Images de page
PDF
ePub

pour traiter cette question : plusieurs membres, nos collègues, sont absens. Voulez-vous saisir cet à-propos pour entamer une partie de l'Assemblée, tandis que cette même partie a eu le courage de vous quitter pour aller échauffer l'esprit public dans les départemens, et diriger de nouvelles forces contre les ennemis? Si Marat est coupable, Marat n'a pas l'intention de vous échapper. Marat. Non.

Danton. Tous les griefs qu'on croit pouvoir lui reprocher ne seront point affaiblis par ce renvoi à un comité. Je demande que mes propositions soient mises aux voix.

Boyer-Fonfrède. C'est aussi la voix du peuple que j'invoque, non pour faire de cette voix redoutable un moyen de terreur, et pour vous arracher par l'épouvante, à laquelle je sais que vos ames sont inaccessibles, un décret favorable à mes vœux; c'est aussi la voix du peuple que j'invoque, non pas seulement celle de ce petit nombre d'hommes qui m'entourent, mais celle de tous les citoyens français; et sans doute vous croyez que nos frères des départemens sont aussi le peuple; si ma voix pouvait, de cette tribune, se faire entendre à eux tous, ils s'écrieraient d'une voix unanime que je ne trahis ni leurs vœux, ni leurs espérances, lorsque je viens appeler sur Marat votre justice et votre sévérité.

C'est à la bonne foi, à la conscience de chacun de vous..... (quelques murmures,) c'est surtout à la conscience de celui qui vient de m'interrompre que je m'adresse. Cet homme est-il en vénération ou en horreur dans les départemens? Son nom est-il béni ou exécré par vos commettans? Ses écrits sont-ils voués à l'impression ou aux flammes? Est-il un d'entre nous auquel l'existence de cet homme dans la Convention n'ait été reprochée? Vos concitoyens ne vous ont-ils pas cent fois conjurés de bannir du sénat ce génie malfaisant, cet artisan de crimes, de calomnies, de troubles, de discordes et de haines? (Un grand nombre de membres, en se levant : Oui, c'est vrai.) C'est donc la voix du peuple qui réprouve Marat, qui s'indigne de le voir au nombre de ses représentans. Interrogez vos commissaires dans les dépar

temens; ceux-là ne sont pas des modérés; quel est celui d'entre eux qui s'est osé vanter de ses liaisons avec cet homme? Quel est celui qui n'a pas désavoué sa doctrine de sang? Comment se faitil donc que cet homme que toute la France accuse, que personne n'avoue, et dont tout le monde rougit, trouve même ici des défenseurs? Il n'en trouve pas dans nos départemens; et peut-être serez-vous surpris-lorsque vous saurez que quelques-uns de vos commissaires, auxquels le préopinant fait l'injure de croire qu'ils défendraient Marat, pressés par l'opinion publique, ont pris dans des sociétés républicaines l'engagement de demander, à leur retour, le décret d'accusation auquel vous vous opposez aujourd'hui.

Gamon. J'atteste que Glaizal l'a promis dans le département de l'Ardèche.

Marat. Je m'en fais honneur et gloire.

Fonfrède. Après avoir posé en fait cette vérité, que la voix du peuple français proscrit Marat, je vais suivre Danton dans quelques-uns de ses raisonnemens : et d'abord pourquoi donc a-t-il détourné votre attention sur d'Orléans? Est-ce parce qu'il faut bien parler de tous les complices à la fois? Est-ce parce que les deux mortels les plus vils doivent être accusés ensemble? Le premier est parti, mais il n'a pas emporté tous les poisons et tous les poignards. Et lorsque nous proposâmes de l'arrêter, on n'ob serva point que cent membres étaient en commission dans les départemens; d'Orléans était pourtant assis du même côté, sur le même banc que Marat; mais sa complicité avec les rebelles nous parut évidente et nous le bannîmes à l'unanimité; citoyens, nous ne demandâines pas un rapport!

Danton demande un rapport; mais un rapport est inutile là où l'évidence est acquise. Ah! renoncez à faire des lois si vous tolérez vous-mêmes leur inexécution. N'avez-vous pas porté des lois contre les provocateurs au pillage? Eh bien! Marat l'a provoqué. N'avez-vous pas porté des lois contre les provocateurs au meur-, tre? Eh bien! Marat les provoque sans cesse.

Marat. Oui, contre les royalistes.

T. XXV.

28

Fonfrède. N'avez-vous pas porté la peine de mort contre quiconque demanderait le rétablissement du pouvoir arbitraire? Eh bien! Marat a formellement demandé la dictature. N'avez-vous pas porté la peine de mort contre quiconque demanderait la dissolution de la Convention? Eh bien! Marat la demande chaque jour. Nous sommes ainsi juges et parties, nous dit Danton; et n'est-ce pas à nous à conserver le dépôt précieux de la représentation nationale? C'est la France entière qui accuse Marat; nous ne sommes que ses juges. (Applaudissemens.)

C'est vous qui m'interrompez ; vous qui chaque jour, en tous lieux, ici même, applaudissez avec fureur ces adresses insolentes où des hommes égarés et payés demandent l'expulsion de trois cents membres de cette assemblée. Ah! si vous en aviez le pouvoir, vous n'objecteriez pas que vous êtes juges et parties, vous les banniriez; et c'est lorsque la République en péril vous conjure de bannir vos divisions avec cet homme qui désigne ici même les victimes de sa rage, cet homme qui attise sans cesse au milieu de vous les flambeaux de la discorde; c'est alors, c'est pour lui seul que vous vous prétendez inhabiles à prononcer. (On applaudit dans une grande partie de la salle.)

Citoyens, j'ai rempli mon devoir; je n'ai pas eu la lâcheté de trahir le vœu de mes commettans; je veux retourner paisible au milieu d'eux; je veux n'avoir point à rougir du compte que j'aurai à leur rendre ; je veux conserver ma propriété la plus chère, l'estime de moi-même. Je demande donc le décret d'accusation contre Marat.

Une grande partie de l'assemblée se lève, et demande à aller aux voix.

-

L'assemblée ferme la discussion. Plusieurs membres demandent la parole pour des questions de priorité entre les différentes propositions faites.

Marat. L'écrit qui vous a été dénoncé est signé de moi : j'ai été pendant sept à huit minutes président de la societé des Jacobins. On m'a présenté un écrit que je n'ai point lu, portant la signature des secrétaires, et sans savoir ce qu'il contenait.....

(Quelques ris s'élèvent.) C'est un délibéré de la société, auquel, suivant l'usage, je n'ai mis ma signature que pour attester qu'il était émané de la société. Quant aux principes qu'il contient, si ce sont ceux que j'ai entendu énoncer par Guadet, lorsque j'ai dit c'est vrai, je les avoue.

De quoi s'agit-il maintenant? Je suis accusé par des hommes dont je me suis porté l'accusateur. Ils demandent un décret d'accusation contre moi; par la même raison j'en demande un contre eux. Fort de mon innocence, de la pureté de mon civisme, je ne récuse pas même ceux qui sont mes ennemis connus. Articulez les griefs que vous avez contre moi; ceux que j'articule contre vous sont contenus dans mes écrits: le public jugera. Quant à mes actions, je défie mon plus mortel ennemi de dire que mon nom ait été jamais compromis avec ceux des ennemis de la patrie, que je me sois jamais trouvé avec les conspirateurs et dans leur conciliabule nocturne. Ma correspondance a été entre les mains de mes ennemis; jamais ils n'y ont trouvé un mot qui pût me compromettre. J'ai reçu des lettres anonymes : c'était des piéges que l'on me tendait. J'ai eu la prudence, la sagesse et le civisme de les porter au comité de sûreté générale ; j'en atteste les membres. Mais non, ce qui les acharne contre moi c'est mon extrême surveillance, c'est ma prévoyance, mon courage à les dénoncer. Ils veulent m'égorger pour se débarrasser d'un surveillant incommode. Eh bien! je les attends à cette tribune.

Vous prétendez que j'ai voulu dissoudre la Convention nationale; j'ai au contraire tout fait pour l'empêcher; mais vous ne prétendez pas, sous le vain prétexte de sa conservation, assurer un brevet d'impunité aux conspirateurs; car s'il y en a dans la Convention il faut qu'ils soient connus, jugés authentiquement, et que leur tête tombe. Personne n'a plus gémi que moi sur les scènes scandaleuses qui ont agité cette assemblée; personne plus que moi n'a voulu ramener les membres au sentiment de leur devoir.

Je déclare, au reste, que si j'étais dans l'assemblée une pierre d'achoppement, et que je fusse persuadé que le salut public ne

pût s'opérer que par ma retraite, je donnerais sur-le-champ ma démission; et si je savais être l'occasion d'un mouvement, je m'enterrerais aujourd'hui. Mais c'est un coup de la faction que je dénoncerai sans cesse; Dumourier lui-même leur a délivré un certificat d'opprobre, en les avouant pour ses complices contre les patriotes de la montagne. (Applaudissemens dans une extrémité de la salle et dans les tribunes.) Et je déclare que je ne regarde point comme tels les hommes qui sont menés et aveuglés par les chefs d'une faction qui a été dénommée la faction des hommes d'état je sais qu'ils sont purs, quoique égarés. Si vous ne voulez pas donner à la nation entière, devant laquelle les scènes scandaleuses qui ont eu lieu hier et aujourd'hui seront présentées, la certitude que le complot a pour but de soustraire des coupables au glaive de la loi, je demande que vous ne vous opposiez pas aux propositions que j'ai faites de livrer au tribunal révolutionnaire Philippe Égalité, que la tête des Capets émigrés soit mise à prix; ne profitez pas du moment où les patriotes sont absens pour attaquer la montagne. Je compte assez sur votre justice, pour vous prendré vous-mêmes pour juges pro

noncez.

Plusieurs voix : La priorité pour le renvoi au comité.

Cette priorité est refusée.

Quelques membres demandent à aller aux voix sur le décret d'accusation par appel nominal. (Oui, oui, s'écrie-t-on de presque toutes les parties de la salle.)

Marat. Ce n'est plus pour moi, c'est pour la Convention que je demande à parler.

Lacroix. Je demande que Marat soit mis sur-le-champ en état d'arrestation, et que le comité soit chargé de faire un rapport demain sur le décret d'accusation.

Maral. Je dois parler pour éviter de grands mouvemens.

Le président. Marat, vous faites injure aux habitans de Paris. Lacaze. S'il y a du mouvement c'est une preuve que Marat est bien dangereux.

Marat. Si c'est un parti pris par mes ennemis, que j'ai le droit

« PrécédentContinuer »