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girondins, ont cherché à s'affermir. Il provoque en effet le parti de ses adversaires, en le qualifiant de lâche, et il insinue en même temps à son propre parti que les excès des anarchistes sont plus à désirer qu'à redouter, parce qu'ils retomberont sur la tête de leurs auteurs. Ce machiavélisme gouvernemental a beaucoup été perfectionné sous le régime des deux chartes, où les violences de l'opposition ont été toujours exploitées, et si souvent provoquées.

Au sein de la Convention nationale, les Girondins travaillaient à une réconciliation entre le côté droit et les membres les moins exaltés du côté gauche, ou dont l'exaltation tenait plus à la chaleur du sang qu'à la rigueur et à l'inflexibilité des principes. Marat nous apprend, n° CXLVII de son journal, que le vendredi 15 mars Guadet avait cherché à se concilier Danton par des flagorneries outrées, et cela en pleine séance du comité de défense générale. A la séance de la Convention du 13 mars, l'interpellation de Boyer-Fonfrède et la réponse de Danton sont une preuve de plus que ce personnage communiquait avec les Girondins. Ce fut lui qui reçut mission le lendemain pour aller en Belgique engager Dumourier à retirer une lettre qu'il venait d'écrire à la Convention nationale, et que les Girondins, la regardant comme trop imprudente (Gensonné présidait alors), n'avaient pas jugé à propos de communiquer à l'assemblée. Les manœuvres où Danton avait joué l'un des principaux rôles lors de la retraite des Prussiens après la campagne de l'Argonne, ses vieilles liaisons avec Dumourier, et les rapports intimes que sa qualité de commissaire en Belgique avait entretenus naguère entre ce dernier et lui, tout concourt à rendre probable qu'il connaissait les plans du général en chef de l'armée du Nord. Ce qui confirme d'ailleurs une présomption si bien fondée, c'est la conduite de Danton jusqu'après la nouvelle du désastre de Neer-Winden. Il ne manqua aucune occasion de faire crier son propre patriotisme, ni de louer Dumourier, qu'il avait ajourné à sa prochaine victoire, ou à sa prochaine défaite. Le caractère connu de ce conventionnel s'accorde parfaitement avec nos inductions. Révolutionnaire par

tempérament, il avait rassasié ses passions à cet égard, sans jamais négliger ni le soin de son repos, ni ses plaisirs. Maintenant que la révolution menaçait de se prolonger et de fonder un pouvoir moral d'un despotisme absolu, comment Danton, tout en ménageant les convenances que son passé lui imposait, n'auraitil pas abondé dans des calculs par lesquels lui était assurée la jouissance paisible d'une grande renommée et d'une grande fortune? Il espéra ce résultat, et laissa marcher les intrigues qui le préparaient tant que Dumourier eut une armée. Après la fuite de ce général, Danton commença de craindre. Ses sympathies pour les Girondins s'échauffèrent (voir les mémoires de Garat dans le t. XVIII de l'Hist. parlem.) en proportion de la rapidité avec laquelle leur destinée s'accomplissait, et appelait la sienne. Désormais ses fureurs démagogiques seront une comédie, et nous ne le retrouverons déployant franchement la force que son organisation prêtait à son audace, que devant le tribunal qui l'envoya à l'échafaud pour avoir participé aux trahisons de Dumourier, et, chose singulière, car la preuve n'en était pas encore acquise, pour s'ètre conduit en hypocrite au 51 mai 1793. En cette extrémité, il redeviendra révolutionnaire pour son salut personnel, mais ce sera vainement.

Si les sentimens de Danton, tels que nous les avons estimés par ses actes, étaient contestables, il faudrait expliquer pourquoi, lui autrefois si ombrageux, lui qui venait de pratiquer familièrement l'intérieur de Dumourier, lui qui connaissait sa fameuse lettre du 12 mars, puisqu'il consentait à aller lui-même en demander le désaveu, ne trouvait pas là assez de griefs pour l'accuser, tandis que Marat devinait et dénonçait les projets de ce général à la simple lecture de ses dernières proclamations aux Belges. Aussi repoussait-il avec indignation tous ces manéges de rapprochement, qui n'avaient, disait-il, d'autre but que de donner à Dumourier le temps de consommer ses trahisons. Mais écoutons-le lui-même :

On ne parle aujourd'hui que de la réconciliation des deux partis qui divisent la Convention, comme du seul moyen de sau

ver la patrie. Il est incontestable que, tant qu'elle sera déchirée par l'esprit de parti, elle sera dans l'impossibilité non-seulement de sauver l'état, mais de rien faire pour le bien public, et cela pour deux grandes raisons :

› La première, c'est que, sans union, ses membres sont dans l'impuissance de faire de sages lois et de concerter des mesures réfléchies et vraiment salutaires. La seconde, c'est que l'affreux scandale des scènes qui se passent au sein de la Convention lui fait perdre entièrement la confiance du peuple, sans laquelle le législateur ne peut commander le respect dû aux lois. - Je n'examinerai pas si cette réconciliation désirable nous mènera droit au but; car il est bien permis de mettre en question si des hommes qui n'ont pas su rétablir l'ordre dans leurs assemblées pourront le rétablir dans un vaste empire...

› Mais cette réconciliation, la veut-on de bonne foi, et le parti patriotique peut-il l'accepter en aveugle, en considérant qu'elle est proposée par le parti opposé dans un moment où il paraît chargé de l'exécration publique dans la plupart des départemens, et prêt à l'être dans tous les autres où les commissaires nationaux vont porter la lumière? dans le moment où le généralissime infidèle vient de lever le masque pour usurper la souveraineté dans la Belgique et la Hollande...? Il a jeté le masque, et ses crimes paraissent à découvert, malgré le voile sous lequel ses complices de la Convention s'efforcent de les tenir encore.

➤ Il est constaté, par les actes publics qu'il vient de se permettre dans la Belgique, qu'il s'y est emparé de la souveraineté. Il a interdit aux sociétés populaires de prendre aucune part aux affaires publiques; il a emprisonné arbitrairement les commissaires du pouvoir exécutif, il s'est emparé du trésor public de l'armée (50 millions en assignats et 20 millions en numéraire); il a improuvé hautement la réunion des villes du Hainaut à la France enfin, sous prétexte de venger de prétendus excès de fonctionnaires publics, il s'est annoncé aux aristocrates belges comme leur protecteur, c'est-à-dire leur maître. » (Le Publiciste de la République française, n. CXLVII et CLVIII.)

Nous allons transcrire de suite les proclamations de Dumou rier que Marat appelle « des attentats publics », ainsi que sa lettre à la Convention.

Toutes ces pièces sont datées du 11 mars.

< Ordre. L'intention de la nation française et des représentans de la République, en entrant dans les Pays-Bas, n'a jamais été d'y porter le brigandage et la profanation; cependant ils s'y sont exercés par des agens du pouvoir exécutif de la république française, avec une tyrannie qui déshonore les Français, et qui met les Belges au désespoir. Ils se sont permis de s'emparer de l'argenterie des églises. Ce trait de l'avarice la plus sordide doit être réprimé, pour prouver à tous les peuples que nous respec tons les opinions religieuses, et que la justice et la droiture sont le caractère essentiel de la nation française, qui, en conquérant sa liberté, doit avoir acquis de nouvelles vertus, et ne doit employer ses armes que pour la justice.

> En conséquence, voulant réparer le tort que nous a fait dans l'esprit des Belges l'indiscrétion sacrilége des agens qui ont fait enlever l'argenterie des églises, j'ordonne au nom de la république française, de la religion et de l'équité, que toute l'argenterie des églises soit restituée et rétablie dans les différens lieux où elle a été enlevée. J'ordonne à tous les commandans militaires français et à tous les administrateurs civils librement élus par le peuple belge de tenir la main à l'exécution du présent ordre, qui ramènera les Belges à la juste opinion qu'ils doivent prendre de la Convention nationale, de la nation française, et des agens politiques et militaires qu'elle n'a envoyés dans la Belgique que pour assurer la liberté et le bonheur du peuple.

› A Bruxelles, le 11 mars 1795, l'an II de la République. Le général en chef, DUMOURIER.?

Proclamation.

Tous les corps administratifs et tous les habitans des différéntes provinces de la Belgique sont invités à faire dresser des

plaintes appuyées de procès-verbaux contre les vexations tyran niques de quelques-uns des agens connus sous le nom de commis saires du pouvoir exécutif, surtout contre celles qui portent le caractère de profanation. Leurs plaintes seront admises, et la Convention nationale de France est trop pénétrée des principes de justice et de respect pour la religion, pour ne pas abandonner des agens infidèles, qui auront abusé du pouvoir de leurs emplois, à toute la rigueur des lois. En donnant cette satisfaction au peuple belge, lésé dans ses opinions religieuses, dans ses personnes et dans ses propriétés, je déclare à regret que quiconque voudra se faire justice soi-même sera puni de mort; que si quelques villes ou villages se permettent des rassemblemens contre l'armée française, qui n'est point coupable des crimes de quelques particuliers, ces villes ou villages seront rasés ou brùlés. J'espère que le peuple belge, reconnaissant la justice de la Convention nationale et des chefs civils et militaires qu'elle emploie, reprendra les sentimens de fraternité qui conviennent à deux peuples libres, et ne me forcera pas à agir comme en pays ennemi, et avec plus de sévérité encore, puisque les insurrections armées porteront un caractère de rébellion et de trahison.

A Bruxelles, le 11 mars 1795, l'an II de la République. Le général en chef, Dumourier. ›

Proclamation.

. Comme les sociétés patriotiques ne doivent servir qu'à l'instruction des peuples, ou aux actes de bienfaisance et de fraternité, autant elles sont utiles en se renfermant dans ce principe, autant elles deviennent dangereuses en se mêlant des affaires politiques et militaires : en conséquence, il est défendu à tous les clubs patriotiques de s'immiscer aucunement dans les affaires publiques. Il est ordonné à tous les commandans militaires, administrateurs et magistrats, de tenir la main à cette défense; et si un club se permet un arrêté qui la contredise, il est ordonné de faire fermer le lieu de l'assen.blée, et d'en rendre responsables personnellement le président et les secrétaires dudit club.

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