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HISTOIRE PARLEMENTAIRE

DE LA

RÉVOLUTION

FRANÇAISE,

OU

JOURNAL DES ASSEMBLÉES NATIONALES,

DEPUIS 1789 Jusqu'en 1815,

CONTENANT

La Narration des événemens; les Débats des Assemblées; les Discussions des principales Sociétés populaires, et particulièrement de la Société des Jacobins; les Procès-Verbaux de la Commune de Paris; les Séances du Tribunal révolutionnaire; le Compte-Rendu des principaux procès politiques; le Détail des budgets annuels; le Tableau du mouvement moral, extrait des journaux de chaque époque, etc.; précédée d'une Introduction sur l'histoire de France jusqu'à la convocation des Etats-Généraux ;

PAR P.-J.-B. BUCHEZ ET P.-G. ROUX.

TOME VINGT-SIXIÈME.

PARIS.

PAULIN, LIBRAIRE,

RUE DE SEINE-SAINT-GERMAIN, N° 53.

M. DCCC. XXXVI

PRÉFACE.

Le moment où les Girondins vont être renversés nous a paru convenable pour examiner, un peu en détail, leurs idées constitutionnelles. La préface du précédent volume est l'appréciation morale de ce parti considéré comme pouvoir révolutionnaire: ici, nous allons essayer de le caractériser par l'exposé critique des formules qu'il a émises comme pouvoir organisateur.

Le projet de constitution rédigé par Condorcet, Gensonné, Barrère, Thomas Payne, Pétion, Vergniaud, Syeyes et Barbaroux, fut présenté à la Convention, le 15 février 1795. Mis à la discussion, le 17 avril suivant, il occupa de loin en loin l'assemblée, jusqu'au 27 mai, époque où il fut abandonné pour ne plus être repris.

Ceux qui veulent connaître les bases philosophiques de la constitution girondine, doivent les chercher dans le rapport de Condorcet. Là, en effet, sont commentés et expliqués les principes généraux dont la déclaration des droits est le développement, et que la loi constitutionnelle traduit en règles pratiques. Ce travail nous servira de guide pour arriver à la détermination précise de ce que les Girondins entendaient par les mots droit, liberté, égalité, souveraineté du peuple, unité, indivisibilité, nation. Nous puiserons également dans les discours des

orateurs qui en admirent les données, et dont les paroles ajoutèrent une vigueur et une clarté nouvelles à celles du rapporteur du comité de constitution.

L'individualisme absolu est la seule réalité qui soutienne les abstractions que nous nous proposons d'éclaircir. Tout part de l'individu et aboutit à l'individu, dans le système girondin. Les divers modes de l'existence personnelle de l'homme y sont indiqués comme les sources essentielles du droit, et les rapports sociaux qu'elles engendrent, comme l'instrumentalité à l'aide de laquelle le droit est exercé.

L'analyse exacte de cette conception se réduit à deux termes et au rapport qui les unit. Les deux termes sont les deux aspects qui comprennent toute la manifestation de nos facultés naturelles, le besoin et la satisfaction; le rapport qui les unit est un moyen placé entre le besoin de nos facultés, qui en est le principe, et leur satisfaction, qui en est le but. Or ce moyen tire sa force et son efficacité de la forme sociale: d'où il résulte que la société humaine peut être définie l'instrument des appétits individuels.

Et voilà justement ce qui sert à distinguer les théories fédéralistes de celles qui ne le sont pas. Les premières s'accordent toutes en ce point, savoir, que la société est un mécanisme; les autres s'accordent aussi en ce point, savoir, que la société est à la fois un principe, un mécanisme et un but. Le lien fédéral est, en effet, une convention par laquelle des individus s'obligent librement et volontairement à user de la forme sociale pour leur meilleure conservation réciproque. Un tel lien ne les attache qu'à eux-mêmes; car il a pour premier anneau leur besoin, et pour dernier leur satisfaction; car les chainons communs sont des termes de passage, où les individus qui vont de leur besoin à leur satisfaction ne doivent, ni ne peuvent jamais s'arrêter. Le lien social, au contraire, n'est pas une convention, mais une obligation. Fondé sur un devoir commun, il a pour premier anneau, l'enseignement; pour chaînons intermédiaires, les moyens; pour dernier anneau, l'accomplissement de ce devoir. Ie lien social, proprement dit, unit donc les hommes dans un principe, dans un moyen et dans un but placés en dehors d'eux-mêmes; toute société digne de ce nom n'est donc pas seulement un mécanisme commun à des individus; elle est de plus un principe et un but dont la communauté constitue l'essence de l'unité sociale. Nous en avons assez dit là-dessus dans nos précédentes préfaces; nous avons assez souvent et assez explicitement développé notre théorie du

devoir, de l'unité humaine, du pouvoir, de la nationalité, etc., pour qu'il ne soit pas nécessaire de reprendre ici chacun de ces termes géné raux. En conséquence, prenant appui sur les exposés dogmatiques que nous avons faits ailleurs, nous nous bornerons à critiquer la doctrine des Girondins, et à démontrer qu'elle est conforme à nos assertions.

Dans le langage des Girondins, l'unité et l'indivisibi ité de la République française signifiaient l'unité de gouvernement; l'unité nationale était pour eux l'unité de territoire. Discutant la forme de la monarchie héréditaire, Condorcet dit dans son rapport;

« L'unité, l'activité, la force du gouvernement ne sont pas des attri>> buts exclusivement attachés à ces institutions dangereuses: c'est dans la volonté ferme du peuple d'obéir à la loi que doit résider la force » d'une autori é légitime : l'unité, l'activité, peuvent être le fruit d'une organisation des pouvoirs simple et sagement combinée........ Depris » une entiè e unité, comme elle existe en Angleterre, où cette unité » n'est interrompue que par les divisions de territoire nécessaires à » l'exercice régulier des pouvoirs, jusqu'à la confédération helvétique, où des républiques indépendantes ne sont unies que par des traités » uniquement destinés à leur assurer l'avantage d'une défense mutuelle, >> on peut imaginer une foule de constitutions diverses, qui, placées » entre ces deux extrêmes, se rapprocheraient davantage ou de l'unité » absolue, ou d'une simple fédération. »

Le passage que nous venons de transcrire montre, jusqu'à l'évidence, que l'unité, selon les Girondins, n'était autre chose que l'unité de gouvernement. Condorcet la définit, une organisation des pouvoirs simple et sagement combinée. Si les idées ne menaient pas l'esprit indépendamment des mots dont il se sert pour les exprimer, nous ne comprendrions pas comment Condorcet a pu échapper à la logique de ceux qu'il emploie. En déclarant, en effet, qu'il y a plusieurs degrés d'unité, et en arrivant à la moindre de toutes, qu'il appelle une simple fédération, il nomme et définit ce degré par son but, qui est le moyen d'une défense mutuelle. Or si la défense mutuelle', spéculée par les traités des républiques helvétiques, institue entre elles un lien fédéral, c'est apparemment parce qu'une société pour la défense mutuelle est une simple fédération. Le plus ou le moins ne changent rien à l'essence d'une telle société. Ainsi, qu'elle s'arrête à la défense mutuelle envers les nations étrangères, comme dans les républiques helvétiques, ou qu'elle comprenne la défense des gouvernés contre les gouvernans, et

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