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frayés, refuseraient d'accepter aucune fonction publique; ils trembleraient à la vue de cinq personnes chargées de mettre en état d'accusation, chargées seules d'instruire la procédure et d'appliquer la peine. Les intrigans domineraient seuls, et, s'emparant peut-être de ce tribunal que vous aurez imprudemment formé, ils s'en serviraient pour écraser les amis de la liberté, et la patrie serait à jamais perdue. Je demande la question préalable sur le projet de Lindet.

Barrère. Il est impossible que des citoyens amis de la liberté veuillent imiter les plus affreux despotes dans leurs vengeances. (On murmure.) C'est par honneur pour vos lumières et votre Justice que je viens parler contre le projet qu'on propose; si c'eût été pour satisfaire aux sentimens de ma conscience, je me serais contenté de mon opinion particulière.

Je le répète, il est impossible que mes collègues, qui tous aiment la justice et la liberté, veuillent imiter les despotes dans leurs accès de rage, rappeler les chambres ardentes, les commissions du conseil et ce que l'histoire de notre pays nous présente à chaque époque sous le règne de ceux qui l'avaient plongé dans l'abîme le plus profond. (L'orateur se tourne vers l'extrémité gauche.) Je suis aussi ennemi que vous des conspirateurs. (Une voix. Cela n'est pas vrai.) Citoyens, je vous l'ai déjà dit, quand on ne veut pas de places, qu'on est sans ambition, qu'on méprise la vie, on'est plus fort que toutes les puissances. Je vous le dis, les jurés sont la propriété de tout homme libre.

Billaud-Varennes. Nous le voulons.

Barrère. Nous le voulons! c'est ainsi que parlaient les rois de l'ancien régime.

Billaud-Varennes. Comme Barrère n'a pas entendu ce que je voulais dire, je demande à expliquer mon opinion. Je pense, ainsi que Cambon, qu'un tribunal de neuf membres pourrait devenir redoutable, même aux amis de la liberté. Je demande, par article additionnel, que les jurés attachés au tribunal soient nommés, comme ceux du 17 août, par les sections. (Murmures.) Je n'ai pu entendre dire que toutes les sections de la République...

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Lidon. Je demande que la déclaration de Billaud soit inscrite au procès-verbal.

Barrère. J'avais donc raison d'annoncer que les amis de la liberté seraient bientôt réunis, que les députés de la République une et indivisible voudraient tous un tribunal composé d'hommes pris dans toute l'étendue de la République. Dès que nous sommes d'accord, je ne demande qu'à rappeler un mot, et c'est celui d'un philosophe qui n'a peut-être que trop bien décrit notre situation actuelle.

• Les Lacédémoniens, dit Salluste, ayant vaincu les Athéniens, les mirent sous le gouvernement de trente hommes. Ces hommes condamnèrent d'abord à mort, sans formalités judiciaires, les plus grands scélérats qui étaient en horreur à tout le monde, et dont les crimes étaient publics et non contestés; le peuple applaudit à leur supplice. Cette puissance s'accrut ensuite, et bientôt ils frappèrent arbitrairement les bons et les méchans, de sorte que la République, accablée sous le joug, fut punie de leur avoir donné sa confiance. De nos jours, lorsque Sylla fut victorieux, il fit égorger un nombre considérable de citoyens qui s'étaient elevés par leurs crimes et par le mal qu'ils avaient fait à la République. - Qui n'applaudit pas encore?-On disait hautement que les criminels avaient bien mérité leur supplice; mais il fut le signe d'un carnage affreux. Dès qu'un homme enviait une maison ou quelque terre, il faisait tant qu'on en mettait le possesseur au nombre des proscrits. »

Je reviens à l'objet de la discussion, et je demande, puisqu'il est convenu qu'il y aura des jurés, que ces jurés soient pris dans toutes les sections de la République; qu'on ajourne à demain.

Philippeaux. On a parlé d'une manière générale et vague contre le projet de Lindet; je demande à démontrer que, si vous ne voulez pas rapporter le décret d'hier, vous devez adopter ce plan. Je dis qu'il ne faut pas de jurés dans ce tribunal extraordinaire, précisément pour que nous puissions conserver cette belle institution.

Fonfrède. Nous avons fait la révolution pour avoir des jurés; c'est faire la contre-révolution que de les anéantir.

Thureau. Je demande que les jurés soient nommés par la Convention nationale, et que provisoirement ils soient pris à Paris. Fonfrède. Les délits que le tribunal aura à punir auront pu être commis dans les départemens, dans les armées. Je demande, au nom des citoyens de mon département, qu'ils puissent concourir à la nomination des jurés.

Garreau. Pour qu'il n'y ait point de délai, je demande que la Convention nationale, qui représente la France, nomme ellemême ses jurés.

La Convention décrète, à une très-grande majorité, qu'il y aura des jurés, que les jurés seront nommés par elle et pris dans tous les départemens. La séance se lève.

Danton, s'élançant à la tribune. Je somme tous les bons citoyens de ne pas quitter leur poste. (Tous les membres se remettent en place; un calme profond règne dans toute l'assemblée,) Quoi, citoyens! au moment où notre position est telle que, si Miranda était battu, et cela n'est pas impossible, Dumourier, enveloppé, serait obligé de mettre bas les armes, vous pourriez vous séparer sans prendre les grandes mesures qu'exige le salut de la chose publique? Je sens à quel point il est important de prendre des mesures judiciaires qui punissent les contrerévolutionnaires, car c'est pour eux que ce tribunal est nécessaire; c'est pour eux que ce tribunal doit suppléer au tribunal suprême de la vengeance du peuple. Les ennemis de la liberté levent un front audacieux; partout confondus, ils sont partout provocateurs. En voyant le citoyen honnête occupé dans ses foyers, l'artisan occupé dans ses ateliers, ils ont la stupidité de se croire en majorité : eh bien! arrachez-les vous-mêmes à la vengeance populaire, l'humanité vous l'ordonne.

Rien n'est plus difficile que de définir un crime politique. Mais si un homme du peuple, pour un crime particulier, en reçoit à l'instant le châtiment; s'il est si difficile d'atteindre un crime politique, n'est-il pas nécessaire que des lois extraordinaires, pri

ses hors du corps social, épouvantent les rebelles et atteignent les coupables? Ici le salut du peuple exige de grands moyens et des mesures terribles. Je ne vois pas de milieu entre les formes ordinaires et un tribunal révolutionnaire. L'histoire atteste cette vérité, et, puisqu'on a osé dans cette assemblée rappeler ces journées sanglantes sur lesquelles tout bon citoyen a gémi, je dirai, moi, que, si un tribunal eût alors existé, le peuple', auquel on a si souvent, si cruellement reproché ces journées, le peuple ne les aurait pas ensanglantées ; je dirai, et j'aurai l'assentiment de tous ceux qui ont été les témoins de ces événemens, que nulle puissance humaine n'était dans le cas d'arrêter le débordement de la vengeance nationale. Profitons des fautes de nos prédécesseurs; faisons ce que n'a pas fait l'assemblée législative : soyons terribles pour dispenser le peuple de l'être; organisons un tribunal, non pas bien, cela est impossible, mais le moins mal qu'il se pourra, afin que le glaive de la loi pèse sur la tête de tous ses ennemis.

Ce grand œuvre terminé, je vous rappelle aux armes, aux commissaires que vous devez faire partir, au ministère que vous devez organiser; car nous ne pouvons nous le dissimuler, il nous faut des ministres ; et celui de la marine, par exemple, dans un pays où tout peut être créé, parce que tous les élémens s'y trouvent avec toutes les qualités d'un bon citoyen, n'a pas créé de marine; nos frégates ne sont pas sorties, et l'Angleterre enlève nos corsaires. Eh bien! le moment en est arrivé, soyons prodigues d'hommes et d'argent; déployons tous les moyens de la puissance nationale, mais ne mettons la direction de ces moyens qu'entre les mains d'hommes dont le contact nécessaire et habituel avec vous vous assure l'ensemble et l'exécution des mesures que vous avez combinées pour le salut public. Vous n'êtes pas un corps constitué, car vous pouvez tout constituer vous-mêmes. Prenez-y garde, citoyens, vous répondez au peuple de nos armées, de son sang, de ses assignats; car si ses défaites atténuaient tellement la valeur de cette monnaie que les moyens d'existence fussent anéantis dans ses mains, qui pour

rait arrêter les effets de son ressentiment et de sa vengeance? Si, dès le moment que je vous l'ai demandé, vous eussiez fait le développement de forces nécessaires, aujourd'hui l'ennemi serait déjà repoussé loin de vos frontières.

Je demande donc que le tribunal révolutionnaire soit organisé, seance tenante; que le pouvoir exécutif, dans la nouvelle organisation, reçoive les moyens d'action et d'énergie qui lui sont nécessaires. Je ne demande pas que rien soit désorganisé, je ne propose que des moyens d'amélioration.....

Je demande que la Convention juge mes raisonnemens et méprise les qualifications injurieuses et flétrissantes qu'on ose me donner. Je demande qu'aussitôt que les mesures de sûreté générale seront prises, vos commissaires partent à l'instant; qu'on ne reproduise plus l'objection qu'ils siégent dans tel ou tel côté de cette salle. Qu'ils se répandent dans les départemens, qu'ils y échauffent les citoyens, qu'ils y raniment l'amour de la liberté, et que s'ils ont regret de ne pas participer à des décrets utiles, ou de ne pouvoir s'opposer à des décrets mauvais, ils se souviennent que leur absence a été le salut de la patrie.

Je me résume donc : ce soir, organisation du tribunal, organisation du pouvoir exécutif; demain, mouvement militaire; que demain vos commissaires soient partis ; que la France entière se lève, coure aux armes, marche à l'ennemi; que la Hollande soit envahie; que la Belgique soit libre; que le commerce d'Angleterre soit ruiné; que les amis de la liberté triomphent de cette contrée; que nos armes, partout victorieuses, apportent aux peuples la délivrance et le bonheur, et que le monde soit vengé.]

-Danton descend de la tribune couvert des plus vifs applaudissemens; l'assemblée ajourne ces différentes propositions. La séance est suspendue ; il est sept heures.

Du dimanche 10, à neuf heures du soir.

[Le maire et le commandant-général Santerre sont introduits à la barre.

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