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dernier de se confier à Latouche, alors à Paris, pour la négociation de faux assignats et de billets de caisse provenant de Calonne. Le neveu de La Rouarie, chargé du message, prenant Latouche pour unfroyaliste, ne lui déguisa rien. Celui-ci alla immédiatement trouver Danton, avec lequel il était lié, et lui révéla le complot; ceci se passait sous la Législative, dont le comité de sûreté générale fut aussitôt saisi de la dénonciation.

Après le 10 août, et dès l'ouverture de la Convention, Latouche vint en Bretagne pour espionner les conjurés; il déclara à La Rouarie qu'il avait tout dévoilé à Danton, et qu'il l'avait trouvé disposé à favoriser de tout son pouvoir une contre-révolution, indigné qu'il était des excès de la populace, de la férocité des anarchistes et des brigands. On ajouta foi à ses paroles; pendant ce temps-là Danton, alors ministre, convoquait le conseil et y exposait la conjuration de Bretagne. Le système qu'il avait adopté fut approuvé, et Latouche continua son espionnage, allant et venant de Bretagne en Angleterre, où il était admis auprès de Calonne. Le moment des hostilités était fixé au mois de mars. Le comité de sûreté générale de la Convention, tenu au courant de tous les préparatifs, adjoignit à Latouche Labillent-Morillon, ami et compatriote du député Barrère. Morillon, tour à tour gendarme, musicien, aventurier et espion, avait trahi à Coblentz les intérêts des princes, et était venu se vendre au parti jacobin. Il fut envoyé en Bretagne comme agent révolutionnaire, avec mission de s'entendre avec Latouche, et d'agir d'après ses conseils. Ce dernier devait porter La Rouarie à supplier le comte d'Artois de se mettre à la tête des émigrés et d'une descente projetée au moment même où les républicains seraient en mesure de s'assurer de sa personne.

Les résultats qu'on attendait furent empêchés par la mort de La Rouarie, qui succomba le 30 janvier, après quatorze jours de maladie. A cette nouvelle, Latouche va chez Desilles, à la FosseIngant, et obtient que les papiers du chef de la conspiration y seront déposés; Laguyomarais les y porte dans un bocal de verre,

T. XXV.

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qui est enterré à six pieds de profondeur dans un des carrés du jardin.

Averti par Latouche de la mort de La Rouarie, que les conjurés voulaient garder secrète jusqu'à l'arrivée de Malseigne, destiné à le remplacer, Morillon se transporte au château de Laguyomarais. La Rouarie avait été enterré dans un bois voisin de ce château; Morillon le fait déterrer, constate juridiquement l'identité, et de là se porte à la Fosse-Ingant, chez Désilles, ой il s'empare des papiers du mort; la liste des confédérés ne s'y trouve point: Thérèse de Mollien, à qui elle était confiée, l'avait brûlée au moment où elle apprit que La Rouarie avait cessé de vivre.

A la suite de cette découverte (5 mars) vingt-huit personnes furent arrêtées et conduites à Rennes sous l'escorte de Morillon. Ainsi finit la conjuration de Bretagne. L'avortement en eût été plus misérable encore si la rumeur des expéditions de Morillon et de l'issue d'un complot royaliste, dont ils entendaient alors parler pour la première fois, n'eût fait prendre les armes à un grand nombre de paysans. Ils attaquèrent le Faonet, Guéméné, Pontivy, Lominé, Auray, Vannes, la Roche-Bernard, PontChâteau, Savenay, Oudon et Guérande. Deux membres de l'association bretonne, Piron de la Varenne et Scheton, soulèverent les ouvriers des mines de Montrelais; mais les Nantais unis aux Angevins les dispersèrent aussitôt. Piron et Scheton, ayant échoué de ce côté, passèrent sur la rive gauche de la Loire, où ils se réunirent aux Vendéens. Cependant la rive gauche de la Vilaine resta quelque temps en pleine révolte. Les insurgés se portèrent à des actes d'une férocité inouïe. Le président du district de la Roche-Bernard, nommé Sauveur, ardent révolutionnaire, fut d'abord mutilé, puis jeté dans un brasier ardent. La Convention rendit plus tard hommage à ce martyr de la révolution ; elle décréta que la ville de la Roche-Bernard se nommerait désormais la Roche-Sauveur, et que son nom serait inscrit au Panthéon français. Billaud-Varennes et Sévestre envoyés en Bretagne dirigèrent avec promptitude et succès la pacification de cette

contrée. Ils furent si bien secondés par le général Beysser, qu'en moins de trois semaines toute la rive gauche de la Vilaine, jusqu'aux portes de Nantes, était rentrée dans le devoir.

Telle est l'histoire de la conspiration sur laquelle Lasource, au nom du comité de sûreté générale, fit un rapport vague et mystérieux à la séance du 18 mars. Si on eût dit alors tout ce qu'on en savait, certaines accusations eussent été impossibles. Le bruit s'était répandu que Danton avait eu connaissance de cette affaire; et parce qu'on jugea à propos de tenir dans le secret une manœuvre de police, le champ fut laissé libre à toutes les interprétations. Nous avons mentionné celle qui s'accrédita chez des écrivains qui se sont faits, depuis les historiographes de cette époque, et qui consiste à imputer aux montagnards l'insurrection de l'Ouest. Or, en admettant, ce qui n'a ni vérité, ni vraisemblance, que Danton fût complice de La Rouarie, l'opinion dont il s'agit n'en serait pas moins tout-à-fait insoutenable; car il est démontré que le complot fut entièrement stérile. Quel mouvement étaient-ils en effet capables de lancer, ces royalistes sans conviction morale, ces courtisans, ces affidés de Calonne, ces trafiquans de faux assignats, conjurés avec des amazones? L'ancienne foi pouvait seule entreprendre de résister à la foi nouvelle: c'est ce qui arriva dans une contrée où l'ébranlement général fut si peu l'ouvrage de quelques meneurs, que les bandes armées cherchèrent elles-mêmes et se donnèrent des chefs.

Avant de raconter l'explosion de la guerre civile en Vendée, nous donnerons un aperçu topographique, nécessaire pour l'intelligence des opérations militaires dans ce pays, et nous esquis serons en peu de mots le caractère moral de la population.

La portion du territoire français dont les habitans s'insurgè rent au mois de mars 1795 est comprise, de l'est à l'ouest, entre ·les 2o 30' et les 4° 40' de longitude occidentale du méridien de Paris; du midi au nord elle occupe l'espace situé entre le 46° 30' et le 47° 20' de latitude. Elle est composée de l'ancienne province du Poitou divisée en Haut et Bas Poitou, le premier appuyé à l'est sur la Manche, le second tombant à l'ouest vers la mer et

borné par l'Océan; 2o de la partie de la Bretagne et de l'Anjou au midi de la Loire. La géographie politique révolutionnaire sépara le Poitou en trois départemens, la Vendée, les Deux-Sèvres et la Vienne, tous trois contigus et dans une longitude parallèle.

Le département de la Vendée prend son nom de la rivière de Vendée, qui en intercepte l'extrême pointe orientale, et va se perdre dans la Sèvre Niortaise. Il a trois cent soixante-cinq lieues carrées de superficie; il contenait avant la guerre environ trois cent six mille habitans, trois cent trente communes, et seulement cinq à six petites villes : Fontenay, alors son chef-lieu, ne comptait que sept mille ames. Le sol de ce département présente dans ses aspects et dans sa nature trois différences, selon lesquelles il est divisé en Bocage, en Plaine et en Marais. Le Bocage forme les sept neuvièmes de son étendue; il est couvert d'arbres, mais on n'y rencontre que peu de grandes forêts. On nomme Marais les côtés de la Vendée autrefois couvertes par l'Océan. La Plaine est le terrain compris entre le Bocage et la limite méridionale de la Vendée.

A l'est de ce département se trouve celui des Deux-Sèvres. Il a trois cent vingt lieues carrées de superficie; il contenait, avant les troubles, deux cent cinquante-sept mille habitans, trois cent soixante-six communes et un plus grand nombre de villes que la Vendée. Niort, son chef-lieu, était peuplé de quinze mille ames. Ce département, arrosé par sept rivières et traversé par quatre routes, se divisait en Bocage et en Plaine.

La partie de la Haute-Bretagne et celle de l'Anjou au midi de la Loire appartenaient, l'une au département de la LoireInférieure, l'autre à celui de Maine-et-Loire. Tous deux sont irrégulièrement divisés de l'est à l'ouest par la Loire. Le premier renfermait deux cent sept communes et quatre cent vingthuit mille habitans; le second, trois cent huit communes et près de quatre cent cinquante-six mille habitans. La rive gauche du fleuve fut seule vendéenne. La limite méridionale de ces deux départemens s'appuie sur le Bocage de la Vendée et sur celui des Deux-Sèvres. A mesure qu'on s'avance vers la Loire, la

contrée devient ouverte et plaine, et reçoit le nom de pays de Mauges. Nantes et Angers, dont il sera souvent question dans cette guerre, étaient alors, comme aujourd'hui, les chefs-lieux respectifs de ces deux départemens.

C'est là toute la Vendée militaire; là naquit et s'arréta l'insurrection. Le périmètre de cette enceinte, dont nous avons fixé plus haut la longitude et la latitude, était formé au nord par la Loire, depuis l'embouchure de ce fleuve jusqu'à Saumur; à l'est par la rivière de Thoué jusqu'à Thouars; au sud par la route qui conduit de Thouars à Parthenay, à Fontenay et aux Sables ; à l'ouest par l'Océan. De nombreuses collines, des vallons étroits, sinueux et pourvus d'abondantes eaux; un terrain gras et fertile couvert d'une végétation en grande partie sauvage, concourent à faire de ce pays un inextricable labyrinthe. On y rencontre peu de sites assez élevés pour commander une vaste étendue et servir aux observations stratégiques. Une seule grande route le traverse de Nantes à la Rochelle par Moutaigu. Celle qui va de Tours à Bordeaux, par Poitiers, laisse entre les deux un intervalle de plus de trente lieues, où l'on ne trouve que des chemins de traverse, creusés d'ordinaire entre deux haies, en été raboteux, bourbeux en hiver, parfois servant de lit à des ruisseaux, ou taillés dans le roc, remontant les hauteurs, ou suivant la pente des collines. Les chemins sont encaissés, la plupart à dix ou douze pieds au-dessous du niveau des terres; et à peine sont-ils viables, à peine les convois peuvent-ils y faire trois lieues dans une journée. Les voitures qui y sont engagées n'ont presque jamais assez d'espace pour tourner et changer de direction. Les enclos qui entourent ces chemins, et que bordent de hautes et larges haies, ne sont pénétrables que par de rares échaliers pratiqués pour l'exploitation, et fermés par des barres de bois et des fagots d'épines. Ces entrées étaient la seule porte des fortifications naturelles que nous venons de décrire. La grande route n'offrait pas meilleures chances aux opérations d'une armée régulière; les plis d'un terrain partout inégal, des lisières d'arbres, de genêts et de bruyères, des fossés plantés de buissons, en faisaient

de

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