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Le secret ne sert qu'à augmenter les alarmes; il faut donc tout publier si nous voulons empêcher les terreurs paniques des hommes faibles et les terreurs scélérates de ces ames de boue et de sang qui ne cherchent que des prétextes de troubles. Oui, il est à Paris de ces hommes qui ne demandent pas mieux que d'alarmer les citoyens, pour se livrer ensuite au pillage, à l'assassinat ; il faut leur ôter tout prétexte. Une assemblée qui est publique par essence devrait délibérer sur la guerre au milieu de la place publiqué. Vous avez changé la diplomatie de l'Europe; vos armées ne connaissent plus d'autre tactique que celle d'hommes qui, voulant la liberté ou la mort, se précipitent sur les esclaves.

Je sais bien qu'il existe dans le conseil exécutif un secret näturel pour les mesures d'exécution, pour les plans de campagne; máis, quand on annonce des dangers à la Convention nationale, elle devrait désirer que la nation entière se trouvât dans cette enceinte, parce que nous la verrions se précipiter tout entière vers les points menacés pour repousser les despotes.]

L'assemblée décide que Lacroix fera à l'instant son rapport. Il monte à la tribune et rend compte que nos troupes, dispersées près d'Aix-la-Chapelle sur une ligne très-étendue, n'ont pu faire de résistance nulle part; que l'ennemi s'est glissé entre les corps, et que ceux-ci n'ont pu se rallier qu'en abandonnant une partie de leurs équipages.

[Maximilien Robespierre. Vous venez d'entendre de la bouche d'un de vos commissaires le récit du revers qu'a éprouvé l'une de vos armées dans la Belgique.

Citoyens, quelque critiques que paraissent les nouvelles circonstances dans lesquelles se trouve la République, je n'y puis voir qu'un nouveau gage de succès pour la liberté. Pour un peuple libre et naissant à la liberté, le moment d'un échec est celui qui présage un triomphe éclatant, et les avantages passagers des sátellités du despotisme sont les avant-coureurs de la destruction des tyrans. Nous nous sommes trouvés dans des circonstances bien autrement difficiles, et nous sommes sortis victorieux du fond de l'abîme. Rappelez-vous l'époque glorieuse du 10 août, vos défai

tes du mois de septembre: alors vous n'aviez point d'armée ; des généraux perfides, nommés par la cour et d'intelligence avec nos ennemis, avaient livré nos places sans défense; nos soldats, nus, mal approvisionnés, étaient disséminés sans ordre sur une frontière immense.

La nation osait à peine porter ses regards soit sur les chefs militaires, soit sur les autorités civiles; elle ne savait où reposer sa confiance. Nous étions entourés de trahisons ou de perfidies. Qu'a fait la liberté dans son explosion? Elle s'est dégagée de toute entrave; tous les dangers ont disparu à sa voix; et nous ne sommes sortis de cet état que pour répandre l'épouvante dans l'Europe entière. Le plus célèbre des généraux du despotisme, celui dont le nom seul semblait un signal de destruction, a fui devant un général à peine connu dans l'Europe. Le peuple de Paris, le peuple des départemens a foudroyé de son courage invincible les satellites des tyrans. Le moment où le territoire français a été évacué a suivi de peu de jours la reddition de Verdun. Plusieurs départemens étaient envahis par des armées nombreuses et formidables : nous avons paru, et déjà elles n'étaient plus. Pourquoi tentent-elles aujourd'hui de nouvelles attaques? Pourquoi n'avez-vous gardé qu'un instant l'espoir de les voir, avec leur prince et la monarchie prussienne, ensevelies dans les plaines de la Lorraine et de la Champagne? Graces à leurs heureuses destinées, elles existent encore; mais le peuple qui les a repoussées existe; mais le génie de la liberté, qui a précipité leur fuite, est impérissable et nous garantit leur ruine prochaine; bientôt elles seront relancées dans les repaires du despotisme.

Nos ressources sont immenses. Nous avons éprouvé un échec malheureux; mais à peine est-il capable de retarder d'un instant la prospérité publique qui croîtra avec nos victoires, la liberté et l'égalité que nous porterons aux peuples étrangers, le bonheur et la protection que nous devons aux peuples alliés; la cause même de ces échecs est pour nous le gage qu'ils n'auront aucunes suites funestes.

Il nous reste à purger nos armées d'un esprit aristocratique

qui s'est réfugié dans les états-majors, de quelques traîtres qui seront écrasés comme des insectes par une grande nation destinée à punir tous les tyrans du monde.

La Convention nationale peut hâter cette heureuse révolution. Il lui suffit de dégager le peuple français des entraves dont il est environné, de s'élever elle-même à la hauteur du caractère divin dont elle est revêtue; car c'est bien une mission divine que celle de créer la liberté, de diriger son impulsion toute-puissante vers la chute de la tyrannie et la prospérité des peuples. Il lui suffira de tenir sans cesse le glaive de la loi levé sur la tête des conspirateurs puissans, des généraux perfides, de fouler aux pieds tout esprit de parti et d'intrigue, et de ne prendre pour guide que les grands principes de la liberté et du bien public, de balayer tous les traîtres, de tendre des mains protectrices aux amis de la liberté, au peuple, qui a fait la révolution, et dont la prospérité ne peut être assise que sur les bases de l'égalité.

La nation entière secondera votre zèle, ou plutôt elle l'aura devancé; car je ne doute pas qu'un seul cri, celui de venger la liberté, ne retentisse d'un bout à l'autre de la République ; que l'aristocratie ne soit écrasée, et que les patriotes, les amis fervens et sincères de la liberté, ne relèvent bientôt une tête altière et triomphante.

Je demande que la proposition de Lacroix soit mise aux voix, et que le rapport du comité de défense générale soit fait demain. Lacroix. Voici mes propositions :

ART. 1. A compter de ce jour, tous les congés accordés aux militaires de tout grade sont révoqués. Les officiers seront tenus de rejoindre leur poste dans huitaine, sous peine de destitution de leur emploi ; et les sous-officiers, volontaires nationaux et soldats rejoindront leurs bataillons et régimens dans le plus court délai, à raison de sept lieues par jour.

> 2. Le ministre de la guerre fera parvenir à la Convention nationale l'état des officiers de l'armée qui ont obtenu des congés, des motifs pour lesquels ces congés leur ont été accordés ; il donnera également l'état de tous les officiers qui se sont absentés

sans congé, et qui n'étaient pas à leur poste le jour où l'avant-garde de l'armée de Belgique fut attaquée. ›

Le projet est adopté et étendu à tous les membres de la Convention qui sont absens par congé.

Danton. Nous avons plusieurs fois fait l'expérience que tel est le caractère français, qu'il lui faut des dangers pour trouver toute son énergie: eh bien! ce moment est arrivé. Qui, il faut dire à la France entière: Si vous ne volez pas au secours de vos frères de la Belgique, si Dumourier est enveloppé en Hollande, si son armée était obligée de mettre bas les armes, qui peut calculer les malheurs incalculables d'un pareil événement? La fortune publique anéantieet la mort de six cent mille Français pourraient en être les suites.

Citoyens, vous n'avez pas une minute à perdre; je ne vous propose pas en ce moment des mesures générales pour les départemens; votre comité de défense vous fera demain son rapport. Mais nous ne devons pas attendre notre salut uniquement de la loi sur le recrutement: son exécution sera nécessairement lente, et des résultats tardifs ne sont pas ceux qui conviennent à l'imminence du danger qui nous menace. Il faut que Paris, cette cité célèbre et tant calomniée; il faut que cette cité, qu'on aurait voulu renverser pour servir nos ennemis, qui redoutent son brûlant civisme, contribue par son exemple à sauver la patrie. Je dis que cette ville est encore appelée à donner à la France l'impulsion qui, l'année dernière, a enfanté nos triomphes. Comment se fait-il que vous n'ayez pas senti que, s'il est bon de faire les lois avec maturité, on ne fait bien la guerre qu'avec enthousiasme? Toutes les mesures dilatoires, tout moyen tardif de recruter, détruit cet enthousiasme, et reste souvent sans succès. Vous voyez déjà quels en sont les misérables effets.

Tous les Français veulent être libres; ils se sont constitués en gardes nationales. Aux termes de leurs sermens, ils doivent tous marcher quand la patrie réclame leurs secours.

Je demande, par forme de mesure provisoire, que la Convention nomme des commissaires qui, ce soir, se rendront dans

toutes les sections de Paris, convoqueront les citoyens, leur feront prendre les armes, et les engageront, au nom de la liberté et de leurs sermens, à voler à la défense de la Belgique. La France entière sentira le contre-coup de cette impulsion salutaire. Nos armées recevront de prompts renforts; et, il faut le dire ici, les généraux ne sont pas aussi répréhensibles que quelques personnes ont paru le croire. Nous leur avions promis qu'au 1er février l'armée de la Belgique recevrait un renfort de trente mille hommes. Rien ne leur est arrivé. Il y a trois mois qu'à notre premier voyage dans la Belgique, ils nous dirent que leur position militaire était détestable et que, sans un renfort considérable, s'ils étaient attaqués au printemps, ils seraient peut-être forcés d'évacuer la Belgique entière. Hâtons-nous de réparer nos fautes. Que ce premier avantage de nos ennemis soit, comme celui de l'année dernière, le signal du réveil de la nation. Qu'une armée, conservant l'Escaut, donne la main à Dumourier, et les ennemiş seront dispersés. Si nous avons perdu Aix-la-Chapelle, nous trouverons en Hollande des magasins immenses qui nous appartiennent.

Dumourier réunit au génie de général l'art d'échauffer et d'encourager le soldat. Nous avons entendu l'armée battue le demander à grands cris. L'histoire jugera ses talens, ses passions et ses vices; mais ce qui est certain, c'est qu'il est intéressé à la splendeur de la République, S'il est secondé, si une armée lui prête la main, il saura faire repentir nos ennemis de leurs premiers succès.

Je demande que des commissaires soient nommés à l'instant. Lacroix. Je demande l'ajournement de cette proposition jusqu'après le rapport du comité de défense générale.

Barrère. On n'ajourne que lorsqu'on a des doutes ou quand une proposition a des inconvéniens. Paris ne doit pas avoir la priorité de patriotisme : c'est une vertu commune à tous les Français, et je vois Danton lui-même applaudir à ma pensée. Si ce soir nous appelons Paris, c'est que Paris est près de nous. Je demande que, sans ajournement, on décrète à l'instant que des commis

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