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» et une fois élevé l'étendard des batailles; j'ai appris dans ma jeunesse à teindre une épée de sang; mon espérance était alors qu'aucun roi, parmi les hommes, ne serait plus vaillant que moi. N'entends-je pas les déesses de la mort qui m'appellent? Je vous suis. Je serais un lâche, si je m'affligeais de mourir. Il » est temps de finir mes chants; les déesses m'invitent, elles s'a» vancent; Odin, de son palais, les a envoyées vers moi; je serai » assis sur un siége élevé, et les déesses de la mort me verseront le breuvage immortel. C'en est fait; les heures de ma vie sont » écoulées : je vais sourire en mourant. »

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On peut juger par ce morceau, quelle était la mythologie, le caractère et le tour d'imagination de ces peuples, plus connus jusqu'à présent par leur férocité que par leur génie; mais ce qui mérite d'être observé, c'est que la plupart des scaldes ou chantres du nord étaient Islandais. Ces insulaires avaient la plus grande réputation; ils étaient accueillis chez les rois et conservaient le souvenir de tout ce qui se faisait de grand dans le nord. Ainsi une île qui n'est aujourd'hui qu'un amas de rochers brisés ou noircis par les volcans, et à travers lesquels on voit, de distance en distance, des cabanes et des troupeaux, quand tout le reste de l'Europe était barbare, a produit une foule de poëtes. Aujourd'hui les Islandais sont encore distingués par leur esprit; mais ils ne chantent plus : ils chassent l'ours et le renard au lieu de célébrer les héros.

L'Amérique eut les mêmes usages que notre ancienne Europe. Au Mexique, au Pérou, au Brésil, au Canada, et jusque dans des pays où les peuples ignoraient l'usage du feu (1), on a trouvé des espèces de poemes destinés à célébrer des espèces de grands hommes. Ainsi partout l'intérêt public a dicté les éloges; chaque nation a loué ce qui était utile à ses besoins ou à ses plaisirs; on a loué la piraterie chez les Scandinaves, le brigandage chez les Huns, le fanatisme chez les Arabes, les vertus douces et les talens chez les peuples civilisés, la chasse ou la pêche chez les sauvages, la navigation chez les habitans des îles; mais il y a une qualité qui partout a toujours été également louée, c'est celle qui a créé toutes les révolutions, qui bouleverse tout, qui assujétit tout, qui soutient les lois et qui les combat, qui fonde les empires et qui les détruit, à qui tout est soumis dans la nature, et devant qui l'univers et les panégyristes seront éternellement prosternés : la force.

(1) Isles Mariannes.

de

CHAPITRE IV.

Des éloges funèbres chez les Égyptiens.

Nous ous avons vu l'origine des éloges chez presque toutes les nations; je voudrais maintenant suivre leurs différentes formes chez tous les peuples qui ont cultivé les arts. A la tête de ces pays civilisés, je vois d'abord l'ancienne Égypte, pays de superstition et sagesse, fameux par ses monumens et par ses lois, et qui a été en même temps le berceau des arts, des sciences et des mystères. On sait que ce pays est un de ceux qui a eu le plus d'influence sur le reste du monde; il fut l'école d'Orphée et d'Homère, Pythagore et de Platon, de Solon et de Lycurgue. Il donna ses obélisques à Rome, ses lois à la Grèce, ses institutions religieuses à une partie de l'Orient, ses colonies et ses usages à plusieurs pays de l'Asie et de l'Europe; il n'eut presque sur tout que des idées vastes; ses ruines même nous étonnent, et ses pyramides, qui subsistent depuis quatre mille ans, semblent faire toucher le voyageur aux premiers siècles du monde.

C'est dans ce pays que l'on conçut une des idées les plus grandes et les plus utiles à la morale qu'il y ait jamais eu. Les lois, par la nature, n'ont de prise sur l'homme qu'autant qu'il respire; elles le suivent jusqu'au bord du tombeau : là elles s'arrêtent, et il leur échappe. Les législateurs de l'Egypte eurent les premiers l'idée d'attacher l'homme fortement à quelque chose qui lui survive, et de l'intéresser encore quand il ne serait plus; ils virent que l'opinion reste sur la terre, quand l'homme en disparaît, et qu'elle porte à travers les siècles, la renommée et le mépris; ils soumirent donc l'opinion à la loi : alors la loi atteignit l'homme au fond de la tombe, et l'on redouta quelque chose sur la terre, même au-delà de la vie. Tel fut l'effet que produisirent ces fameux jugemens exercés en Egypte sur les morts, et qui n'ont été depuis imités par aucun peuple.

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Il y avait un lac qu'il fallait traverser pour arriver au lieu de la sépulture; sur les bords de ce lac on arrêtait le mort : «< Qui que » tu sois, rends compte à la patrie de tes actions. Qu'as-tu fait du temps et de la vie? La loi t'interroge, la patrie t'écoute, la » vérité te juge. » Alors il comparaissait sans titres et sans pouvoir, réduit à lui seul, et escorté seulement de ses vertus ou de ses vices. Là se dévoilaient les crimes secrets, et ceux que le crédit ou la puissance du mort avait étouffés pendant sa vie; là, celui dont on avait flétri l'innocence, venait à son tour flétrir le calomniateur, et redemander l'honneur qui lui avait été enlevé. Le

citoyen convaincu de n'avoir point observé les lois, était condamné la peine était l'infamie; mais le citoyen vertueux était récompensé d'un éloge public; l'honneur de le prononcer était réservé aux parens. On assemblait la famille ; les enfans venaient recevoir des leçons de vertu en entendant louer leur père; le peuple s'y rendait en foule : le magistrat y présidait. Alors on célébrait l'homme juste; à l'aspect de sa cendre, on rappelait les lieux, les momens et les jours où il avait fait des actions vertueuses; on le remerciait de ce qu'il avait servi la patrie et les hommes; on proposait son exemple à ceux qui avaient encore à vivre et à mourir. L'orateur finissait par invoquer sur lui le dieu redoutable des morts, et par le confier pour ainsi dire à la divinité, en la suppliant de ne pas l'abandonner dans ce monde obscur et inconnu où il venait d'entrer; enfin en le quittant, et le quittant pour jamais, on lui disait pour soi et pour tout le peuple, le long et éternel adieu. Tout cela ensemble, surtout chez une nation austère et grave, devait affecter profondément et inspirer des idées augustes de religion et de morale.

:

On ne peut douter que ces éloges, avant qu'ils fussent prodigués et corrompus, ne fissent une forte impression sur les âmes. Leur institution ressemblait beaucoup à celle de nos oraisons funèbres mais il y a une différence remarquable, c'est qu'ils étaient accordés à la vertu, non à la dignité; le laboureur et l'artisan y avaient droit comme le souverain. Ce n'était donc point alors une cérémonie vaine, où un orateur que personne ne croyait, venait parler de vertus qu'il ne croyait pas davantage, tâchait de se passionner un instant pour ce qui était quelquefois l'objet du mépris public et du sien, et entassant avec harmonie des mensonges mercenaires, flattait longuement les morts, pour être loué lui-même ou récompensé par les vivans. Alors on ne louait pas l'humanité d'un général qui avait été cruel, le désintéressement d'un magistrat qui avait vendu les lois : tout était simple et vrai. Les princes eux-mêmes étaient soumis au jugement, comme le reste des hommes, et ils n'étaient loués que lorsqu'ils l'avaient mérité. Il est juste que la tombe soit une barrière entre la flatterie et le prince, et que la vérité commence où le pouvoir cesse. Nous savons par l'histoire, que plusieurs des rois d'Égypte qui avaient foulé leurs peuples pour élever ces pyramides immenses, furent flétris par la loi, et privés des tombeaux qu'ils s'étaient eux-mêmes construits. Lorsqu'un de ces princes était mort, et que le peuple était assemblé, il paraissait alors différens accusateurs pour déposer contre sa mémoire. L'un venait en habits de deuil, et disait : : ་ Il a fait périr ma femme et mes enfans; j'apporte ici les dernières plaintes qu'ils prononcèrent en

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mourant: ô juges! vengez-nous. » Un autre : « Il m'a ravi ma liberté et j'étais innocent; voilà mes chaînes, elles déposent contre lui, et je viens les secouer sur sa tombe. » Des malheureux, en lambeaux, disaient : « Nous avons été arrachés de nos maisons pour bâtir ces pyramides et ces palais : sur chacune de ces pierres que vous voyez, a coulé quelqu'une de nos larmes ; et souvent des milliers d'hommes, de femmes et d'enfans, étendant leurs bras à la fois, s'écriaient tous ensemble : « Il a causé la mort de nos pères, de nos frères, de nos époux, qui ont tous péri dans une guerre injuste; ô juges! en prononçant sur lui, songez à leur sang. » Ainsi, au pied de ce tribunal de l'Egypte, retentissaient les plaintes des malheureux : mais il manquait quelque chose à la justice; il eût été à souhaiter que l'oppresseur entendit sous sa tombe, et que sa froide cendre pût frissonner. Mais aussi lorsqu'un prince humain et bienfaisant, tel qu'il y en eut plusieurs, avait cessé de vivre, et que les prêtres récitaient ses actions en présence du peuple, les larmes et les acclamations se mêlaient aux éloges; chacun bénissait sa mémoire, et on l'accompagnait en pleurant vers la pyramide où il devait éternellement reposer.......

Depuis trois mille ans, ces usages ne subsistent plus, et il n'y a dans aucun pays du monde, des magistrats établis pour juger la mémoire des rois; mais la renommée fait la fonction de ce tribunal plus terrible, parce qu'on ne peut la corrompre, elle dicte les arrêts, la postérité les écoute, et l'histoire les écrit.

CHAPITRE V.

Des Grecs, et de leurs éloges funèbres en l'honneur des guerriers morts dans les combats.

DES

ES Egyptiens, les arts passèrent chez les Grecs, et bientôt les éloges naquirent en foule. De tous les peuples du monde, les Grecs sont peut-être ceux qui ont été les plus passionnés pour la gloire. La beauté du climat, en développant leur imagination, leur donnait un caractère enthousiaste et sensible; la liberté élevait leurs âmes; l'égalité des citoyens leur faisait mettre un grand prix à l'opinion de tous les citoyens; la loi, en permettant à chacun d'aspirer aux charges, et de décider des affaires de l'État, leur défendait de se mépriser eux-mêmes ; les arts vils, abandonnés à des mains esclaves, les empêchaient de se flétrir sous les travaux; les exercices et les jeux les donnaient continuellement en spectacle les uns aux autres; la multitude des petits États établissait des rivalités d'honneur entre les peuples; enfin, les grands

intérêts et les victoires leur donnaient ce sentiment d'élévation qui aspire à la renommée. Au sortir des combats, où des millions de Perses avaient été vaincus par quelques hommes libres, y avait-il un Grec dont l'àme ne fût plus sensible et plus grande ? Ajoutez les institutions particulières de chaque ville, et celles de la Grèce entière; ces fêtes, ces jeux funèbres, ces assemblées de toutes les nations, les courses et les combats le long de l'Alphée, ces prix distribués à la force, à l'adresse, aux talens, au génie même; des rois venant se mêler parmi les combattans, les vainqueurs proclamés par des hérauts, les acclamations des villes sur leur passage, les pères mourans de joie en embrassant leurs fils vainqueurs, et leur patrie à jamais distinguée dans la Grèce, pour avoir produit de tels citoyens.

Telle était la sensibilité. ardente de ces peuples pour la gloire. Les gouvernemens attentifs nourrissaient encore ce sentiment, en ne donnant jamais de récompense qui pût avilir les âmes. On ne rabaissait pas les talens ou les vertus, jusqu'à ne les payer qu'avec de l'or. Tout tendait à la gloire, et rien à l'intérêt. Des couronnes, des inscriptions, des vases, des statues, voilà ce qui récompensait et faisait naître les grands hommes. Je me représente un père dans ces anciens temps et chez ce peuple singulier, voulant animer son fils, et le promenant à travers les rues d'Athènes : " Vois-tu, lui dit-il, ces deux statues? adore-les: ce sont celles de deux citoyens vertueux qui ont délivré leur patrie. Ce monument est celui d'une femme qui aima mieux mourir que trahir des citoyens qui voulaient rendre la liberté à l'Etat. Chacun de ces tableaux que tu vois est une récompense. Ce général exhortant les troupes, et distingué des neuf autres, c'est Miltiade: il a sauvé la Grèce ; mais aussi il a obtenu ce prix de sa victoire. » - Peut-être dans le temps même qu'ils parlent, ils voient un Grec qui regardait ce même tableau en rêvant profondément. Une larme s'échappait et coulait le long de ses joues.-« Mon fils, ce Grec que tu vois, c'est Themistocle. Bientôt il sera grand, puisqu'il verse d'aussi nobles larmes. »Ils sortent d'Athènes, et parcourent la Grèce. A quelque distance ils trouvent Marathon. Ils approchent, et voient au milieu de la plaine un mausolée. « C'est le tombeau de ceux qui sont morts pour la patrie. Regarde ces colonnes. Là, sont gravés les noms de tous ceux qui ont vaincu et péri dans cette journée. Mon fils! lis tous ces noms, honoreles, et adore la patrie qui récompense ainsi le courage. »>-Arrivés aux Thermopyles, ils se prosternent sur le lieu où trois cents hommes se sont dévoués contre trois cent mille. Le père fait lire à son fils cette inscription sur le rocher: Passant, va dire à Sparte que nous sommes morts pour obéir à ses saintes lois; et

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