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que d'avoir ainsi perverti la raison et anéanti les idées de morale. Il restait au peuple des défenseurs qui pouvaient encore l'éclairer, des hommes qui dès les premiers jours de la révolution se sont consacrés à ses succès, non par spéculation, pour faire oublier une vie criminelle, ou trouver sous la bannière de la liberté des moyens de se souiller de nouveaux crimes; non pour acquérir des hôtels et des carrosses, en déclamant avec hypocri- sie contre les richesses, mais pour avoir la gloire de coopérer au bonheur de leur patrie, sacrifiant à cette seule ambition de leurs ames état, fortune, travail, famille même, en un mot, tout ce qu'ils avaient de plus cher. L'aristocratie a tenté de les perdre par la calomnie. Elle les a poursuivis par des dénonciations perfides, par l'imposture, par des cris forcenés, soit dans d'infàmes libelles, soit dans des discours de tribune plus infâmes encore, dans les assemblées populaires, dans les places publiques, chaque jour, à toute heure, à tout instant."

On a vu se développer cet étrange système de liberté d'après lequel on vous dit: Vous êtes libres; mais pensez comme nous sur telle ou telle question d'économie politique, ou nous vous dénonçons aux vengeances du peuple. Vous êtes libres; mais courbez la tête devant l'idole que nous encensons, ou nous vous dénonçons aux vengeances du peuple. Vous êtes libres; mais associez-vous à nous pour persécuter les hommes dont nous redoutons la probité et les lumières, ou nous vous désignons par des dénominations ridicules, et nous vous dénoncerons aux vengeances du peuple.

Alors, citoyens, il a été permis de craindre que la révolu tion, comme Saturne, dévorant successivement tous ses enfans, 'n'engendrât enfin le despotisme avec les calamités qui l'accompagnent.

En même temps que l'aristocratie nourrissait l'imagination du peuple de soupçons, de méfiances, d'erreurs et d'exagérations, elle travaillait à diviser la Convention nationale, et malheureusement elle n'a obtenu que trop de succès.

Une partie des membres qui la composent a regardé la révo

lution comme finie à l'instant où la France a été constituée en République. Dès-lors elle a pensé qu'il convenait d'arrêter le mouvement révolutionnaire, de rendre la tranquillité au peuple, et de faire promptement les lois nécessaires pour la rendre durable.

D'autres membres, au contraire, alarmés des dangers dont la coalition des tyrans nous menaçe, ont cru qu'il importait à l'énergie de notre défense d'entretenir encore toute l'effervescence de la révolution.

Cédant à des insinuations étrangères et à des préventions fomentées avec art, ceux-ci ont appelé les premiers d'abord, Feuillans, ensuite aristocrates; et les premiers ont appelé les seconds anarchistes.

La Convention nationale avait un grand procès à juger. Les uns ont vu dans l'appel au peuple, ou dans la simple réclusion du coupable, un moyen d'éviter une guerre qui allait faire répandre des flots de sang, un hommage solennel rendu à la souveraineté du peuple.

Les autres n'ont vu dans cette mesure qu'un germe de guerres intestines, et une condescendance pour le tyran. Ils ont appelé les premiers royalistes; les premiers ont accusé les seconds de ne se montrer si ardens pour faire tomber la tête de Louis que pour placer la couronne sur le front d'un nouveau tyran. Dès lors le feu des passions s'est allumé avec fureur dans le sein de cette assemblée, et l'aristocratie, ne mettant plus de bornes à ses espérances, a conçu l'infernal projet de détruire la Convention par elle-même; combinant toutes ses démarches d'après le degré d'exaltation des têtes, elle a dit : Enflammons encore les haines; faisons en sorte que la Convention nationale elle-même soit le cratère brûlant d'où sortent ces expressions sulfureuses de con- . spirations, de trahisons, de contre-révolution. Mettons à profit les imprudences d'un patriotisme trop ardent, pour que la colère du peuple paraisse dirigée contre une partie de la Convention par l'autre. Notre rage fera le reste; et si dans le mouvement que nous aurons excité périssent quelques membres de la Convention,

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nous présenterons ensuite à la France leurs collègues comme leurs assassins et leurs bourreaux; l'indignation publique que nous aurons soulevée produira bientôt une seconde catastrophe qui engloutira toute la représentation nationale.

Ainsi tramait l'aristocratie, lorsque la déroute d'Aix-la-Chapelle, les malheurs de la ville de Liège tombée au pouvoir d'un ennemi féroce, la douleur dont ce revers a pénétré les bons. Français, les fautes graves ou les trahisons auxquelles il faut l'imputer, ont fait croire que l'époque était arrivée où l'on pouvait faire éclater la première insurrection contre-révolutionnaire.

On a arrêté d'abord de demander le décret d'accusation contre Dumourier, tous les généraux et leurs états-majors. C'était un moyen sûr de livrer nos armées au désespoir et à la désorganisation.

Des patriotes avaient conçu l'idée d'un tribunal révolutionnaire pour épouvanter les conspirateurs. Ce tribunal, s'il était organisé d'après les principes de la justice, pourrait être utile. La Convention avait accueilli l'idée de sa formation: on résolut de le faire servir même au succès de la contre-révolution. Voici comment: on se flatta qu'il serait facile de persuader à la Convention que les ministres étaient coupables de la déroute d'Aixla-Chapelle, et d'en obtenir au moins leur renvoi ; qu'il ne serait pas impossible de l'amener à en choisir de nouveaux dans son propre sein; qu'il s'y trouverait des membres assez corrompus par l'ambition pour vouloir cumuler sur lears têtes les fonctions exécutrices et les fonctions législatives, et que par l'intrigue et la terreur on parviendrait à les faire élire. Une fois que des hommes revêtus de l'inviolabilité inhérente au caractère de représentant du peuple auraient tenu entre leurs mains tous les trésors de la République, auraient eu à leur disposition toutes les places, toutes les faveurs, les bienfaits pour séduire, l'autorité pour épouvanter, tous les moyens d'intrigue, de corruption, de popula rité, et même de sédition, ils auraient écrasé de la toute-puissance de leur ascendant la Convention nationale, qui n'eût plus été entre leurs mains qu'un instrument pour légaliser leurs crimes et

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leur tyrannie; et si quelque citoyen avait voulu élever une voix gémissante contre cette nouvelle et exécrable tyrannie, le tribunal révolutionnaire était là pour le juger comme un conspirateur, et lui imposer silence en faisant tomber sa tête. Ici, je m'empresse de rendre hommage à la vérité. La Convention réunissant tous les pouvoirs, quelques patriotes, dont je respecte la probité, ont pu d'abord ne voir ni danger ni violation des principes dans l'élection qui serait faite des ministres au sein de l'assemblée; mais bientôt tous se sont réunis à l'opinion contraire, et la Convention a échappé à l'unanimité au danger qui l'avait menacée. Je lui dirai cependant que plus d'un Brutus veillait à sa sûreté, et que si, parmi ses membres, elle avait trouvé des décemvirs, ils n'auraient pas vécu plus d'un jour.

J'entre maintenant dans les détails d'exécution de la trame odieuse que je viens de vous dévoiler. Permettez-moi seulement uné observation préliminaire sur ce qui se passe dans plusieurs sections de Paris. Leur longue permanence a depuis long-temps fatigué la plus grande partie des citoyens que leur patriotisme y conduisait, ils s'y rendent encore par zèle, mais moins nombreux, moins exactement; et lorsque la séance se prolonge trop, appelés par leurs affaires domestiques, par les soins qu'ils doivent à leurs familles, souvent par des devoirs civiques, ils se retirent. On ne voit alors dans les sections que des hommes oisifs, sans état, inconnus, souvent étrangers à la section, quelquefois à Paris, même à la République, ignorans, grands motionneurs, guidés au moins par l'envie de faire du bruit, peut-être par la malveillance et les suggestions des puissances étrangères : de-là des arrêtés ridicules, incendiaires, que les sections s'empresseraient de désavouer si elles les connaissaient.

Pendant la discussion sur l'affaire de Louis, on vous dénonça un arrêté de section par lequel elle s'était déclarée en état d'insurrection. Elle observa que, par insurrection, elle entendait surveillance; cette explication parut vous satisfaire. A la même époque, il se forma un comité appelé aussi d'insurrection, ou comité révolutionnaire; et l'on assuré que ce comité existe encore. Un

comité révolutionnaire auprès de la Convention nationale! Mais quels sont donc ses pouvoirs? quelle résolution eut-il faire? le despotisme n'est plus, il veut donc détruire la liberté ; il n'y a plus de tyran, il veut donc renverser la représentation nationale?

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On nomme plusieurs membres de ce comité; Fournier, que vous avez fait mettre hier en état d'arrestation; Desfieux, connu à Bordeaux par ses escroqueries et ses banqueroutes; dans Paris, par son apologie du 2 septembre: aux Jacobins, par ses invitations continuelles au meurtre; un étranger appelé Lajouski, intrigant dans les bureaux et dans les clubs, commandant avec Fournier l'expédition des prisonniers d'Orléans, commandant en chef les brigands qui ont été briser les presses de la Chronique et de Gorsas, arrêté à Amiens dans le mois de janvier pour avoir voulu jeter le trouble dans la ville, et annonçant alors le pillage qui devait se faire à Paris dans le mois de février. Je déposerai sur le bureau le procès-verbal de son arrestation, son interrogatoire et les dépositions faites contre lui.

On sait que des ci-devant nobles, des prêtres, des satellites du despotisme, des agens de l'Angleterre, ont emprunté le masque du patriotisme pour s'introduire dans une société qui en fut toujours le foyer; que là ils s'efforcent de l'égarer par l'exagération de ses propres principes; qu'ils ont osé y ériger l'assassinat en vertu, et qu'ils ne cessent de la fatiguer par des motions aussi révoltantes pour l'humanité que dangereuses pour la patrie et funestes pour la liberté.

Depuis quelques jours surtout ils y criaient avec fureur que le seul reproche qu'on pût faire aux journées de septembre, c'était d'avoir été incomplètes; qu'il fallait purger la terre du conseil exécutif, des généraux, des brissotins, des girondins, des rolandins, de tous ceux, en un mot, qu'ils avaient inscrits sur leurs listes de proscription.

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Le 9 de ce mois, à la séance du soir, un de ces orateurs de Coblentz, surprenant la parole à la complaisance de la société, invite les citoyens des tribunes à se rendre le lendemain à celles

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