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peuple pour l'égarer? Qu'une partie de ses représentans, indignes de sa confiance, trahissajent avec scélératesse ses intérêts les plus sacrés. Si la dénonciation de Marat restait sans réponse, le peuple resterait trompé; il croirait avoir été mu par des patriotes indignés contre des mandataires infidèles, et non avoir été instigué par des ennemis de la liberté étrangers à tout autre sentiment qu'au sacrilege désir de la contre-révolution. Le prétexte qu'ils ont eu pour tenter une première conspiration déjouée, ils l'auraient encore tout entier pour en tenter une seconde, qui pourrait avoir plus de succès.

Citoyens, je ne justifie ni ne condamne les opinions de personne, mais je veux éclairer et la Convention, et Paris et les dé partemens. C'est ici, vous dit-on, qu'est la cause des mouvemens qui ont eu lieu, le foyer du complot qui vient d'échouer. Quelqu'un conçut-il jamais une absurdité plus révoltante? Que demandaient les attroupemens qui ont troublé la tranquillité pu- • blique? les têtes de Brissót, de Guadet, de Buzot, de Gensonné, et de quelques autres; et ce sont ces hommes, dont on demandait les têtes, que vous accusez d'avoir excité ces mouvemens. Ils les ont excités ces mouvemens dirigés contre eux seuls, ils les ont excités pour le plaisir de voir tomber leurs têtes! Cette inculpation n'est-elle pas le comble de la mauvaise foi ou de la folie?

Non, citoyens, ils n'ont point été les artisans des troubles. ceux d'entre vous dont on votait la mort. Les artisans de ces troubles sont les agens de Pitt, de Guillaume ou de François ; les artisans de ces troubles sont les valets des émigrés; les artisans de ces troubles sont les fuyards de la Savoie, de Mayence, de la Belgique, qui affluent dans Paris, où ils ne se sont jetés que pour conspirer; les artisans de ces troubles sont tous les coupables amis d'un régime détruit qu'ils pleurent, et qui ne vous pardonneront jamais l'abolition de la royauté, l'établissement de la République et le supplice du tyran.

J'appelle en témoignage ceux de mes collègues qui ont le mieux connu Paris, qui ont le plus suivi, le plus dirigé la révo

lution. L'un d'eux m'avouait hier au soir, au comité de surveillance, qu'il ne connaissait rien au mouvement dont Paris était agité; que les hommes qui le dirigeaïent, qui dominaient dans les sections, étaient des ètres que personne n'avait jamais vus. (Plusieurs voix. C'est vrai.) Ce n'était ni de quelques hommes, ni d'un côté qu'ils méditaient la perte, mais de la Convention tout entière; ce n'était pas d'un coupement de têtês qu'il s'agissait, mais d'une contre-révolution, du renversement de la République, du rétablissement de la royauté.

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Ici, citoyens mes collègues, les raisonnemens cessent, et les faits parlent. Dans ces rassemblemens nocturnes où retentissaient des cris de rage et des sentences de mort, où le fer étincelait déjà dans les mains des assassins de la patrie; dans ces rassemblemens, le dirai-je ? on à porté l'audace jusqu'au plus horrible blasphème : on a parlé d'un roi.

Etait-ce indiscrétion d'agens secondaires qui ont trop tôt dévoilé le but de leurs maîtres, ou moyen de sonder le peuple, pour voir s'il aurait la bassesse de redemander un tyran ou de le souffrir? Je ne sais; mais c'est ce mot qui a sauvé la Républi que, par l'horreur qu'il a inspiré. En l'entendant, le peuple a frémi; il a aperçu l'abîmê où l'on l'entraînait; il a vu qu'on voulait le replonger dans les fers qu'il vient de rompre; il s'est dispersé; les conspirateurs, restés seuls, ont fui soudain pour échapper et à la honte et à la peine du parricide qu'ils tramaient. S'ils ne s'étaient dévoilés trop tôt, c'en était fait de la liberté. Avezvous pu croire un instant qu'on n'en voulût qu'à ceux d'entre vous qui avaient voté pour l'appel au peuple? Dormiez-vous en paix dans cette erreur? Eh bien! ouvrez les yeux; sachez que nous n'aurions point échappé, ni vous, ni moi, qui avions voté la mort du tyran. Les rétablisseurs de la royauté auraient-ils épargné, dans leur fureur liberticide, ceux qui avaient prononcé le supplice du dernier des rois? Non, ce sont précisément vos têtes qu'ils auraient frappées. Encore un jour d'erreur, et vous n'existiez plus. Voyez la profondeur de l'abîme sur les bords duquel vous avez conduit la patric; en servant sans le savoir, par

des déclamations outrées contre vos collègues, les noirs projets des conspirateurs qui en voulaient également et à vous et à eux. Frémissez en pensant que vous fûtes l'instrument dont on se servait pour renverser la Convention nationale et la liberté. Peuple français, sache-le bien, c'est une contre-révolution qu'on a voulu faire; tel est le danger où tu as été. Cette vérité restant démontrée, j'en conclus que le président et le juge de paix de la section Poissonnière peuvent bien avoir été, sans le croire, des agens des contre-révolutionnaires, puisque des membres même de la Convention ont été joués dans le même sens. Ils ne sont pas crimine's s'ils n'ont été que dupes. Je demande qu'ils ne soient pas mis sur-le-champ en état d'arrestation, mais seulement renvoyés au comité de sûreté générale. Je demande encore avec Marat, qui a eu raison aujourd'hui, et qui a donné des preuves de bonne foi, qu'un des chefs de la conjuration, que Fournier, ce grand coupable, qui a voulu exciter une insurrection contre la liberté, et faire égorger le peuple par le peuple même; je demande, dis-je, que cet homme, responsable à la patrie du sang qu'il a voulu répandre, soit mis sur-le-champ en arrestation. On demande que la discussion soit fermée.

L'assemblée ferme la discussion.

Le président. Je rappelle les diverses propositions qui ont été faites. Le premier projet présenté est celui de Barrère; vous le connaissez tous. Bréard a demandé que les pétitionnaires fussent renvoyés au comité de sûreté générale; enfin on a demandé le décret d'accusation contre Fournier.

La priorité est accordée à la proposition de Bréard. Il est décrété que les pétitionnaires de la section Poissonnière sont renvoyés au comité de sûreté générale pour y être interrogés. Fournier sera en état d'arrestation, et les scellés seront apposés sur ses papiers.]

SÉANCE DU 13 MARS.

[Vergniaud. Je demande la parole.

Marat. C'est pour vous faire perdre le temps.

Vergniaud. Lorsque la conspiration des poudres eut été découverte à Londres, il ne put convenir qu'aux auteurs même de la conspiration de prétendre que c'était perdre le temps que de l'employer à en développer la trame.

Je demande à dénoncer des faits relatifs à la grande conjuration dont le hasard vous a fait découvrir hier le premier fil. J'adjure la Convention nationale de me permettre aussi quelques développemens sur les moyens employés par l'aristocratie, depuis plusieurs mois, pour nous conduire graduellement à notre perte. Sans cesse abreuve de calomnies, je me suis abstenu de la tribune tant que j'ai pensé que ma présence pourrait y exciter des passions, et que je ne pouvais y porter l'espérance d'être utile à mon pays. Mais aujourd'hui que nous sommes tous, je le crois du moins, réunis par le sentiment d'un danger devenu commun à tous; aujourd'hui que la Convention nationale entière se trouve sur les bords d'un abîme où la plus légère impulsion peut la précipiter à jamais avec la liberté ; aujourd'hui que les émissaires de Catilina ne se présentent pas seulement aux portes de Rome, mais qu'ils ont l'insolente audace de venir jusque dans cette enceinte déployer les signes de la contre-révolution, je ne puis plus garder un silence qui deviendrait une véritable trahison.

Bien résolu d'éviter des personnalités indignes de moi, et qui jetteraient le désordre dans l'assemblée, priant même tous les membres qui la composent de s'interdire des applications qui sont loin de ma pensée, je vais dire ce que je sais, ce que je crois vrai. Je le dirai sans crainte du peuple, car le peuple aimé la vérité. Je le dirai sans crainte des assassins; car les assassins sont lâches, et je sais défendre ma vie contre eux.

Telle est la nature du mouvement qui nous entraîne, que déjà,' depuis long-temps, il n'est plus possible de parler du respect pour les lois, pour l'humanité, pour la justice, pour les droits de l'homme, dont la conquête nous coûte cependant quatre années de combats, sans être qualifié au moins d'intrigant, et plus souvent encore d'aristocrate et de contre-révolutionnaire ; qu'au contraire, provoquer au meurtre, exciter au pillage; c'est un

*

moyen sûr d'obtenir des hommes qui se sont emparés du gouvernail de l'opinion les palmes du civisme et le titre glorieux de patriote: aussi le peuple est-il comme divisé en deux classes, dont l'une, délirante par l'excès d'exaltation auquel on l'a portée, travaillé chaque jour à sa propre ruine; et l'autre, frappée de stupeur, traîne une pénible existence dans les angoisses de terreurs qui ne connaissent plus de terme..

L'égarement est si profond qu'on se tromperait si l'on attribuait les pillages de février à une erreur, instantanée. Ils ont été le résultat d'une opinion fortement inculquée dans les ames, fortement exprimée dans les discours, que ces attentats à la propriété, ces actes de violence qui ont plongé plusieurs familles dans la misère étaient des actes patriotiques, et que ceux qui les blamaient n'étaient que les vils souteneurs de l'accapare

ment:

Cette funeste aberration de l'esprit public a été indirectement favorisée par des mesures prises par la Convention, mesures dont je n'entends point faire la censure: une indulgence politique a pu les faire adopter. Je veux parler des amnisties. Le jour où les meurtriers de Simoneau ont obtenu l'impunité, la résolution courageuse de mourir pour la loi a dû naturellement s'affaiblir dans le cœur des magistrats du peuple; l'audace qui la viole a dû au contraire s'accroître dans le cœur des scélérats.

Le jour où les auteurs des premiers troubles à raison des subsistances ont obtenu l'impunité, il s'est formé de nouveaux com→ plots pour troubler la République, sous le prétexte des subsis tancès: de là les pétitions insensées et les injures faites à vos propres commissaires.

· Ainsi, de crimes en amnisties, et d'amnisties en crimes, un grand nombre de citoyens en est venu au point de confondre les insurrections séditieuses avec la grande insurrection de la liberté, et de regarder les provocations des brigands comme les explosions d'ames énergiques, et le brigandage même comme des mesures de sûreté générale.

C'était un grand pas de fait pour les ennemis de la Républi

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