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cer plus de deux ou trois lignes. Cet événement est la suite de celui d'hier, où trois de mes collègues ont été insultés. Je ne crains maintenant que le ressentiment des sans-culottes. Il est doux d'être le confesseur de la liberté. Je ne rendrai à personne les blessures que j'ai reçues. ›

Dans la même séance, sur le rapport de Barrère, la Convention ordonna que les auteurs du crime qui lui était dénoncé seraient traduits devant le tribunal révolutionnaire, et déclara la ville d'Orléans en état de rébellion. Cette partie de son décret fut rapportée à la séance du 24 mars, sur une explication de Tallien, dont voici la teneur :

Tallien. Je vais faire part à la Convention de ce qui est en ma connaissance relativement aux événemens d'Orléans. Nous étions à Nevers, lorsque nous reçûmes l'ordre de revenir à Orléans. En arrivant dans cette ville, en exécution de votre décret, nous avons destitué la municipalité, et elle a été remplacée avec la plus grande tranquillité. Ceux qui ont été accusés d'être les auteurs de l'assassinat commis sur notre collègue Léonard Bourdon ont été arrêtés; la procédure s'instruit avec activité. Léonard Bourdon est parfaitement rétabli; il se dispose à partir demain pour continuer sa mission. Vous avez nommé des commissaires pour aller à Orléans faire exécuter votre décret; cette mesure me paraft inutile; votre décret est déjà presque exécuté dans son entier.

Garan-Coulon. D'après le compte que vient de rendre Tallien, je crois que la Convention jugera qu'elle peut rapporter la partie du décret qui déclare Orléans en état de rébellion.

Tallien. J'ajoute que les administrateurs du département du Loiret ont levé cinq mille hommes pour aller soumettre les contre-révolutionnaires du département de la Vendée. Les deux propositions furent décrétées.

L'émeute de Montargis eut lieu le 14. Le 20, elle fut annoncée à la Convention par Lepage. L'envoi des pièces au comité de sùreté générale fut décrété sur la proposition de Bréard. Le Moniteur ne renferme aucun détail sur cet événement. Nous emprun

tons ceux qui suivent à une lettre adressée, par un ami de Manuel, au Patriote français.

Jeudi 14 du courant, les jeunes gens s'étaient rassemblés au nombre de trois à quatre cents pour choisir parmi eux cinquante-sept défenseurs à la patrie qui, avec vingt-un enrôlés volontairement, complétaient leur contingent. Soixante-dix-huit ivres de vin, travaillés par la rage de l'aristocratie qui désolait notre ville, se portèrent à tous les excès; n'écoutant ni la loi, ni la raison, ils forcèrent le procureur de la commune et un officier municipal, tous deux jeunes gens célibataires, à se présenter avec eux ; ils demandèrent à grands cris Pierre Manuel, qui, âgé de plus de quarante ans, citoyen de Paris, privé d'un œil, les deux premiers doigts de chaque main inflexibles, était exempt à tous égards. Les officiers municipaux, obligés de céder au nombre qui croissait d'instant en instant par la réunion des malveillans, envoyèrent prier Pierre Manuel de se présenter. Il était midi environ; Manuel se pressa d'obéir. En entrant dans l'enceinte où se trouvait la municipalité, il dit: Citoyen maire, obterez-moi la parole... A ces mots, une troupe de scélérats tombe sur lui, lui ensanglante la tête et le traîne dehors. La municipalité le suit et le protége. Le procureur-syndic du district, le ci toyen Mésanges, à qui on ne saurait donner trop d'éloges, et qui a montré un courage plus qu'humain pendant deux heures, s'en empare et le conduit chez sa sœur. La foule s'y porte. Des femmes transformées en tigres excitent la multitude et poussent les brigands moins féroces qu'elles dans la boutique, qu'on n'avait pu fermer. Une compagnie de grenadiers qui était de piquet est en partie désarmée; un officier municipal évite un coup de baïonnette qu'on lui lance; le maire est outragé, frappé; le courageux procureur-syndic sur l'escalier du premier est déposté, reuversé. On monte, on arrache Manuel de sa chambre, on le traîne sanglant, dit-on, au pied de l'arbre de la liberté pour l'y pendre. Près d'y arriver ses forces l'abandonnent, il tombe; malgré la municipalité qui le couvre, mille coups l'atteignent; il se relève, il secoue ses bourreaux et en renverse plusieurs ; le nom

bre le pousse encore, ses défenseurs rétrogradent et le jettent en prison; la foule se dissipe; il est en sûreté. Jamais spectacle ne fut plus horrible; des monstres se partageaient ses dépouilles, teintes de son sang, en mille pièces; il arriva en prison presque nu.

› N'accusez pas, citoyen, la municipalité si dans mon récit vous ne voyez pas qu'elle ait fait battre la générale. Si elle l'eût fait, tout était perdu. Les scélérats n'attendaient que ce moment pour s'armer, et la ville était en sang et en feu. La prudence même avait éloigné les grenadiers sitôt qu'ils avaient pu se ressaisir de leurs armes..

› Du reste il faut moins accuser les Montargeois, que les étrangers, compagnons, terrassiers, etc., qui formaient le plus grand nombre; il faut surtout accuser les valets des ci-devant, qui tenaient les propos les plus affreux, les plus incendiaires. Manuel, disaient-ils, a volé à la nation deux cent mille livres, il a fondu les saints des églises, etc. ; il nous faut sa tête; et la tourbe, furieuse d'être exposée à aller à la frontière, de répéter: Sa tête ! sa tête!

› Une chose remarquable, et que je tiens de madame Merlin, sœur de Manuel, chez qui la scène se passait, c'est que les brigands ne connaissaient pas Manuel, et disaient : On nous trompe, ce n'est pas lui, il s'est sauvé. (Patriote français, n. MCCCXIV,)

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Affaires de Lyon. (Suite.)

Les commissaires envoyés à Lyon adressèrent, pendant le mois de mars, une seule lettre à la Convention nationale. Il en fut fait lecture à la séance du 20. Voici cette pièce.

Les choses ont bien changé dans la ville de Lyon. Vous nous avez chargés d'y rétablir l'ordre, et l'ordre paraît y régner. Mais les dangers de la patrie commandent au patriotisme des élans de courage et de zèle qui seuls pourront sauver la liberté. Ce n'est pas assez de revenir aux bons principes. Il faut voler aux bords du Rhin, dans les plaines et départemens de la Belgique, sur les côtes, vers les Alpes, les Pyrénées, partout enfin où la patrie

est menacée. Peut-être la conservation de la liberté dépend-elle aujourd'hui de l'affranchissement du monde, et nous sommes seuls pour l'opérer.

› Pour remplir notre mission, il ne nous suffisait pas d'atterrer les ennemis de la révolution, il fallait détruire l'égoïsme, exciter dans l'ame des citoyens le dévoûment héroïque que doit inspirer le sentiment de la liberté. Nous avons tout tenté pour y parvenir; mais nous ne nous flattons pas du succès, tant est grande l'apathie des citoyens. Nous n'en accusons pas l'esprit du commerce, il n'est pas incompatible avec la liberté; nous n'en accusons pas le climat, il est au contraire très-propre à produire des sentimens d'exaltation et d'enthousiasme; nous n'en accusons pas l'immense population de cette ville, les hommes s'électrisent en s'associant. Nous n'en connaissons d'autre cause que la multitude des journaux inciviques et des écrits mensongers, où l'on s'occupe plutôt des hommes que des choses, où l'on alarme les propriétaires, où l'on aigrit les riches contre les citoyens pauvres, où l'on taxe d'ignorance et où l'on calomnie le peuple, dont le bon sens a jusqu'à présent soutenu la révolution, où l'on jette des semences de constitution bourgeoise et aristocratique. Nous n'en connaissons d'autre que les libelles périodiques dont on inonde les départemens, et dont les plus dangereux portent le nom de plusieurs membres de la Convention qui ont long-temps usurpé une réputation de patriotisme. Une des causes les plus actives de la mauvaise disposition des esprits dans cette ville est la distribution d'un journal connu sous le nom de Journal de la ville de Lyon. Ce journal est rédigé par Carrier, personnage dangereux, auquel le conseil exécutif vient de faire passer une somme considérable, comme nous l'a attesté la municipalité. La cause du mal est encore dans les bataillons érigés sous le nom de bataillons des Fils de famille, qui prennent le beau nom des fédérés, en même temps qu'ils se proclament les soutiens d'une secte orgueilleuse. Ils perdent l'esprit public. Ils menacent ouvertement les meilleurs patriotes. Nous avons à nous plaindre du deuxième bataillon des Marseillais, qui en arrivant,

a demandé à loger chez les négocians, ce qu'il a obtenu; du premier bataillon d'Aix, qui s'est joint à lui; de celui qui a été envoyé par le département de l'Hérault. Les volontaires de ce dernier se répandaient dans les rues, dans les cafés, poussant des chants séditieux, mettant la vie des magistrats, la nôtre même en danger, et ils nous ont forcés à requérir leur départ.

› Les bons citoyens ont eu le dessus dans la nomination du maire, qui a été nommé à une grande majorité dans les assemblées primaires, où les patriotes ont enfin osé se montrer. Les aristocrates ont tenté d'exciter des mouvemens; mais les bonnes dispositions du citoyen Braison, commandant, les ont contenus. Des citoyens s'assemblèrent aux Augustins pour protester contre la nomination; des volontaires s'y rendirent; on courut aux armes; mais de fortes patrouilles, des proclamations, la bonne contenance des magistrats maintinrent le calme.

› La commission a prouvé son impartialité par un grand acte de justice. Laussel, procureur de la commune, couvert du manteau du patriotisme, affectait un faux zèle. Depuis long-temps il était suspect aux patriotes. On a reconnu qu'il ne sévissait contre les agitateurs que pour en tirer des contributions. Il est fortement prévenu d'avoir reçu de l'argent pour sauver des coupables, et d'avoir vendu des certificats de civisme. Les officiers municipaux nous ont déclaré qu'il avait perdu leur confiance, et les patriotes nous l'ont dénoncé. Nous l'avons suspendu de ses fonctions, et fait mettre en état d'arrestation.

› Signé, BAZIRE, LEGENDRE (de Paris), ROVERE. ›

La lettre des commissaires est l'analyse exacte des. faits principaux qui s'étaient passés à Lyon depuis leur arrivée. Nous allons recueillir dans le journal de Carrier les détails indispensables de ces faits. Nous y joindrons le récit de certains actes dont il n'est pas question dans l'exposé des conventionnels.

Nous avons laissé notre narration (Voir le tome XXIV, pages 385 et 404.) au moment où Nivière Chol venait d'être réélu maire. Nos lecteurs connaissent les troubles qui s'ensuivirent, le pillage du club du Centre, l'émeute contre Chalier et contre le

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