseillers, par celles de la Constituante et de la Législative. Après le 21 janvier 1795, il n'y eut plus d'autre obstacle que les Girondins eux-mêmes, et lorsque la trahison de Dumourier, qu'ils défendirent jusqu'au dernier moment, eut mis le sceau à leur mauvaise foi, une insurrection les renversa.

S'il est démontré que les Girondins eurent toutes les apparences d'un parti contre-révolutionnaire; s'il est démontré que les hommes qui désiraient de bonne foi l'abolition de tous les priviléges de la naissance, et l'avènement de a fraternité ne purent à aucun titre les accepter comme

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