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égorger une partie de la Convention. (Un grand nombre de voix de toutes les parties de la salle : C'est vrai.)

Plusieurs membres. Le conseil-général de la Commune et San

terre.

Barrère. Il n'était pas dans mon intention d'oublier le commandant-général. La dernière mesure que je propose est fondée sur le droit naturel, droit qui n'a jamais été méconnu... même par le despotisme, c'est que tout homme accusé doit être entendu. Je demande donc, avant que vous preniez aucune détermination, que les deux citoyens qui sont à la barre donnent leurs moyens de défense. Vous avez vu l'indignation de ces braves militaires qui ont au milieu de vous déchiré le drapeau aristocratique qui leur avait été donné par la section. On m'assure qu'il en existe encore trois pareils dans la même section ; je demande qu'ils soient brûlés. Certes, il n'est pas étonnant de voir des hommes venir avec un tel drapeau dénoncer le vainqueur de Jemmapes et d'Argonne, cet homme à qui les Anglais voudraient ôter la vie, cet homme enfin qui a sauvé la République. Je sais bien que dans une République il faut que le roc Tarpéïen soit près du Capitole ; mais jusqu'à présent Dumourier n'est encore monté qu'au Capitole ; et quand des scélérats viennent dire que la roche Tarpeïenne est là, je leur répondrai que c'est pour eux. (De vifs applaudissemens s'élèvent et se prolongent dans toutes les parties de la salle.)

Lesage (d'Eure-et-Loire). Voici un arrêté de la section de Bon-Conseil, qui vous montrera jusqu'à quel point on peut égarer les sections.

10 mars 1793. L'assemblée genérale de la section de BonConseil arrête qu'il sera envoyé sur-le-champ une députation à la Convention nationale, pour lui demander que Brissot, Pétion, Buzot, Guadet, Vergniaud, Gensonné, Barbaroux, Gorsas, Clavière, Rebecqui, Lanjuinais, etc., soient mis en état d'arrestation et poursuivis par un tribunal révolutionnaire... »

C'était le tribunal extraordinaire que vous avez décrété. (Il s'élève de violens murmures dans la partie gauche de la salle .)

Duroi. Président, censurez Lesage pour avoir insulté la Convention.

Maure. Monsieur Lesage, vous jouez le rôle de Tartuffe.
Lesage fait d'inutiles efforts pour se faire entendre.

Un pétitionnaire. Citoyens, c'est moi qui avais l'honneur de présider la section lorsque vos commissaires s'y rendirent. D'après un avis du maire, j'avais convoqué les citoyens ; l'assemblée se trouva très-nombreuse. En attendant l'arrivée des commissaires, chacun proposa les réclamations qu'il croyait devoir être faites. Les esprits s'échauffèrent par ces motions et les récits dont on les appuyait. Comme président, on me fit tenir note de toutes les propositions, afin de les présenter à vos commissaires; mais dans ma réponse je n'ai fait aucune provocation au meurtre. J'ai dit que Roland, accusé de toute part, jouissait de la liberté, et que les citoyens de la section pensaient qu'il aurait dû porter sa tête sur l'échafaud ; j'ai ajouté aussi que l'on demandait que Beurnonville fût déclaré avoir perdu la confiance de la nation; j'ai dit que le décret du 10 décembre pour la Belgique devait être étendu à toute la République, et qu'aucun ci-devant privilégié ne devait occuper de places dans les administrations; j'ai demandé le rapport du décret désastreux qui a déclaré l'argent marchandise ; j'ai dit que depuis quatre ans le peuple était en butte à toutes les perfidies de la plupart de ses chefs; j'ai dit : Il faut que le peuple se lève encore une fois, et qu'il ne s'asseye plus que tous ses ennemis ne soient exterminés; j'ai dit enfin à vos commissaires que la section entière irait aux frontières, mais que, comme il y aurait des inconvéniens à abandonner l'intérieur aux contre-révolutionnaires, elle se bornerait à envoyer le plus grand nombre de ses membres, et que les autres resteraient ici pour défendre la Convention.

Quant au drapeau, je n'en avais pas vu la couleur ; cela est relatif au militaire; et moi je ne m'en mêle pas. Je ne sais pourquoi on a choisi une ancienne flamme de Saint-Lazare, nom que portait autrefois notre section, et qui est figuré par les lettres S. L. Que l'on demande à ma section des renseignemens

sur mon compte, je ne doute pas que tous les citoyens ne certifient que j'ai toujours été un des plus chauds patriotes. J'ai été membre de la municipalité du 10 août, et je suis encore nommé officier municipal dans celle qui se forme dans ce moment.

Plusieurs voix. Vous ne parlez pas du fait relatif à Dumou

rier.

Le pétitionnaire. Voici ce qu'il en est. Les revers qu'avait éprouvés l'armée de Valence avaient échauffé toutes les têtes; on les attribuait à la perfidie et aux trahisons des chefs; cela conduisit les citoyens à m'ordonner de demander le décret d'accusation contre Dumourier.

Aux voix le décret d'arrestation! continue-t-on de s'écrier dans une très-grande partie de la salle.

Marat. Je demande que la Convention m'accorde le plus profond silence; ce que j'ai à dire tient éminemment au salut public. On ne sait rien quand on ne déchire pas le voile. Il est possible que le président de la section Poissonnière et celui qui leur sert d'organe ne soient qu'égarés. Quant à moi, j'ai reçu une dénonciation dans laquelle on me dit qu'ils ne sont que des agens subal ternes, et que le foyer est dans le sein de la Convention. Oui, je dis que le foyer est dans le parti Roland, dans les hommes d'état de la Convention, qui veulent détruire la République. (Des rumeurs et des éclats de rire se font entendre dans une grande partie de l'assemblée.) Voici leur plan : dans le moment où ils ont vu que l'opinion publique se tournait contre eux, ils ont proposé une réconciliation qui n'était qu'une pantalonnade dont le premier acteur était Isnard. Vous avez sagement fait de décréter un tribunal révolutionnaire; il sera le boulevart de la liberté. Ils ont d'abord tenté de l'écarter, mais n'ayant pas réussi, ils ont voulu l'organiser à leur mode; mais leur complot a été encore déjoué. Ils ont voulu empêcher le recrutement des volontaires, ils ont tout fait pour arrêter le départ des commissaires. (Un grand nombre de voix à la droite de la tribune : Ce sont eux qui ne veulent pas partir.) Voici leur plan ; je le dévoile pour les livrer à l'indignation publique. Lorsque les commis

saires seront partis, ils se mettront en insurrection contre les patriotes. (Les rumeurs et les rires redoublent dans la partie droite...)

Marat, aux interrupteurs. Je vous rappelle à la pudeur.

On demande que la discussion soit fermée.

Plusieurs voix du côté droit. Nous demandons que Marat soit entendu.

Lasource. Je demande à faire une motion d'ordre après que Marat aura fini. Je réclame qu'il soit entendu jusqu'au bout, afin de ne pas laisser les choses dans l'état où elles sont, c'est-à-dire qu'on ne croie pas que le foyer de la contre-révolution est ici 'dans le sein de la Convention.

Marat. C'est parce que je vous dis la vérité que vous ne voulez pas m'entendre. Voici, vous disais je, le plan des hommes d'état. Quand les commissaires patriotes seront partis, on provoquera au-dehors des propos incendiaires contre les patriotes qui seront restés à la Convention; on appellera contre eux le meurtre. Je prie la Convention de prendre des mesures très-sévères pour arrêter leurs complots, pour leur ôter tout moyen, soit de dissoudre la Convention, soit de la transporter dans une ville aristocrate. Et moi, qui n'aime pas les hommes d'état, je déclare à la Convention que, plutôt de souffrir qu'il soit porté atteinte à leur sûreté, je leur ferai un rempart de mon corps, en même temps que je la défendrai contre leurs machinations. Revenant à ce qui concerne les pétitionnaires, je demande que le comité de surveillance examine leurs vie et mœurs, et qu'il recherche les provocateurs de la mesure indiscrète qu'on vous a proposée. Je sollicite en outre le décret d'accusation contre cet Américain, contre Fournier; c'est le chef de la bande, j'en suis convaincu, parce que je lui ai ouï dire dans la société des Cordeliers.

Lasource. C'est ainsi que les ennemis du bonheur public sont féconds en moyens perfides. La séance avait commencé par un état de choses qui devait tourner à l'instruction de la France et au profit de la liberté ; elle finit par un changement de scène qui 6

T. XXV.

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tourne à l'égarement du peuple et au profit des conspirateurs. Marat était convenu ce matin que les mouvemens qui ont eu lieu avaient leur cause immédiate dans un complot ténébreusement tramé contre la Convention nationale; il s'était élevé contre cette affreuse conjuration; et son opinion, j'ose le dire, n'était pas indifférente. Les conjurés l'ont senti. Ils n'ont pas voulu que le peuple restât convaincu qu'il existait un projet de contrerévolution qu'on lui faisait exécuter à lui-même, sans qu'il s'en doutât.

Marat est sorti; qu'a-t-on fait? Ne vois-tu pas, lui a-t-on dit, qu'on te joue et que tu es dupe? ne vois-tu pas que c'est le côté droit qui a ourdi cette trame? ne vois-tu pas que c'est dans le sein même de la Convention nationale qu'existe le foyer de la conspiration? C'a été assez pour une imagination habituée à ne voir que de sinistres fantômes: il est venu, dans le délire de cette imagination égarée, répéter ce qu'on lui avait dit; s'il est de bonne foi, il en conviendra. (Marat. Vous mentez.) Je mens si peu que je ne parle que d'après l'aveu de Marat. N'est-il pas convenu lui-même qu'on venait de lui faire la dénonciation qu'il portait à la tribune? Or, qu'était-ce avouer, sinon qu'il répétait ce qu'on venait de lui dire?

En suivant attentivement les hommes, on les connaît. Quiconque a fait cette étude conviendra d'une vérité qu'il faut que la Convention et la nation sachent une fois pour toutes. Marat n'est pas la tête qui conçoit, mais le bras qui exécute; il est l'instrument d'hommes perfides, qui, se jouant avec adresse de sa sombre crédulité, et mettant à profit son aptitude naturelle à voir tous les objets sous des couleurs funèbres, lui persuadent tout ce qu'ils veulent et lui font dire tout ce qu'il leur plaît. Une fois qu'ils ont monté sa tête, cet homme extravague et délire à leur gré. (Une voix. Parlez des choses, et non des hommes.) Des choses! eh bien, j'en vais parler.

Je dis que si la dénonciation de Marat restait jetée dans l'opinion sans que la fausseté en fût démontrée, elle laisserait aux conspirateurs toute la force de leurs moyens. Qu'ont-ils dit au

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